vendredi 4 août 2017 - par Taverne

La vieille qui, en chutant, fit chuter le législateur !

Non, ce n'est pas l'histoire de la veille qui marchait dans la mer en hommage à Jeanne Moreau. C'est l'histoire, au départ très banale, d'une personne âgée de Quimper qui va faire tombe 27 années de lois sociales fondées sur la certitude d'un savoir-faire incomparable. Accrochez-vous, c'est un petit peu juridique mais cette histoire de chute comporte une chute savoureuse.

Mme B... fait une chute à son domicile à cause, semble-t-il, de l'aide à domicile qui intervient chez elle. Elle se dit "banco !", je vais attaquer le CCAS ( centre communal d'action sociale) de Quimper, qui emploie la professionnelle incriminée. Après son décès, c'est sa fille qui prend le relai dans la procédure conduite devant les tribunaux. Mais nul n'aurait pu se douter à ce moment précis que cette action allait remettre en cause 27 années de lois et de décrets !

Depuis les années 1990 (lois spécifiques aux établissements pour personnes âgées du 6 juillet 1990 et du 24 janvier 1997), le législateur se fait fort de se poser en défenseur des droits des usagers. Et que je fasse signer aux résidents en établissements des "contrats de séjour" et des "chartes des droits et libertés de la personne accueillie". La loi du 2 janvier 2002 a entendu développer le recours au contrat écrit entre les ESSMS et les usagers ou leurs représentants légaux. Chaque gouvernement en rajoute une couche. En témoigne endore l'article 311-4 du Code de l'action sociale et des familles (CSAF) dernièrement rédigé par une loi de 2015. Un décret du 26 novembre 2004, modifié en dernier lieu par un décret du 15 décembre 2016 concernant les établissements d’hébergement pour personnes âgées, a peaufiné les derniers cas de signature obligatoire d'un contrat de séjour ou d'un document individuel de prise en charge.

27 années d'erreur du législateur : le contrat de séjour "public" n'est pas un contrat

Dans un arrêt du 5 juillet 2017 (Conseil d'Etat, arrêt n°399977 du 5 juillet 2017, Mme B... c/ CCAS de Quimper), le Conseil d'Etat, sans se prononcer sur le fond de l'affaire, ;la renvoie devant la cour administrative d’appel pour être rejugée. Porté devant le tribunal administratif de Rennes, puis par la cour administrative d'appel (CAA) de Nantes, le recours avait été rejeté par ces deux instances, mais pour des motifs illégaux.

Voici le passage important :

« 1. Considérant que la prise en charge d'une prestation d'aide à domicile par un centre communal d'action sociale, établissement public administratif en vertu des dispositions de l'article L. 123-6 du code de l'action sociale et des familles, a le caractère d'un service public administratif ; que les usagers de ce service public ne sauraient être regardés comme placés dans une situation contractuelle vis-à-vis de l'établissement concerné, alors même qu'ils concluent avec celui-ci un " contrat de séjour " ou qu'est élaboré à leur bénéfice un " document individuel de prise en charge ", dans les conditions fixées par l'article L. 311-4 du même code ; que le moyen tiré de ce qu'un litige opposant un tel service public administratif à un de ses usagers ne peut être réglé sur un fondement contractuel est relatif au champ d'application de la loi et est, par suite, d'ordre public ; »

Il y a donc eu erreur de droit commise par les juges du fond parce qu'ils se sont fondés sur la responsabilité contractuelle du CCAS (ils ont, en effet, mal fondé leur rejet en avançant le motif que l’établissement public n’avait manqué à aucune de ses obligations contractuelles). Or, il ne convenait pas de se placer sous l’angle de la responsabilité contractuelle en ce cas. C’est ici un motif d'ordre public qui justifie l'annulation de l'arrêt.

Ce n’est donc pas le régime juridique de la responsabilité contractuelle qui doit être appliqué mais celui de la responsabilité délictuelle.

Les droits des usagers menacés

Par chance, si l'on veut, la portée est quelque peu réduite, puisque cette solution du Conseil d'Etat n’est pas transposable aux établissements et services de droit privé. Cela montre au passage que, selon la nature juridique du gestionnaire (public ou privé), le contrat de séjour n’a pas la même portée ou les mêmes effets. Ce qui est ennuyeux quand on prétend défendre une politique de respect des droits des usagers et de leur égalité devant la loi.

Mais, tous les contrats signés avec les établissements, et services sociaux et médicosociaux, publics et les personnes prises en charge, en établissement comme à domicile, eux, ne sont désormais plus des contrats !

Un législateur averti n'en vaut pas deux !

Des juristes éminents, dont le Professeur Jean-Marc Lhuillier, spécialiste très reconnu dans le domaine social, nous avaient pourtant avertis en s'interrogeant publiquement sur la nature juridique exacte du contrat de séjour dans les établissements et services de droit public. Pour le Professeur Lhuillier, «  il a toujours été admis que les usagers des établissements publics étaient en situation réglementaire et non contractuelle ». Il avait déjà relevé que la loi du 2 janvier 2002 n'allait pas manquer de poser tôt ou tard d'importantes questions juridiques dans le secteur public : « la reconnaissance d’un contrat administratif donne des pouvoirs importants à l’administration qui semblent inconciliables avec les objectifs recherchés : l’administration a un pouvoir de direction et de contrôle, de sanction, mais, surtout, dispose d’un pouvoir de résiliation unilatérale et de modification unilatérale des normes du contrat ». Le professeur Lhuillier annonçait ainsi que le juge administratif aurait à trancher cette question sur le point spécifique du régime de responsabilité applicable : responsabilité contractuelle ou délictuelle.

Source : « Le droit des usagers dans les ESSMS », Jean-Marc Lhuillier, Presses de l'EHESP, 5e édition, 2015, p. 159 et 160).

Et c'est ainsi qu'en tombant chez elle, une personne âgée de Quimper a fait tomber tout un pan du Droit ! Une chute banale peut ainsi en entraîner une autre, bien plus importante, et qu'on n'imaginait pas. Cela pose question. N'est-il pas temps que le Parlement se donne les moyens de fabriquer la loi de façon correcte et bien fondée et aussi qu'il s'assure que les textes d'application seront bien pris ? Que le gouvernement cesse d'intrumentaliser la loi comme un simple moyen d'annonce et de publicité médiatique et fasse enfin preuve de sérieux tant dans la rédaction, la procédure de vote que dans la mise en oeuvre effective ?




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