Peu importe que Chavez demeure au palais de
Miraflores jusqu’à ce que la mort le saisisse dans son sommeil à un âge
avancé : cette semaine sa révolution est morte.
Il n’est pas impossible que les étudiants
parviennent à renverser Chavez ; ils peuvent aussi bien rentrer à la maison
quand ils en auront assez ; de même, tout peut se conclure dans un bain de
sang. Mais en trois jours, ils ont cloué le cercueil de la pseudo révolution qui nous tourmente
depuis trop longtemps déjà.
Quand Chavez a fermé RCTV, il a fait l’erreur
fatale que toutes les révolutions, réelles ou factices, font un jour ou
l’autre, et qui les précipite vers leur fin. Il est facile d’en cibler le
moment charnière pour certaines d’entre elles, même si, en apparence, elles sont
toujours en cours.
Il y a par exemple une date d’échéance à la Révolution cubaine :
Mariel. Certains, dont je suis, la situent au moment où Castro a envoyé des
soldats cubains mourir en Angola. Cela est simplement une question de date. Peu
importe que Castro soit toujours en place, même avec un pied dans la
tombe : la
Révolution cubaine s’est alors mutée en un système dont la
seule ambition était de conserver à une caste son pouvoir. Que pouvait dire
Castro après Mariel, quand plus de 100 000 personnes essayèrent de s’enfuir de
leur pays, à n’importe quel prix ? Castro et son régime ne survivent que
parce que Cuba est une île désormais dénuée d’intérêt stratégique pour qui que
ce soit.
La Révolution chinoise est morte
quand elle s’est proclamée « culturelle ». Ses excès ont appelé Deng comme
une « contre » culture, qui catapultera la Chine au rang, sinon au
prestige, qu’elle mérite. Personne ne sait comment se conclura sa course folle
vers le capitalisme, bien que la course folle en question prenne peu à peu la
forme d’une révolution à part entière.
La Révolution française est
morte le jour où les révolutionnaires, effrayés, ont décidé de guillotiner
Robespierre avant que lui-même ne leur réserve le même sort. Les événements
s’enchaînèrent alors jusqu’à ce qu’en 1799 Napoléon décide de mettre un point
final à la
Révolution française. Après Robespierre, l’objectif était de
rétablir l’ordre dans le pays, afin que ceux qui étaient devenus riches, ou qui
avaient pris le pouvoir, puissent en profiter. Avant la mort de Robespierre, il
y avait une quête de l’Utopie, même si le « Comité de salut public »
avait déjà instauré le premier Etat totalitaire. Après Robespierre, le confort
bourgeois devint la règle, à l’exception d’un bref moment en 1848, dans lequel
Marx trouva beaucoup d’inspiration.
La Révolution soviétique est
morte quand elle a construit le Mur de Berlin. Elle était tombée malade quand
Staline avait commencé les procès publics dans les années 30, mais la
guerre lui a permis un sursis inespéré. Quand Staline a fendu Berlin en deux,
l’expérience soviétique s’est délestée de tout idéalisme : à partir de là,
nous avions deux empires en guerre, et non plus une révolution défendant ses
conquêtes sociales, pour peu qu’elles aient existées. La révolution était
devenue une vieille douairière agrippée à ses babioles.
La Révolution mexicaine est
morte quand ses chefs, moralement diminués, ont décidé de former le Parti révolutionnaire permanent, le PRI, qui a instauré la « dictature
parfaite » pour près d’un siècle. Une nouvelle classe dirigeante naquit
alors à partir de rien, et elle fit preuve de très peu de disposition à
partager.
Pourquoi donc la Révolution bolivarienne
de Hugo Chavez devrait-elle connaître un sort différent ? La seule différence
est qu’elle sombre avec une pleurnicherie pitoyable. Quand d’autres
révolutions ont terminé dans de violentes convulsions ou d’extraordinaires
contradictions, cette pseudo révolution faible d’esprit, chétive et hypocrite,
derrière laquelle se cache un caudillo démodé, se devait de terminer avec la
fermeture d’une simple station de télévision et des protestations
d’étudiants. Chavez a été créé par les médias, et le célèbre « por
ahora » de 1992 : il est donc seulement cohérent que le meurtre de
l’un de ses parents marque la fin de sa carrière de révolutionnaire
nostalgique. Nous ne devrions pas être étonnés que sa révolution basée sur la
vengeance sociale plus que sur une quelconque justice sociale se défasse,
confrontée à la véritable aspiration d’égalité qu’ont toujours engendrée les
révoltes d’étudiants.
Les étudiants qui manifestent nous offrent des
jours de gloire et de lumière. Par une ironie fantastique, la conférence de
presse des étudiants qui s’est tenue aujourd’hui sur les bancs, en plein air,
au sein du magnifique campus de l’université Simon Bolivar, était inondée d’une
clarté et d’une transparence rares, dont l’air tropical est plutôt avare. Cela
faisait des années que nous, Vénézuéliens, n’avions connu une telle clarté dans
nos pensées, dans nos espoirs. L’obscurantisme de huit années de chavismo
étouffant et matérialiste a été soudainement dissipé quand on nous a rappelé
cette semaine que certaines valeurs méritent que l’on se batte et que l’on
meure pour elles. La liberté d’expression est l’une de ces valeurs, et le
chavisme ne peut pas comprendre et ne comprendra pas qu’aucune tablette
d’aspirine gratuite fournie par le personnel douteux des cliniques de Barrio
Adentro ne compensera jamais la perte de la liberté d’expression.
C’est pourquoi peu importe le nombre
d’années où Chavez se maintiendra au pouvoir, sa révolution de pacotille a pris
fin cette semaine. Ce qui nous attend désormais, c’est une longue autopsie.