La République Sanitaire
Le philosophe André Comte-Sponville a fait parler de lui ces dernières semaines en prenant le contre-pied, sur Europe 1 notamment, de la doxa ambiante qu’il a lui-même baptisée du joli nom de Sanitairement Correct. Son propos est tout simple : il déplore qu’on sacrifie la liberté sur l’autel de la santé, et qu’on sacrifie, surtout, les jeunes générations pour « protéger » les plus anciens, dont lui-même, puisqu’il a 68 ans.
Il a lu beaucoup, c’est une évidence, et la relecture de Sénèque lui est probablement délicieuse. Le philosophe Sénèque, donc, grand défendeur stoïcien de l’idée du « Il faut savoir partir » et apôtre impénitent, surtout, d’une philosophie de vie entièrement construite sur l’idée de finitude, où « avoir été » ne signifie pas « avoir vécu » et où chacun doit se préparer à mourir un jour. Bien vivre, pour Sénèque, n’équivaut pas à vivre longtemps, et surtout pas à tout prix. Accepter son destin, se résigner aux lois hasardeuses de ce qu’il nomme la Fortune tout en faisant fructifier le temps qui nous est accordé au maximum de nos capacités, sans regrets ni remords, voilà le chemin de la sagesse. Dans ses Lettres à Lucilius, on en trouve à foison, de ces conseils de sagesse. Un exemple parmi tant d’autres :
« Formons donc notre âme à comprendre et à supporter son sort. Apprenons-lui que la Fortune a toutes les audaces, qu’elle a sur les empires les mêmes droits que sur les empereurs et le même pouvoir sur les hommes que sur les villes. » Ou encore, un peu plus en amont du texte : « Exils, souffrances de la maladie, guerres, naufrages ; tu dois te préparer à tout cela. »
Disons-le tout net : jamais nous n’y serons vraiment préparés ni réellement résignés, à quitter cette Terre qui est notre seule maison, à quitter cette vie qui est notre unique bien, peut-être pas le plus précieux, mais le seul dont on veut croire qu’il nous appartient en plein. On serait bien insolent, en ces temps où des gens meurent de ce fameux Covid 19 - qui est devenu dans les médias et dans de nombreux esprits fragilisés par la propagande actuelle le visage ultime et exclusif de la Mort, de distribuer dans les EHPAD et les hôpitaux des exemplaires de La Vie heureuse et des Lettres à Lucilius au chevet des malades.
On pourrait se sentir autorisé à croire, cependant, que quitte à quitter la vie, nombre de ces malades préfèreraient avoir à leurs côtés ceux qu’ils ont aimés et qu’ils espèrent pouvoir continuer à aimer s’ils survivent à l’épreuve. On sait depuis la nuit des temps que l’isolement et le sentiment d’abandon sont des accélérateurs de particules phénoménalement mortifères chez les gens touchés par la maladie. On renaît parfois littéralement d’entre les morts en présence d’un visage ami, d’une odeur familière. Rarement confiné dans une chambre d’hôpital en présence d’un inconnu en blouse blanche, aussi humain et compétent soit-il.
Pendant les premières semaines de la pandémie, ce droit leur fut confisqué par la République Sanitaire, obnubilée par une seule et unique pensée : celle de limiter les risques de contagion et d’enrayer les ravages d’une pandémie dont elle était, nous le savons tous désormais, aussi coupable - si ce n’est davantage - que le virus lui-même. Voilà que le droit de visite en EHPAD a finalement été acté par le Ministère de l’Insanité, après s’être fait rappeler à une dose minimale d’humanité par des familles éplorées et des associations de bénévoles. Mais que ce fut long. Mais que ce fut laborieux. Et tout ça pour accoucher d’un protocole qu’un élève de CM2 aurait pu écrire au tableau en vingt minutes, même en écrivant du pied gauche :
‘‘ À aucun moment, visiteurs et résidents ne doivent se croiser dans l’établissement. Les visiteurs ne doivent pas être amenés à croiser d’autres résidents, indique le Ministère. À leur arrivée, ils doivent porter un masque chirurgical, confirmer dans un questionnaire leur absence de symptômes, se laver les mains et prendre leur température avant de rentrer dans l'EHPAD. ’’
La République Sanitaire a dû se frotter les mains. Voilà un nouveau problème de réglé. Qu’est-ce que ces cons de Français vont encore trouver à nous reprocher ? Nous avons confiné les bien-portants, mal soigné nos malades, fait exploser le compteur des décès, gardé le virus au frais pour le relâcher dans la nature le 11 mai histoire de tester l’efficacité de l’immunité collective après l’avoir écartée du bras comme une théorie impie digne d’une nation sous-développée comme la Suède. Qu’est-ce que vous voulez de plus ? Plus de courbes ? Plus de chiffres ? Plus de statistiques ? Plus de mensonges ? Qu’on vous parle de grippette égyptienne ? De peste bubonique ? De reconfinement possible après la déconfiture promise ?
Non, bande d’enfoirés. Votre démission, tout simplement. A la date du 11 mai. Ou alors fermez-la, et laissez nous vivre ou crever comme on l’entend.