vendredi 23 septembre 2011 - par Georges Kaplan

Le bonheur dans la servitude

C’est un fait entendu, si on laisse les hommes faire ce qu’ils veulent, ils utiliseront cette liberté pour faire du tort non seulement aux autres mais aussi à eux-mêmes. L’homme, c’est sa nature, est un être mauvais et irresponsable ; un loup pour ses semblables et un danger pour lui-même.

C’est pour cette raison qu’il faut le contraindre par des lois qui l’empêchent de faire ce que son cœur lui dicte et l’obligent à faire ce qu’il n’aurait pas fait s’il n’y était pas contraint. Et c’est pour faire respecter ces lois qu’il faut faire usage de la coercition, de la force si nécessaire ; c'est-à-dire qu’il faut un Etat [1]. Bien sûr, ce principe général ne peut s’appliquer ni à toi-même, cher lecteur, ni aux politiciens que tu désires voir diriger l’Etat.

Il ne peut s’appliquer à toi-même puisqu’en appelant l’intervention de la puissance publique de tes vœux, tu démontres ta sagesse et le souci que tu as de ton prochain. C’est là toute la différence : ce que désire le cœur du commun des mortels est nuisible aux intérêts du plus grand nombre mais ce que désire ton cœur va dans le sens de l’intérêt général. Si tu étais un homme ordinaire, ton opinion serait entachée de mensonge, d’égoïsme et d’irresponsabilité. Si les autres membres de la société n’étaient pas mauvais et inconséquents, il serait inutile de les contraindre par la loi et par l’Etat.

Ce principe ne peut pas non plus s’appliquer à ceux et celles à qui tu accordes ton vote. Un simple reductio ad absurdum suffit à le démontrer : si ton candidat favori était un homme comme les autres, lui confier l’usage du monopole légal de la violence reviendrait à donner tout pouvoirs à un être égoïste, menteur et irresponsable. Ce serait élever un des loups au dessus des autres, introduire un renard tout puissant dans un poulailler transformé en prison. C’est bien entendu impossible ; ne serait-ce que parce que, comme nous l’avons établi plus haut, tu es sage et qu’en tant que tel, jamais tu ne cautionnerais une telle absurdité.

La liberté est donc une mauvaise chose. Elle ne peut aboutir qu’au chaos, à l’anarchie où les forts dominent les faibles et où les membres de la société, livrés à eux-mêmes, prendront des décisions impropres à les rendre heureux. Seuls les hommes d’Etat choisis par toi-même et ceux qui partagent ton opinion sont à même de gouverner la société. Parce qu’ils sont sages, ils sont capables d’organiser notre vie en commun de la meilleure manière qui soit. Parce que leurs aspirations sont élevées, ils savent, mieux que leurs sujets eux-mêmes ce qui est bon pour eux et n'abuseront pas des pouvoirs qui sont les leurs.

Il s’en suit naturellement que la démocratie est un mal vicieux : en effet, puisque l’égoïsme, le mensonge, la tricherie et l’irresponsabilité dominent le cœur des hommes, ils risquent de faire un mauvais usage de cette liberté qui leur est donnée. Comment un homme qui est incapable de se gouverner lui-même pourrait-il prétendre participer au gouvernement de la cité ? Je sais – nous l’avons dit – que ton cœur est grand et que tu répugnes à imposer tes idées par la force mais tu sais bien que c’est inévitable. Comment parvenir à une société égalitaire sans avoir recours à la force et à la confiscation des biens des plus riches pour les distribuer aux plus nécessiteux ? Comment obtenir des égoïstes qu’ils travaillent et produisent sans que l’appât du gain ne les motive ? Comment obtenir des fainéants qu’ils travaillent et produisent si cela n’a plus d’incidence sur leur bien être matériel ? Tu vois bien que c’est la nature des hommes qui rend la démocratie impossible.

C’est pour leur bien que l’Etat règlemente jusqu’aux moindres aspects de la vie de ses sujets ; avec qui ils se marient, ce qu’ils mangent, boivent et mettent dans leurs corps, ce qu’ils peuvent dire et entendre, ce qu’ils peuvent lire et écrire, l’équipement de leurs maisons et de leurs voitures, la manière dont ils prennent soin de leur santé et de leur retraite, le travail qui occupe leurs journées et le salaire qu’ils touchent en retour et même la manière dont ils éduquent leurs enfants.

C’est pour mieux éduquer les hommes qu’il faut confier l’éducation des enfants à l’Etat ; c’est ainsi, comme au temps de l’agôgè spartiate, que nous pouvons espérer construire une société d’individus à ton image, sages, vertueux, prêts au sacrifice pour la nation, débarrassés de leurs vices, de leurs envies, de leurs particularités, de leurs idées propres, de leur créativité et de leurs rêves.

Car tu sais, toi qui es si sage, qu’il est dans la nature des choses que l’individu mauvais, tricheur, menteur et irresponsable s’efface devant la nation, la collectivité, le groupe. Tu sais que l’homme ne vit pas pour être sa propre fin mais pour servir une cause plus élevée. Tu sais que le bien du groupe et de la cause qu’il sert justifie le sacrifice de quelques individus car l’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers et puisque la fin justifie les moyens. Tu sais, enfin et au regard de tout ce que nous avons dit, que le bonheur véritable et la véritable élévation spirituelle ne se conçoivent que dans la servitude et le sacrifice. C’est à ce prix que nous viendrons enfin à bout de l’homme, cet être mauvais, menteur, tricheur et irresponsable.

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[1] Que nous écrivons avec une majuscule. Note la puissance des symboles : en 1789, on écrivait « l’Etat » et les « Membres de la Société », aujourd’hui « l’Etat » a gardé sa majesté mais, sans même y penser, tu écris les « membres de la société ».



20 réactions


  • Robert GIL ROBERT GIL 23 septembre 2011 08:14

    Le syndrome du larbin est un comportement pathologique visant à prendre
    systématiquement la défense des classes les plus favorisées au détriment de celles
    dont il est issu. Ce syndrome diminue les capacités d’analyse du larbin et se traduit
    par un blocage psychologique l’incitant à agir préférentiellement contre ses propres
    intérêts au profit de ceux qui l’exploitent.Lire :

    http://2ccr.unblog.fr/2010/12/22/le-syndrome-du-larbin/


    • Kalki Kalki 23 septembre 2011 11:12

      Il reste que les possédants ? qui font semblant de travailler et qui ne travaillent pas … ouah, et il reste des IMBECILES QUI CROIENT AVEC HYPOCRISIE QUE TOUT IRA BIEN OU QUI ONT PRIS L’IDEOLOGIE DE LEUR MAITRE ( SYSTEM JUSTIFICATION, et collaboration de classe ), TOUT N’IRA PAS BIEN POUR EUX … BIENSUR !!! Car il n’y a besoin au final de personne qui travaillent, la destruction du travail s’accélère : et à chaque seconde qui passe vous perdez toute chance de survivre libre, et vivant dans la durée : l’absolution n’est pas dans la soumission à des nazis, mais l’être humain est foncièrement lache et surtout imbécile. ( oui on a le droit de vous traiter d’imbéciles c’est ce que vous êtes )

      Plus personne ne travaille,

      vous ne travaillez pas, et vous n’irez pas jusqu’à la retraite.

      50 euro de materiel pour produire votre nourriture


  • Georges Kaplan Georges Kaplan 23 septembre 2011 09:24

    Robert Gil,

    Je viens de parcourir rapidement le texte vers lequel vous me renvoyez. En rhétorique, on appelle ça un « argumentum ad hominem » ; c’est une technique destinée à disqualifier un argument en discréditant celui qui le porte. Par exemple, si monsieur A déclare que la terre est ronde et que monsieur B souhaite réfuter cette thèse mais ne dispose d’aucun argument crédible à opposer à monsieur A, il suffit par exemple d’affirmer que A est le « larbin » d’un groupe mal intentionné qui souhaite faire croire que la terre est ronde.

    Dans le cas que vous soumettez ici, le discrédit se fonde sur l’idée selon laquelle votre adversaire ne dispose pas de toutes ses facultés mentales et se laisse manipuler par des groupes d’intérêt. Au titre des arguments fallacieux qui relève de l’« argumentum ad hominem », vous auriez pu aussi invoquer la malhonnêteté (« Georges Kaplan est lui-même un riche patron et il plaide pro domo ») ou le fanatisme (« Georges Kaplan est un idéologue adepte du Dieu Marché »).

    Comme la plupart des procédés sophistiques, l’« argumentum ad hominem » est un marqueur très puissant : il signale, dans une discussion, que celui qui l’emploie n’a aucun argument rationnel à opposer à son adversaire. Ainsi, « Georges Kaplan est un larbin »signifie en fait « je n’ai aucun argument à opposer à Georges Kaplan ».

    Bien sûr, je sais bien que votre objectif est aussi de me blesser personnellement. Mais ça ne fonctionne pas ; vous ne m’avez même pas effleuré. Désolé pour vous.


    • pilhaouer 23 septembre 2011 14:21
      Pour info : Description de l’auteur par lui-même sur son site : « L’ordre spontané » !

      A la croisée du libéralisme classique français et de l’école autrichienne d’économie, un plaidoyer pour un retour des idées libérales fondées sur la raison et l’humanisme des Lumières.

      Par Georges Kaplan

      Mais Monsieur Kaplan-Hayek, vous professez des idées : homo oeconomicus rationnel, main invisible du marché, gna, gna, gna .... , qui sont une resucée de très vieilles théories remisées après la crise de 1929 et totalement réfutées depuis longtemps. Votre secte nous offre actuellement un spectacle tragi-comique tel qu’il devrait vous conduire à un départ sur la pointe des pieds mais comme tous les gourous vous préférerez la destruction et le chaos total.

      Georges Kaplan ne s’appelle –de toute évidence – pas vraiment Georges Kaplan puisque Georges Kaplan est un leurre.

      EXACTEMENT !

      Et ... vous, de Marseille qui aimez les bateaux, le Phocéa, ça vous tente ?


  • chapoutier 23 septembre 2011 09:33

    C’est à ce prix que nous viendrons enfin à bout de l’homme, cet être mauvais, menteur, tricheur et irresponsable.

    n’est-ce pas la description de sarkozy ?


    • Georges Kaplan Georges Kaplan 23 septembre 2011 09:41

      chapoutier,

      Si, entre autres.

    • Georges Kaplan Georges Kaplan 23 septembre 2011 10:17

      Andromède,

      Notez cette subtile différence : si un employeur vous impose des contraintes qui ne vous plaisent pas, vous avez la possibilité de ne pas travailler pour lui ; en revanche, si l’Etat vous vous impose des contraintes qui ne vous plaisent pas, vous n’avez pas d’autres options que d’obtempérer ou de quitter le pays.


    • Georges Kaplan Georges Kaplan 23 septembre 2011 10:22

      Andromède,

      L’équation « chômeur = fainéant » n’est pas de moi. C’est un procès d’intention que vous me faites. Le fait est que l’être humain travaille rarement pour le seul plaisir de travailler ; il travaille par appât du gain (salaires et profits dans un système capitaliste) ou par peur des représailles (camp de rééducation par le travail dans un système socialiste).

      Et si, au travail il y a des improductifs, des bras cassés, des brasseurs de vent et des postes inutiles (principalement dans la fonction publique d’ailleurs) ; en revanche vous ne pouvez pas espérer produire quoique ce soit sans travailler. N’est-ce pas ?


  • gaijin gaijin 23 septembre 2011 10:24

    « L’homme, c’est sa nature, est un être mauvais et irresponsable »
    ben non ce n’est pas un fait entendu. l’homme n’a pas de nature il est un potentiel
    " Elle ne peut aboutir qu’au chaos, à l’anarchie où les forts dominent les faibles et où les membres de la société, livrés à eux-mêmes, prendront des décisions impropres à les rendre heureux."
    euh .... contrairement a ce qui se passe actuellement ?

    bravo pour ce monument d’humour ...


  • Alpo47 Alpo47 23 septembre 2011 11:20

    J’ai compris l’auteur ....

    L’Etat tout puissant ... liberticide, prédateur ... etc ... que vous décrivez ... je n’en veux pas.
    Je veux être libre, penser par moi même, pouvoir entreprendre, oser, donner libre cours à mes capacités ... JE VEUX DONC UN SYSTEME LIBERAL, qui baignera dans le CAPITALISME le plus débridé (encore plus qu’actuellement) et dans lequel je pourrais entreprendre ... d’abord et UNIQUEMENT pour ma poire et ... fuck les autres.

    (Et à la limite, si ça ne marche pas pour moi, je demanderais à l’Etat, les autres ploucs, de mettre leur argent pour m’aider à surmonter ce « passage à vide », bon ça, c’était sous-entendu)

    J’ai tout bon là ?


    • Georges Kaplan Georges Kaplan 23 septembre 2011 11:59

      Alop47,

      Oui, c’est à peu près ça à deux détails prêt : (i) pas »fuck les autres« , je suis tout à fait prêt à donner de mon temps et de mon argent à ceux qui en ont besoin à l’unique condition que je choisis qui je veux aider ; c’est ce que j’appelle »solidarité" et="et" si="si" je="je" demande="demande" de="de" bien="bien" fera="fera" rien="rien" sous="sous" aucun="aucun" mon="mon" me="me">span>


    • Alpo47 Alpo47 23 septembre 2011 12:28

      Ca va, je respire, je vous ai bien compris...
      Sauf que ... de ma part, c’était du second degré.


  • iris 23 septembre 2011 11:21

    ne rien faire pas consommer c’est aussi bon pour l’écologie et pour la planète !!
    mais les descendants on s’en fout !! ils feront comme ils peuvent surtout que si ça continue ils seront bien moins nombreux !!


  • pissefroid pissefroid 23 septembre 2011 11:59

    Si ce texte est une parodie, c’est assez bien vu.

    Sinon

    dire que « l’homme, c’est sa nature, est un être mauvais et irresponsable » est stupide.

    L’homme est formaté par son environnement familial, social, et économique.

    C’est parce que la société nous apprend qu’il faut se battre pour réussir que nous sommes devenu mauvais et irresponsable.

    La société ne nous apprend pas l’émulation, elle nous apprend le combat, elle ne nous apprend pas à être meilleur que l’autre, elle nous apprend à être plus fort que l’autre.


  • pastori 23 septembre 2011 13:17

    à moins de faire partie des castes privilégiées, être de droite aujourd’hui c’est obligatoirement être frappé du syndrome du larbin. comment celui qui n’a pas une richesse acquise et certaine pourrait-il être favorable à l’esclavage, à l’égoïsme, au chacun pour soi alors qu’il en est la première victime ?


     « de l’esclavage volontaire » écrit par La Boétie en 1500 et quelque...est totalement d’actualité.
    on y trouve comment sarkosy et ses compères arrivent et se maintiennent au pouvoir grâce à l’appui de ceux qu’ils maltraitent.

    livret gratuit sur internet, à lire impérativement !

  • Jason Jason 23 septembre 2011 13:36

    Ce billet ne m’apprend pas grand’chose. Sinon qu’on ne naît pas homme, on le devient (Erasme, repris par de Beauvoir : on ne naît pas femme...), que l’homme est méchant, justifiant le « Homo homini lupus » de Hobbes, que c’est un animal grégaire, très discuté au XVIIIème. Et bien d’autres propos convenus.

    Comme quoi, en partant d’un peu partout, on finit toujours par arriver quelque part.


  • Inquiet 23 septembre 2011 14:18

    C’est bien beau de pointer le sophisme « argumentum ad hominem » lorsqu’on commence sa démonstration par un postulat : « l’homme, c’est sa nature, est un être mauvais et irresponsable ; un loup pour ses semblables et un danger pour lui-même. »

    Comment peut-on fait plus mauvaise fois ?

    Le but recherché par l’auteur est un des plus simple : légitimer le libéralisme par du darwinisme social.

    Sa méthode consiste à utiliser l’ironie qui permet à défaut de prouver, d’imager, de faire passer « un bon moment ».

    Nous sommes dans le sophisme le plus grand.

    Puisqu’on est dans le sophisme pourquoi me priverait-je ? :

    cela me rappelle une démonstration de mon voisin conservateur sur le fait que les inégalités sociales étaient une pure vue de l’esprit, ça vaut son pesant d’or :
    « puisque statistiquement il est difficile d’accorder une importance primordiale aux extrêmes (courbe de Gauss, loi des 80/20 ...), les gens sont quasiment tous de même niveau social (classes moyennes) donc il n’y pas d’inégalités sociales »

    Dans le même ordre d’idée l’auteur ne nous dit pas plus que cela : « puisque ce que dont j’ai envie est grosso-modo ce que les gens ont envie (hors sdf, ermites, autistes, malades ...) il n’y a pas de raison que mon égo soit supérieur aux autres et inversement puisque seul mon sort m’intéresserait et que donc il ne peut avoir une démocratie d’égo, en conséquence il vaut mieux remettre sa destinée à la »main invisible du marché« plutôt qu’à une fausse espérance démocratique »


  • foufouille foufouille 23 septembre 2011 17:26

    parodie un peu dur
    le comportement humain depend aussi de la societe


  • Xtf17 xtf17 23 septembre 2011 18:34

    Un retour à l’American Dream ? Le mythe du self-made man ?
    Bah vu l’état des US avec leur dette, leurs pauvres, leur chomage, leurs expropriés, pour ne parler que de ça......


  • Axel de Saint Mauxe Axel de Saint Mauxe 23 septembre 2011 19:19

    Sans m’étendre, je pense que l’auteur a tort de s’en prendre au régime démocratique.


    Je lui rappelle aimablement que le régime démocratique a permis la prise du pouvoir par la bourgeoisie la plus cupide.

    Cupidité, goût de l’argent (facile tant qu’à faire) qui semble être pour l’auteur la plus haute des vertus.

    Ce n’est pas mon cas, dommage, car il y a quand même des choses bien dans cet article.

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