jeudi 31 octobre - par Jacques-Robert SIMON

La seule Liberté : devenir soi-même

Dès votre tout premier souffle dans ce monde, vous serez pesé, examiné, vacciné pour déterminer si vous faites bien partie de la norme (médicale) des plus nombreux. Un peu plus tard, dans votre famille, un système de récompense et de punitions est censé vous faire intérioriser les us et coutumes anciens, l'école vous permettra d'ingurgiter des programmes susceptibles de détecter les "meilleurs", finalement vous serez prié de mourir selon des modalités définies par la loi. Et la Liberté dans tout cela ?

Etre libre, c'est à dire ne pas être esclave, peut être vu comme un idéal qui surpasserait des contraintes de rang inférieur. Certaines relèvent de lois ou de règlements, et une délibération collective est censée validée leur valeur et leur utilité. Mais d'autres sont physiologiques, les pulsions, les sentiments, les désirs, ne peuvent être que très partiellement contrôlés car nichés au sein des instincts. Surpasser les lois n'est guère recommandable en dehors d'un dessein révolutionnaire, surpasser les instincts est difficile sinon impossible.

La lutte pour les libertés politique se résume (presque) toujours à une lutte contre une interdiction ou contre un système considéré comme trop oppressif : le futur proposé n'est souvent pas très explicite en dehors de slogans. Un exemple, volontairement provocateur, est fourni par l'IVG présentée comme une conquête de la Liberté des femmes : si vous êtes en faveur de cette mesure vous êtes béni par la quasi-totalité de l'intelligentsia mondiale, si vous êtes contre, vous êtes un machiste destructeur de la santé de vos égales voire de gamines, vous flirtez avec l'extrême droite bigote, vous êtes pour Trump et même pour Poutine. En deux mots vous êtes un salaud. Se positionner à ce sujet ne consiste pas à considérer des critères biologiques, moraux ou même seulement pratiques, ce qui est important c'est d'afficher son appartenance à un camp : un groupe de militant.es existe plus par ses ennemis que par lui-même.

Lutter pour renverser un régime oppresseur, pourquoi pas ? Mais un système est par essence oppressif même si la constitution proposée donne toutes les garanties imaginables pour circonvenir la coercition. Il existe bien des caractéristiques communes à tous les individus sur lesquelles on peut bâtir un ensemble de valeurs universelles, il n'en reste pas moins qu'il restera arbitraire. Les différences individuelles rendent impossibles l'application d'un même tissu de lois à tous d'une façon équitable. Les interstices non couverts par les lois seront autant de pièges pour les libertés : l'avocat glorieux mais si cher qu'on doit s'en passer, la complexité des textes qui rend impossible sa maîtrise par le plus grand nombre, les opportunités permettant d'accuser au moment choisi tel Homme politique ou tel célébrité...

Peut-on par la politique aller vers l'abolition de toutes différences entre individus, aucune différence en Droit est déjà problématique à obtenir mais il faut alors aller plus loin : gommer les différences entre la nature même des individus. Peut-on changer durablement l'âme humaine ? Les barbaries du début du XXe siècle qui prirent place au sein d'une civilisation imbibée de culture et de raffinement fruits de plusieurs millénaires de doctrine chrétienne permettent d'en douter. D'autant plus qu'aux premières secousses économiques d'après guerre les mêmes effrois réapparurent aux mêmes endroits. L'environnement a de fait un rôle biologique, un même oeuf (de tortue) devient un mâle ou une femelle selon la température environnante. Il a été aussi montré sans ambigüité qu'il est possible de transmettre des caractères acquis dans le cas des humains. Quoi qu'il en soit, genrées ou non, les contraintes physiologiques subsisteront en très grande partie, les limitations physiologiques se déplaceront mais ne disparaîtront pas. Boire aussi est un besoin vital. On peut renoncer au Champagne pour se contenter de l'eau d'un oued, c'est un choix, une liberté si l'on veut, mais on ne peut pas s'éloigner par trop de l'oued si l'on veut survivre.

La Liberté n'existe pas, il est seulement possible de choisir certaines des contraintes que l'on subit,

La vie en société a des exigences qui restreignent les choix possibles et il est inutile de les lister car chacun en est conscient. Mais la plus grande des aliénations provient du regard des autres, c'est ce regard finalement qui détermine le Bien et le Mal, ce que l'on peut faire, ce que l'on ne doit pas faire. La prégnance des contraintes s'imposent bien au delà des lois et des règlements découlant idéalement de délibérations entre adultes éveillés car elles concernent le plus profond de l'intime. Le regard des autres souhaite vous changer, vous faire devenir autre, que votre moi se transforme en "leur", que votre identité se dilue dans un collectif, vous ne devenez plus qu'un élément d'un tout. La puissance du nombre est immense et les avancées technologiques augmentent considérablement son efficacité.

La Liberté n'existe certes pas, mais il est possible, au prix d'efforts et de maîtrise de soi, de garder une bonne partie de sa liberté intérieure, c'est à dire rester soi ou devenir soi selon son cheminement. Pour se débarrasser de cette tutelle stérile que représente les Autres, il faut se poser la question : "qui sont-ils pour me juger" ? Que veut cette multitude qui se permet de m'imposer ses opinions, ses peurs, ses ressentiments ? Une fois qu'on a commencé à se détacher de la tyrannie des Autres, le chemin vers la Liberté s'entrebâille. Il ne faut cependant pas s'abandonner aux passions tristes et solitaires, la vision du réel doit être le seul objet désirable.

La Liberté n'existe pas mais malgré tout il est possible de préserver son libre arbitre, son quant-à-soi, en le mettant à l'abri des pensées chaotiques qui ne ne souhaitent que vous capter. Les courriers électroniques, les messages télévisuels, les publicités alléchantes, les tracts de propagande, les informations (presque) toujours biaisées, les commentaires qui se veulent blessants... doivent être laissés là où ils ont une utilité, c'est à dire nulle part. Rien ne doit échapper à votre propre table des valeurs, non pas pour devenir un "grand Homme" mais au contraire pour demeurer un Unique qui ne veut diriger que lui. Les sages ou les savants établis ne doivent pas être négligés mais ils ne doivent pas vous envahir, il faut ne dépendre que de soi-même pour construire une raison d'être. Ceux qui permirent à une idée de survivre avaient tous en eux cette flamme que rien ne peut éteindre.

Aucune table des valeurs n'est accessible en prêt-à-porter, mais il existe un référentiel absolu : le réel débarrassé de ses travestissements. Il y a tout lieu de penser par exemple que c'est le machinisme qui a engendré les Droits de l'Homme effectifs et non pas l'inverse. Des savants, érudits, ingénieurs, artistes ont existé sous tous les régimes politiques et c'est eux qui ont graduellement changé le Monde. Ils n'ont pas attendu l'avènement des principes politiques émancipateurs pour construire des temples, des pyramides, des cathédrales ou inventer la roue et la machine à vapeur. Ce réel surpasse en tous points les imaginaires militants ou religieux qui n'ont servi qu'à distraire les foules. Les événements s'enchaînent les uns avec les autres d'une façon mécanique et le talent des rhéteurs cache mal leur stérilité. Les plus grandes causes cachent toujours (ou presque) de petits intérêts.

Se coltiner avec le Réel et rien que lui conduit inévitablement à des erreurs. Ceci ne porte pas en conséquence si ce n'est pas volontaire. Il est utile de picorer dans l'immense champ des penseurs pour se sortir d'apparents dilemmes ou conforter un savoir personnel. Dans tous les cas, il ne restera nécessaire de ne conserver que l'esprit d'Honneur et de Justice sans lesquel toute entreprise est vaine.

La Liberté n'existe pas mais le bourreau est moins libre que sa victime si celle-ci est du bon côté de sa propre conscience. +

 



20 réactions


  • Jean Keim Jean Keim 31 octobre 09:44

    La liberté ne consiste pas à faire des choix, mais à ne pas être dupe du processus qui nous pousse à les faire.


  • ddacoudre ddacoudre 31 octobre 21:52

    bonjour

    La Liberté n’existe pas, il est seulement possible de choisir certaines des contraintes que l’on subit,

    seul l’environnement dicte nos choix et comme ce qui nous caractérise et la conscience des actions de la pensée associative pour les faire, dans le cadre des informations que nous avons recueilli et dont nous ne traitons qu’une infime partie.

    quand à être soi-même se résout à être un animal sans culture ;Or si nous l’avons développé avec toutes ses erreurs et ses conditionnements pour permettre la stabilité sociale et produire nos besoins, c’est qu’elle doit nous emmener quelques part car nous n’arrêtons pas l’évolution. j’espère que s’il y doit s’en dérouler une ce soit dans la capacité d’accélérer la lenteur de notre cerveau, et sa capacité à mémoriser.

    cordialement ddacoudre overblog


  • Aruna 1er novembre 08:59

    La Liberté est sans choix. Jiddu Krishnamurti


  • SilentArrow 1er novembre 11:50

    Devenir soi-même en devenant de moins en moins ce qu’on n’est pas


  • ZenZoe ZenZoe 1er novembre 13:50

    un groupe de militant.es ...Aaagh, que vois-je là ? Apparemment, l’auteur ne s’est pas libéré du wokisme !

     smiley


  • ZenZoe ZenZoe 1er novembre 14:06

    La liberté n’a rien à faire dans l’histoire pour devenir soi, il faut plutôt parler de courage et de combativité. Tant de gens laissent passer leurs rêves, leurs ambitions qui leur permettraient d’aller où ils doivent se trouver, parce qu’ils ont peur, qu’ils manquent de pugnacité. Alors ils invoquent des prétextes, les préjugés sociaux, les contraintes familiales, le karma, le mauvais temps... A l’heure de partir pour toujours, ils leur restera les regrets et cette idée lancinante ’’j’ai été c.. quand même...’’.

    Il y a aussi ceux qui ne savent même pas où ils habitent, où ils veulent aller, qui suivent quiconque leur paraît aller dans la bonne direction, mais pour ceux-là, la liberté ne sert à rien, ils ne sauraient pas quoi en faire.


    • perlseb 1er novembre 15:03

      @ZenZoe
      Vrai et faux à la fois. Vous allez dans le même sens que l’auteur si vous dites qu’il faut un sacré courage pour s’affranchir du regard des autres en étant soi-même plutôt que l’image que les autres veulent voir.
      Mais si vous utilisez votre courage pour chercher à plaire encore plus aux autres en essayant d’être le plus fidèle possible à l’image qu’ils veulent voir, êtes-vous vraiment libre, tout en étant courageux ? N’êtes vous pas esclave de votre peur de ne pas plaire, de ne pas être intégré ?
      Je crois qu’on peut être courageux et esclave à la fois, et c’est même souvent le cas.


    • ZenZoe ZenZoe 1er novembre 15:41

      @perlseb
      Chercher à plaire aux autres n’a rien de courageux. C’est au contraire à mon avis un aveu de faiblesse. Incapables de gravir la montagne avec leurs propres forces, ils comptent sur les autres pour les aider à grimper. Le seul esclave courageux est celui qui casse ses chaînes.
       smiley


    • perlseb 1er novembre 16:16

      @ZenZoe
      Alors je suis d’accord. Mais il faut quand même reconnaître que pour plaire aux autres, certains sont capables d"endurer des vies de souffrance qui pourraient s’apparenter à une forme de courage. C’est peut-être combativité qui m’a perdu. Si on n’a peur ni de la mort, ni du lendemain, ni du regard des autres, alors on est difficilement malléable et on peut mener une vie sobre qui ne s’apparente pas trop à de la combativité.


    • Jacques-Robert SIMON Jacques-Robert SIMON 2 novembre 10:40

      @ZenZoe
      C’est un peu pessimiste mais pas faux.


  • Eric F Eric F 2 novembre 18:28

    La liberté absolue n’existe pas, mais est-ce que le ’’soi’’ existe vraiment en absolu, indépendamment du parcours de vie et de l’environnement ?

    Nous avons une marge d’autonomie somme toute plutôt étroite


  • AmonBra AmonBra 4 novembre 12:24

    [. . .] « le bourreau est moins libre que sa victime si celle-ci est du bon côté de sa propre conscience. »


    C’est ce qu’a irréfutablement démontré Frantz Fanon en matière d’esclavage et de colonisation.

    Allant d’amble avec la conscience, dont elle une des composantes essentielles, la seule véritable liberté à laquelle on peut prétendre, est celle qu’on parvient a arracher d’abord à soi même entre ses deux oreilles, en la défendant et l’affermissant

    chaque jour et jusqu’au dernier souffle de notre vie. . .


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