La vulnérabilité du président de la République
La vulnérabilité du président de la République.
Dans l’affaire de l’exposition (aux conséquences mortelles) des Français au « covid 19 » diverses plaintes (nous ne prendrons évidemment pas partie sur le fond) ont été déposées contre des ministres.
Compte tenu de la part prise par le président de la République dans les décisions signées par le Premier Ministre et les ministres (ou l’absence de telles décisions), et si des infractions ont d’aventure été commises, le président y est plus qu’associé.
Ce qui amène plus généralement, et en dehors ou au delà du contexte actuel, à réfléchir sur la question posée dans notre titre. Réflexion étendue, à l'occasion, aux ministres qui sont tenus par la main par le président de la République, et qui jouissent d’un statut pénal qui n’est manifestement plus adapté à certaines situations. Surtout, lorsque sont en cause la vie ou d’autres droits fondamentaux.
I.
Selon ( / grâce à…) l’interprétation que l’on donne habituellement (1) des textes constitutionnels, les ministres (A) ne risquent pas grand’chose et le président de la République (B) risque encore moins.
A.
Les Ministres sont jugés par des membres de la classe politique (12 postes sur 15 dans la « Cour de justice de la République ») que de fins juristes ont en quelque sorte installés sur les estrades des tribunaux correctionnels ou des cours d’assises.
Et l’on voit mal les parlementaires reprocher aux ministres au sein de la CJR, ce que, dans leurs hémicycles, ils ont approuvé, laissé faire faute d’idées ou par solidarité. Ou ce qu’ils ont eux-mêmes poussé à faire, comme (exemple tiré de l’actualité) organiser les élections municipales alors que le virus se répandait. Et ce, alors que le président de la République leur donnant satisfaction, a confessé qu’il avait décidé le maintien de l’opération électorale au motif qu’il n’avait pas voulu courir le risque de se voir reprocher une manœuvre politicienne.
B.
Le président de la République n’est pas jugé … du tout. Puisque la constitution ne prévoit plus - depuis 2007- que la « destitution ». Et que cette destitution ne peut techniquement pas être décidée (majorité encore plus difficile à atteindre aujourd’hui qu’avant 2007). Et si la destitution était décidée, on ne sait pas trop ce qui pourrait se passer ensuite, s’agissant des infractions pénales commises entre l’élection et la destitution. (2)
En apparence, tout est donc « verrouillé » (3) .
II.
Mais il y a une possibilité technique de dé-verrouillage.
Il suffit qu’un juge d’instruction mette en examen l’une des personnalités sus énumérées. Et, évidemment, que ses collègues du siège le suivent (cour d’appel, Cour de cassation).
Ce qui ne fait en réalité pas beaucoup de monde. Et ce qui peut être techniquement réalisé de manière fort simple (A) . A condition évidemment que le pas soit franchi au sein de l’autorité judiciaire, de vouloir éviter un usage dévoyé des textes et des procédures (B) .
A.
D’un point de vue technique, il suffit de décider que les immunités et privilèges de juridiction dont jouissent le président de la République et les ministres, ne jouent que pour autant que leurs actes ne sont pas, en raison de leur nature, de leur gravité (au regard de leurs effets par exemple sur la vie, la liberté ou d’autres droits des citoyens), « détachables » de leurs fonctions.
Et ce ne serait pas une « révolution ». C’est ce qu’ont fait les juges dans les années 1877 (4) lorsqu’ils ont estimé (ce qui est considéré comme « normal » aujourd’hui) qu’il fallait mettre un terme à l’application imbécile (conduisant à des scandales) de divers textes sur l’irresponsabilité (pécuniaire) des fonctionnaires.
Et ce, lorsque les errements des fonctionnaires étaient « détachables » de leurs fonctions. Comme un douanier qui met fin à une querelle avec son voisin, en l’abattant avec son arme de service à l’occasion d’une patrouille. Comme le chef de service d’un hôpital, qui cache une faute commise dans son service et retarde, en mentant, l’administration de soins pouvant sauver la vie d’un patient.
B.
Sur le fond, ce type de jurisprudence ne constituerait pas un « scandale ».
- Puisque les textes qui organisent des protections au profit des agents publics comme au profit des titulaires de charges gouvernementales, sont en réalité conçus dans l’intérêt du bon fonctionnement de l’Etat et de l’administration. Ces textes n’ont été ni imaginés, ni rédigés, pour permettre à des « margoulins » de sévir.
- Puisqu’il est difficile de soutenir (ou de continuer à le faire) - au moins selon les standards minimaux de l’ Etat démocratique - , qu’il est « normal » que certains soient jugés par des « juges » … qui n’en sont pas. Lesquels ne joueraient à la justice qu’en raison du principe selon lequel, en dernière analyse, l’élite politique ne fait pas partie du même monde que celui dans lequel elle relègue ceux qu’elle gouverne.
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités
(1) voir nos observations dans « textes et documents constitutionnels depuis 1958 ; Analyses et commentaires ; Dalloz-Armand Colin)
(2) ce qui a fait se demander (aux esprits malveillants) si le président de la République qui a initié la réforme de 2007 ne se s’est pas purement et simplement « moqué du monde » … sauf de lui. En effet : Si le président de la République commet des infractions de droit commun, il est protégé par les dispositions de l’article 67 de la constitution. A moins que suffisamment de parlementaires de la majorité osent et réussissent à voter la « destitution » de l’article 68. Quant aux conditions de fond de la destitution (art. 68) , le texte exige un manquement aux devoirs de la charge présidentielle, et que ce manquement soit incompatible avec l’exercice de ce mandat. Or, les devoirs du président de la République ne peuvent s’apprécier que par rapport au texte constitutionnel. Lequel se borne à traiter du fonctionnement des institutions…. Donc …
(3) Supposons que le président de la République, tel ministre et des fonctionnaires soient impliqués dans la même infraction qualifiée « crime ». Dans l’état actuel des habitudes, les fonctionnaires, derniers dans la cordée, risquent gros ( devant la Cour d'assises), le ministre pas grand’chose (devant la CJR) , et le président de la République … rien.
(4) TC 5 mai 1877, Laumonier-Carriol ; reproduit avec un extrait des conclusions Laferrière, dans M.-M. Monin, « Arrêts Fondamentaux du Droit Administratif » (n° 19-6) ; Ellipses.