mercredi 13 février 2019 - par Clark Kent

La résistible ascension de Petro Porochenko

Le 8 décembre 1991, la dislocation de l'URSS était actée par l'Accord de Minsk, signé par les dirigeants russe, ukrainien et biélorusse, et l'Ukraine devenait l'un des membres fondateurs de la Communauté des États Indépendants (CEI).

Par le Mémorandum de Budapest sur les garanties de sécurité, signé le 5 décembre 1994, l'Ukraine abandonnait son arsenal nucléaire en échange de la garantie par les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie de son intégrité territoriale.

Puis, suite à l'"Euromaïdan" de 2014, cet état (qui est le deuxième pays de l’Europe géographique en superficie et compte 45,6 millions d’habitants) a fait savoir qu’il n'avait jamais été membre à part entière de la CEI en même temps qu'il annonçait son retrait total et la fin de toute relation avec cette communauté d'états en 2018.

Les élections présidentielles successives ont reflété ce climat géopolitique « instable » et les candidats sortants ont eu tendance à être « dégagés ». Porochenko, lui, ambitionne une réélection.

Accusé de corruption et d'"entrave aux réformes" par ses adversaires, Porochenko peut difficilement être décrit comme le porte-drapeau des espoirs affichés par le mouvement de 2014, mais il en va de même pour ses principaux rivaux : Timochenko est enlisé dans des scandales de corruption, Zelenskiy est l’homme-lige de l'oligarque Kolomoyskyi (qui a siphonné des milliards de dollars d'une banque ukrainienne), l’ancien minstre de la défense Hrytsenko est un partisan de l' "autoritarisme éclairé " style Orban. Boyko, quant à lui, représente officiellement l'opposition favorable à un rapprochement avec la Russie.

La stratégie de Porochenko consiste à tenter de rassembler les électeurs nationalistes en recourant à la même idéologie que celles affichées par les dirigeants de deux pays voisins, la Hongrie et la Pologne avec lesquels l'Ukraine partage un passé historique houleux. De grands panneaux publicitaires affichent le slogan choisi pour sa campagne, "Armée, Langue, Foi", sur toutes les avenues du pays depuis 2018, bien avant l'annonce officielle de sa décision de se représenter. La mode semble se répandre chez les présidents d'anticiper les campagnes électorales et de les financer avec l'argent public. Les éléments de la trilogie scandée par cet affichage sont les trois leviers sur lesquels Porochenko compte s'appuyer pour atteindre son but :

- les actions militaires,

- la politique linguistique

- les relations avec le clergé orthodoxe.

La question linguistique semble constituer l'avant-garde dans la manœuvre en cours. Des millions d'Ukrainiens utilisent le russe comme première langue et, avant Maïdan, les régions russophones de l'Ukraine étaient libres de déclarer le russe deuxième langue officielle de leur territoire. La vague nationaliste qui a balayé l'Ukraine depuis a mis en avant la question de la langue nationale, et l'extrême droite s'est mobilisée pour restreindre les droits linguistiques de la population russophone du pays.

En 2017, Porochenko a parrainé l'adoption d'une loi instituant la langue ukrainienne comme langue officielle et en supprimant de fait l'enseignement en langue russe dans le secondaire. Malheureusement pour lui, cette initiative n’a non seulement pas apporté les résultats escomptés pour booster sa popularité, mais en plus, elle a provoqué un affrontement diplomatique avec la Hongrie voisine, car les écoles de langue hongroise ont été touchées de la même manière que celles de langue russe.

Qu’en est-il des deux autres chevaux de bataille, militaire et religieux ?

Dans la région du Donbass, l'Ukraine n'est pas en mesure de vaincre militairement la machine de guerre russe, mais en prétendant devant le Parlement qu'une invasion russe à grande échelle était imminente, et après avoir surmonté le scepticisme des députés, Porochenko a réussi à imposer une loi martiale d'un mois… qui a duré jusqu'à fin décembre 2018. S’il est difficile d’évaluer l’impact de cette mesure dans le développement espéré de la ferveur patriotique chez les électeurs ukrainiens, on peut constater les effets négatifs produits dans les familles transfrontalières par les restrictions imposées aux ressortissants russes.

En ce qui concerne la religion, Porochenko y a vu une opportunité politique. Sous prétexte d’unifier l'église orthodoxe ukrainienne divisée et l'arracher au contrôle du patriarcat russe, il a fini par obtenir que le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomé Ier lui accorde officiellement son « indépendance », une autonomie symbolique sur fond nationaliste.

Dès que l'information a été publiée, Porochenko a fait la tournée des popotes dans le centre et l'ouest de l'Ukraine, là où se situe l'essentiel de son électorat, pour exhiber l'édit de Bartholomé au cours de grands rassemblements dans des églises. Il a rencontré un certain succès en présentant cette réforme territoriale cléricale comme une grande victoire de l'Ukraine sur la Russie, même si elle est partielle puisque le plus grand nombre de paroisses (environ 12 000) reste sous le contrôle du patriarcat de Moscou.

Les effets de ces actions semblent donc mitigé et les pronostics pour les présidentielles sont incertains. Mais les stratèges de Kiev ont peut-être dans leurs cartons un stratagème théâtral du genre « deux ex machina » pour emporter le morceau au moment du scrutin, par exemple BHL ou Pompéo, déguisés en diablotins sortant d'une boite à musique pour soutenir leur ami. Aucun indice, si ce n’est le renforcement des forces navales du côté de la Crimée, ne laisse deviner en quoi cela consisterait. Si aucun autre élément n’intervient pour provoquer une émotion ou une sidération propices à toute forme de manipulation, rien ne dit pour le moment que Prorochenko échappera à la « malédition des présidents jamais réélus » !



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