mercredi 14 septembre 2022 - par Jean Dugenêt

Le capitalisme en Russie après la révolution d’octobre 1917

Du « communisme de guerre » à la NEP (Nouvelle Politique Economique)

Nous allons voir comment a fonctionné le capitalisme en Russie après la révolution de 1917 car, bien que cela aille à l’encontre d’une idée reçue, le capitalisme n’a pas disparu en Russie avec la révolution. Les capitalistes étrangers ont même été autorisés à investir en Russie. D’ailleurs, la société Ford qui était déjà implantée en Russie a coopéré avec le gouvernement soviétique pour continuer son activité industrielle. En 1930, l’usine de montage d’automobiles KIM de Moscou a ouvert ses portes pour assembler la voiture de tourisme Ford A et le camion Ford AA. En 1932, des spécialistes américains ont participé à la construction d'une toute nouvelle usine automobile soviétique, qui est rapidement devenue l’usine automobile Gorki. L'usine produisait les légendaires voitures GAZ, qui ont été construites à l'aide des technologies Ford. Bien d’autres entreprises étrangères ont investi en Russie notamment dans des mines.

Cependant, le capitalisme en Russie a pris des formes particulières. Lénine parlait d’un « capitalisme d’Etat ». De plus, il a évolué en fonction de la situation politique. Il était différent pendant la période de « communisme de guerre » et pendant la NEP (Nouvelle Politique Economique). Nous allons voir cela plus précisément. En montrant que le capitalisme n’a pas disparu du jour au lendemain, mon intention n’est pas de minimiser l’ampleur des mesures réellement révolutionnaires prises à la suite de la révolution. En voici une liste.

  1. La fin de la guerre impérialiste. Aussitôt après la prise du pouvoir, le gouvernement fait une proposition d’armistice, afin de rendre possibles des négociations immédiates pour aboutir à un accord de paix. Le gouvernement lance un appel « aux peuples et aux gouvernements de toutes les nations belligérantes » en vue d’une « paix démocratique juste », c’est-à-dire «  immédiate, sans annexions (…) et sans réparations ». L’aboutissement fut la paix de Brest-Litovsk.
  2. Le gouvernement soviétique décrète « l’égalité et la souveraineté de tous les peuples de Russie », c’est-à-dire le « droit des peuples de Russie à disposer librement d’eux-mêmes, y compris le droit de sécession et de formation d’un État indépendant », « l’abolition de tout privilège et restriction de caractère national ou religieux  » et « le libre développement des minorités nationales et groupes ethniques peuplant le territoire russe ». Outre le droit de créer un Etat indépendant, ils avaient aussi le droit d’adhérer à l’URSS ou de s’en séparer librement.
  3. Le gouvernement soviétique prit toutes les mesures démocratiques radicales dans le domaine politique afin d’assurer l’égalité formelle de tous les citoyens : les ordres (noblesse, clergé, etc.) et les privilèges qui y étaient liés sont abolis, ainsi que tous les titres nobiliaires et qualifications ; les biens de ces privilégiés sont immédiatement confisqués. Cette égalité formelle ne garantissait malheureusement pas l’égalité de fait.
  4. Laïcité. Le décret du 23 janvier 1918 acte la séparation de l’Église et de l’État.
  5. Le droit de vote pour les femmes. La loi accorde exactement les mêmes droits aux femmes qu’aux hommes en toutes matières.
  6. Une femme (Alexandra Kollontaï) est membre du gouvernement. C’est la première fois au monde que cela se produit. Quelque temps plus tard, une deuxième femme, Elena Stassova entre aussi au gouvernement.
  7. Egalité totale des droits dans le mariage et le divorce. Le droit au divorce par consentement mutuel est reconnu. Le salaire des femmes est égal à celui des hommes. A travail égal, salaire égal. Des congés de maternité sont octroyés ainsi que l'égalité de reconnaissance entre enfants légitimes et naturels.
  8. L'homosexualité est dépénalisée en 1922.
  9. L'interruption de grossesse est légalisée en 1920. C’est la première fois au monde que cette décision est prise.
  10. La propriété privée du sol est abolie (la terre ne peut être ni vendue, ni achetée, ni hypothéquée), le sol et le sous-sol (minerai, pétrole, charbon, etc.) deviennent propriétés de l’État soviétique.
  11. Confiscation sans indemnités des domaines des grands propriétaires fonciers et de l’Église, avec tous leurs bâtiments et dépendances, ainsi que le cheptel mort ou vif. Le décret sur la terre est promulgué : « la grande propriété foncière est abolie immédiatement sans aucune indemnité ». Les soviets de paysans peuvent en faire ce qu’ils désirent : socialisation de la terre ou partage entre les paysans pauvres.
  12. La journée de 8 heures est instaurée dès le 27 octobre 1917.
  13. Le contrôle ouvrier est instauré. Celui-ci portait sur la production, la conservation, l’achat et la vente de tous les produits et de toutes les matières premières dans toutes les entreprises employant au moins 5 salariés et réalisant un bénéfice d’au moins 10 000 roubles. Il devait être exercé, selon la taille de l’entreprise, soit directement par les ouvriers, soit par l’intermédiaire de leurs représentants.
  14. Ouverture des livres de compte. Totale transparence. Le décret sur le contrôle ouvrier précisait que « tous les livres de comptabilité et les documents, sans exception, ainsi que tous les stocks et dépôts de matériaux, outils et produits, sans aucune exception, doivent être ouverts aux représentants élus par les ouvriers et les employés » et que «  les décisions des représentants élus par les ouvriers et les employés sont obligatoires pour les propriétaires des entreprises et ne peuvent être annulées, sauf par les syndicats et par les congrès syndicaux ».
  15. Le monopole du commerce extérieur a été institué aussitôt après la Révolution d'Octobre 1917. Pendant la période du « communisme de guerre », le contrôle de l'Etat était très étroit, mais le capital étranger ne cherchait guère à s'investir en Russie dans cette période de conflit où toutes les puissances étrangères soutenaient les « blancs ».
  16. Nationalisation des principaux trusts et des grandes entreprises : elles deviennent la propriété de l’État soviétique ; leur gestion est assurée par les représentants élus des ouvriers de l’usine en question, sous la direction du pouvoir soviétique.
  17. Le système bancaire devient un monopole d’État (14 décembre 1917). « Toutes les banques privées et tous les comptoirs bancaires existants sont fusionnés dans la Banque d’État », qui «  prend à son compte l’actif et le passif des établissements liquidés ». Le décret précise que «  les intérêts des petits déposants seront entièrement sauvegardés ». Cette mesure a pour objet d’une part de briser un des instruments décisifs de la domination du grand capital et constitue le préalable à toute réorganisation de l’économie de façon rationnelle dans l’intérêt de l’immense majorité.
  18. Répudiation de la dette. Le régime tsariste était endetté avant-guerre auprès des capitalistes occidentaux (principalement auprès de la France et de l'Angleterre) et cette dette s'est envolée pendant la guerre. C'étaient les fameux « emprunts russes ». Une des premières mesures des bolchéviks fut de répudier la dette publique, par un décret du 29 décembre 1917.
  19. Instauration du premier système complet d’assurance sociale. S’il existe aujourd’hui des systèmes d’assurance sociale dans la plupart des pays, les travailleurs de ces pays le doivent avant tout à la lutte de classe révolutionnaire du prolétariat russe, ainsi qu’à celle des autres prolétariats d’Europe entre les deux guerres et surtout au sortir de la Deuxième Guerre mondiale.
  20. Enseignement général obligatoire laïque et gratuit. La Russie est un pays dans lequel, en 1917, l’écrasante majorité de la population ne savait ni lire, ni écrire. C’est évidemment un obstacle considérable à la mise en place d’une démocratie authentique et à tout développement économique moderne. C’est pourquoi le gouvernement décide dès le début 1918 la mise en place d’un enseignement général, obligatoire et gratuit.

Imaginez l’effet produit ne serait ce que par l’apparition de deux femmes dans un gouvernement (Alexandra Kollontaï et Elena Stassova). Cela était inimaginable dans la plupart des pays. Alexandra Kollontaï est nommée commissaire du peuple à l’assistance publique de novembre 1917 à mars 1918. C’est « une féministe passionnée, théoricienne de l’amour libre, combattant pour l’émancipation et les droits des femmes. Et encore une amoureuse dont les amours tumultueuses choquent Lénine, ce qui ne l’empêche pas d’être une mère attentive à son fils » (Présentation du livre que lui a consacré Hélène Carrère d’Encausse). Elena Stassova sera nommée ensuite. Il y eut en effet plusieurs remaniements.

Le gouvernement Russe au début de 1918.

Alexandra Kollontaï est assise à gauche de Lénine et Elena Stassova est à sa gauche

En France, les inégalités de droits entre la femme et l’homme ne seront intégralement supprimées que dans les années 60 alors que l’égalité de droit est totale en Russie dans le couple au lendemain de la révolution. Le divorce par consentement mutuel est admis. En France, il faudra attendre la libération pour que les femmes aient le droit de voter. Cela est institué en Russie en 1917. En France, faudra attendre la loi Veil de 1975 pour dépénaliser l’interruption volontaire de grossesse autorisée dès 1920 en Russie… Dans le domaine social, la journée de 8 heures est instituée alors qu’auparavant les ouvriers pouvaient travailler jusqu’à 14 ou 16 heures par jour. Les ouvriers doivent être des citoyens à part entière. Cela suppose qu’ils aient du temps libre pour s’informer, participer à la vie publique notamment aux réunions des soviets qui sont les principaux organes de décision. Les discussions y étaient enflammées comme on le voit dans cet extrait du film « Red » que je vous invite à visionner pour vérifier que les réunions des soviets de 1917 n'avaient rien de commun avec les cérémonies staliniennes.

Un effort est porté sur l’enseignement. Le gouvernement supprime toutes les barrières légales à l’accès des enfants d’ouvriers et de paysans à l’enseignement supérieur général et technique. Les barrières qui écartent les enfants des familles pauvres sont le plus possible supprimées : abolition des frais universitaires… Certes, les inégalités sociales demeurent et restent un frein à l’accès à l’enseignement pour les plus pauvres. Mais, de multiples initiatives sont prises pour en réduire les effets. Des chtcharachkas (communautés) sont mises en place pour prendre en charge l'éducation des dizaines de milliers d'orphelins. Dès décembre 1917, les écoles religieuses sont nationalisées et tous les signes religieux sont retirés des écoles.

Les grandes lignes de la politique bolchévique en matière de sécurité sociale sont exposées dans la proclamation de Chliapnikov (Commissaire du peuple au travail) :

« 1) Extension des assurances à tous les salariés sans exception, ainsi qu’aux indigents des villes et des campagnes ;

2) Extension des assurances à toutes les catégories d’incapacité au travail, notamment la maladie, les mutilations, l’invalidité, la vieillesse, la maternité, la perte du conjoint ou des parents, ainsi que le chômage ;

3) Obligation pour les employeurs d’assumer la totalité des charges sociales ;

4) Versement d’une somme au moins égale au salaire intégral en cas d’incapacité de travail ou de chômage ;

5) Gestion entièrement autonome de toutes les caisses d’assurances par les assurés eux-mêmes. »

C’est une avancée considérable qui anticipe grandement ce que sera la sécurité sociale en France et dans les autres pays.

Pour constater que le capitalisme n’a pas pour autant disparu, il faut examiner maintenant les décisions qui ont été prises pour le fonctionnement de l’économie russe. L’accent est mis sur le contrôle ouvrier et non pas sur la suppression du capitalisme. La nuance est de taille. En 1918, un journaliste (Edward Alsworth) demanda à Trotsky :

« L’objectif de votre parti est-il d’exproprier les propriétaires des entreprises industrielles russes ? »

Voici sa réponse :

« Non, nous ne sommes pas encore prêts à prendre le contrôle de l’industrie. Ce moment viendra, mais personne ne peut dire quand. Pour le moment, on s’attend que les revenus d’une usine rémunèrent annuellement le propriétaire à hauteur de 5% à 6% de ses investissements. Ce que nous visons maintenant, c’est le contrôle, plutôt que la propriété. »

Il s’agit donc bien de maintenir la propriété privée dans l’industrie. Trotsky précise ensuite ce que sera le contrôle ouvrier. (Voir l’article : Conversation avec Léon Trotsky. Contrôle ouvrier et nationalisation).

Comme les soviets ou les comités d’usine, le contrôle ouvrier résultait d’un mouvement spontané de la classe ouvrière, une méthode de lutte née de la lutte des classes elle-même et non pas d’une initiative du parti bolchevique. Celui-ci a repris à son compte cette aspiration de la masse des travailleurs.

Le contrôle ouvrier était avant tout un moyen de défense face au sabotage des patrons. De nombreuses usines avaient été fermées et barricadées ou laissées sans activité. Dans de nombreux cas, les travailleurs, défendant leur emploi et la révolution, occupèrent leur lieu de travail.

Après la victoire de la révolution d’octobre, le gouvernement soviétique adopta le 14 novembre 1917 un décret sur le contrôle ouvrier à partir d’une ébauche faite par Lénine. Il est explicitement précisé que les propriétaires continuent à avoir un rôle :

« Dans toutes les entreprises, les propriétaires et les représentants des ouvriers et employés, membres élus des commissions de contrôle, sont responsables devant le gouvernement de l'observation de l'ordre le plus rigoureux, de la discipline et de la sauvegarde des biens de l'entreprise. », « Les questions contentieuses, les conflits entre les commissions ouvrières de contrôle, les recours des propriétaires d'entreprises contre les décisions de ces dernières commissions, sont de la compétence des commissions régionales de contrôle. »

Ce décret reconnaissait les comités d’usine comme l’organe de contrôle de chaque entreprise et essayait de les réorganiser à un niveau régional ainsi que dans un conseil panrusse des contrôles ouvriers.

Les bolchéviques, conscients de l’impossibilité d’atteindre directement le socialisme dans une Russie arriérée, et conscients du manque d’expérience administrative des travailleurs, désiraient établir un régime de contrôle ouvrier jusqu’à ce que de l’aide vienne de la révolution à l’ouest, plus particulièrement d’Allemagne et de sa classe ouvrière puissante et éduquée.

Evidemment, cette situation d’attente restait conflictuelle entre les propriétaires et les employés. Les patrons s’opposèrent au contrôle ouvrier par davantage de sabotages et de lock-out, auxquels le gouvernement répondit par des nationalisations punitives. Comme Trotsky l’avait expliqué, en cas de sabotage ou d’abandon, les patrons perdaient leurs usines. La révolution n’avait pas supprimé la lutte des classes. L’expression « dictature du prolétariat » prend tout son sens dans cette situation. Il s’agit d’imposer le pouvoir des travailleurs aux propriétaires capitalistes qui veulent continuer à défendre leurs privilèges.

Le contrôle ouvrier est l’un des moyens permettant d’assurer le pouvoir des travailleurs contre les capitalistes. Il va de pair avec les autres mesures prises pour contrôler l’économie comme la totale transparence avec l’ouverture des livres de compte. L’objectif est double : d’une part, il s’agit pour le gouvernement soviétique d’assurer rapidement un fonctionnement, le plus efficace possible, de l’économie, ce qui implique avant tout de se doter de tous les moyens nécessaires pour combattre le sabotage de la part des capitalistes ; d’autre part, le but est de permettre aux ouvriers de se former ainsi peu à peu à la gestion d’une entreprise. En ce sens, le contrôle ouvrier est une mesure transitoire dirigée vers la gestion ouvrière totale et directe.

Une autre importante mesure prise par le jeune Etat soviétique fut la nationalisation des banques. Ils dotèrent ainsi l’Etat bolchévique d’un puissant outil économique ainsi que d’un centre comptable vital pour toute l’économie.

Cependant, il fallut prendre des mesures énergiques pour contrer le sabotage des capitalistes Alors que la Russie était menacée par la famine, les riches paysans confisquaient les céréales. Alors que le gouvernement soviétique était en quête de combustible pour faire face aux demandes de l’armée rouge qui s’engageait dans la guerre civile, les patrons des sociétés pétrolières menaçaient d’un lock-out, confiants dans le fait que les travailleurs ne pourraient pas faire tourner l’industrie. Toutes les forces réactionnaires mondiales anticipaient avec impatience l’effondrement du jeune Etat soviétique.

Au cours de l’été 1918, le gouvernement soviétique nationalisa les secteurs clefs de l’économie. Toutes les industries impliquées dans les mines, l’ingénierie, le textile, les composants électroniques, le bois, le tabac, le verre, la céramique, le cuir, le ciment, le caoutchouc, le combustible et les transports furent nationalisées. Il était nécessaire de protéger du sabotage de la bourgeoisie ces industries vitales et de les réorganiser pour l’effort de guerre. Les bolchéviques ont ainsi nationalisé les principaux trusts et les grandes entreprises : elles sont devenues la propriété de l’État soviétique. Leur gestion fut assurée par les représentants élus des ouvriers de l’usine en question, sous la direction du pouvoir soviétique.

Le congrès des Conseils Economiques, formé en décembre 1917, décida d’établir des comités de direction pour toutes les entreprises nationalisées. Ils se composaient comme suit : 1/3 du comité provenait des Conseils Economiques régionaux ou du Soviet Economique Suprême, 1/3 des syndicats, et 1/3 des travailleurs de l’entreprise même. Les comités d’usine furent transformés en cellules de base des syndicats et commencèrent à gérer et administrer l’industrie. Ces mesures furent prises pour assurer la planification démocratique ainsi que la socialisation de l’économie. Cela garantissait le contrôle démocratique de la classe ouvrière, dans son ensemble, sur l’économie, et pas simplement des travailleurs d’usines prises séparément. Cette forme de syndicalisme qui avait dominé d’avant octobre jusqu’à l’été 1918 avait provoqué de fortes tensions et engendré compétition, accumulation et profit, paralysant ainsi l’économie dans son ensemble. La recherche d’un gain maximal au niveau d’une unique entreprise peut en effet aller à l’encontre de l’intérêt général. Ces nouvelles mesures renversèrent cette tendance chaotique et elles étaient nécessaires pour garantir la victoire des Soviets pendant la guerre civile.

Délégués de la première conférence des délégués d’usine

Le Conseil supérieur de l’économie nationale, composé essentiellement de délégués des syndicats ouvriers a été mis en place après ces grandes nationalisations. Cette institution avait pour but d’organiser rationnellement la production à l’échelle de l’ensemble de la République selon les décisions politiques prises par le pouvoir soviétique. Un institut national de statistiques est aussi mis en place pour contribuer à la réalisation de cette tâche. Dans la mesure où elles restent partielles et se font sur la base d’une économie qui reste capitaliste, ces mesures reviennent à mettre en place ce que Lénine appelle un « capitalisme d’État ».

La confiscation des grands domaines allait aussi dans ce sens. Cette mesure ne concernait ni les terres ni le cheptel des simples paysans ou cosaques. Le décret du 19 février 1918 sur la socialisation de la terre précise les conditions de la jouissance égalitaire du sol :

«  Dans les limites de la République Fédérative Soviétique de Russie, peuvent jouir de lots de terre en vue d'assurer les besoins publics et personnels :

A) pour les œuvres éducatives culturelles :

1. l’État représenté par les organes du pouvoir soviétique (...).

2. Les organisations publiques (sous le contrôle et avec l'autorisation du pouvoir soviétique local).

B) Pour l'exploitation agricole :

3. Les communes agricoles.

4. Les associations agricoles.

5. Les communautés rurales.

6. Les familles ou individus... » (Art. 20).

Elle dispose que la gestion des terres sous la direction du pouvoir soviétique a pour objet de « développer les exploitations agricoles collectives plus avantageuses au point de vue de l'économie du travail et des produits, par absorption des exploitations individuelles, en vue d'assurer la transition à l'économie socialiste  » (Art. XI, paragraphe e).

Ce décret sur la socialisation de la terre précise les dispositions prises auparavant par le second décret de la révolution d'Octobre, écrit par Lénine et adopté par le Congrès des Soviets le 26 octobre 1917 (8 novembre 1917 dans le calendrier grégorien). Ce deuxième décret, dit le « décret sur la terre », met fin à la seigneurie foncière russe et légitime l'appropriation, effectuée depuis l'été par les paysans, des terres cultivables ayant appartenu aux grands propriétaires ou à la couronne, voire aux paysans aisés. Le texte entérine une réalité déjà existante, puisque les paysans se sont déjà emparés des terres pendant l’été 1917. Ainsi, les bolchéviks s’assurent la neutralité bienveillante des campagnes. Ces décrets ont été remplacés par le code foncier de 1922.

Là encore, les mesures économiques et sociales prises par le gouvernement dirigé par les bolchéviks n’abolissent pas totalement le capitalisme : le prolétariat ayant pris le pouvoir dans un pays sous-développé, devait inévitablement commencer par accomplir jusqu’au bout les tâches démocratiques-bourgeoises de la révolution. Mais, à chaque fois, les mesures sont réalisées de façon à préparer l’avenir, c’est-à-dire précisément le passage du « capitalisme d’État » soviétique au socialisme : en ce sens, elles sont transitoires. Ce qui distingue donc fondamentalement la Russie soviétique des États capitalistes de l’époque, qui en raison des nécessités de la guerre ont aussi procédé à une série de mesures de nationalisations, c’est la structure de l’État.

L’économie de la Russie a été bouleversée par la guerre civile qui était aussi une guerre contre la bourgeoisie mondiale. Boukharine écrit dans « La dictature du prolétariat en Russie et la révolution mondiale » (page 7)

« Le prolétariat russe n’a pas prouvé son impuissance mais bien sa force gigantesque. En luttant littéralement contre le capitalisme du monde entier (outre l'Angleterre, le Japon, l'Amérique, la France, l'Italie, la Pologne, l'Allemagne, la Finlande, etc., etc., les Etats neutres mêmes nous font une guerre de fait comme l'a démontré le complot récemment découvert à Petrograd et dont les fils étaient noués dans les consulats neutres), en édifiant son armée rouge, en y jetant les neuf dixièmes de ses meilleures forces, la classe ouvrière a au cours des deux années pendant lesquelles elle a conservé le pouvoir, considérablement amélioré dans tous les domaines l'appareil gouvernemental. Ce n'est pas sa faute, si la révolution mondiale n'a pas encore cassé les reins à l'un des gros requins du capitalisme allié. Il n'en découle qu'une moralité : ne point gémir, ne point épiloguer sur l'impuissance du prolétariat comme le font les débaucheurs professionnels de la classe ouvrière, mais aller avec assurance, fermement, vers le renversement du capital, la dictature ouvrière, l'alliance des pays soviétistes. »

 

Dans un pays écrasé par son retard, face au sabotage général de la bourgeoisie russe et cerné de toutes parts par ses ennemis impérialistes, le prolétariat russe, jeune et inexpérimenté, fut capable d’organiser la gestion de l’industrie. Ceci est une preuve de la créativité de la classe ouvrière et de sa capacité à transformer la société.

Néanmoins, l’économie de l’Union soviétique sortit brisée de la guerre civile. En 1921, la production industrielle et agricole atteignait seulement 13% de son niveau d’avant-guerre. Sept années complètes de guerre, de révolution et de guerre civile ont fait payer un lourd tribut à l’économie et au pays dans son ensemble. Après tous les sacrifices faits pour gagner la guerre civile, la classe ouvrière émergea « déclassée », selon les mots de Lénine. La plupart des travailleurs les plus conscients étaient morts au front.

Pour faire face à cette situation dramatique, Lénine lance le 12 mars 1921 la Nouvelle Politique Economique (NEP). La décision est prise en mars 1921 lors du Xème congrès du PC. Lénine fait un long rapport d’activité du comité central le 8 mars 1921. Je conseille la lecture intégrale de ce rapport. Je vais en citer quelques extraits. Voici d’abord quelques lignes qui résument bien la situation de la Russie en 1921.

« Après avoir subi une guerre impérialiste dévastatrice, suivie d'une épreuve telle que plusieurs années de guerre civile, le pays ne pouvait, bien entendu, subsister qu'en consacrant toutes ses forces au front. Et, bien entendu, le pays ruiné ne pouvait agir autrement qu'en prenant aux paysans leurs excédents même s'il ne pouvait rien leur donner en échange. Il le fallait pour sauver le pays, l'armée et le pouvoir des ouvriers et des paysans. Nous avons dit aux paysans : « Bien sûr, vous donnez à titre de prêt votre blé à l'Etat des ouvriers et des paysans ; autrement, vous ne pouvez protéger votre Etat contre les grands propriétaires fonciers et les capitalistes. » Nous ne pouvions agir autrement dans les conditions que nous imposaient les impérialistes et les capitalistes en nous faisant la guerre. Nous n'avions pas d'autre choix. Mais ces circonstances ont fait que, après une si longue guerre, l'économie paysanne est devenue tellement faible que la mauvaise récolte a été provoquée à la fois par la réduction des emblavures, la mauvaise qualité des moyens de production, la diminution du rendement, la pénurie de main-d'œuvre, etc. La récolte a été désastreuse, et la collecte des excédents alimentaires, supérieure malgré tout à nos prévisions, est allée de pair avec une telle accentuation de la crise, qu'elle nous réserve peut-être pour les mois prochains des difficultés et des maux plus grands encore. Ce fait doit être soigneusement pris en considération dans l'analyse de notre politique de l'année écoulée et dans l'appréciation des objectifs politiques pour la nouvelle année. L'an passé a légué à l'année suivante les mêmes tâches urgentes. »

La révolution de 1917 est une révolution prolétarienne. Elle a été déclenchée dans les grandes villes mais, la majorité de la population est constituée de paysans. Pendant les années de guerre impérialiste et de guerre civile, d’énormes sacrifices ont été demandés à la paysannerie pour nourrir les villes et l’armée. De nombreux paysans étaient d’ailleurs dans l’armée le plus souvent au titre de la conscription. Il fallait demander aux paysans, et même exiger d’eux, qu’ils aillent à l’encontre de leur démarche naturelle. Nous savons en effet que les périodes de pénurie alimentaire dans les villes sont généralement des périodes fastes pour les campagnes car les paysans peuvent faire de belles affaires en vendant leurs produits à qui ils veulent et au prix qu’ils veulent. Bien évidemment, le pouvoir des bolchéviks n’a pas permis cela. Les bolchéviks ont imposé un prix aux marchandises. Ils ont procédé à des réquisitions.

Lénine dans son rapport répète plusieurs fois que le Comité Central a fait des erreurs. Le Comité Central n’a pas vu que cette question était la plus importante. Il dit notamment :

« la discussion sur les syndicats qui a pris tellement de temps au parti. J'ai déjà eu l'occasion d'en parler aujourd'hui et, évidemment, je ne pouvais que dire avec circonspection que beaucoup d'entre vous considèrent sans doute cette discussion comme un luxe abusif. Quant à moi, je ne peux manquer d'ajouter que, à mon avis, ce luxe était absolument inadmissible, et que nous avons à coup sûr commis une erreur en tolérant une pareille discussion »

Pour reprendre une métaphore bien connue, je dirais que Lénine reproche au Comité Central d’avoir perdu son temps en « querelles byzantines ». Les délégués discutaient en effet de choses bien futiles au regard de la situation. Ils étaient tels les prêtres orthodoxes de Constantinople qui discutaient du « sexe des anges » alors que leur civilisation allait disparaître. Les turcs, assiégeant la ville, se préparaient en effet à anéantir le dernier bastion de l’antique chrétienté face à l’islam.

Il était en effet tout autant dérisoire de discuter des syndicats au moment où le problème à régler était celui des relations avec la paysannerie.

« dans un pays à forte prédominance paysanne, si cette paysannerie est de plus en plus mécontente de la dictature prolétarienne, si la crise de l'économie paysanne est au paroxysme, si la démobilisation d'une armée paysanne jette sur le pavé des centaines et des milliers d'hommes brisés, qui ne trouvent pas de travail, qui sont habitués uniquement au métier des armes et qui répandent le banditisme ce n'est pas le moment de discuter de déviations théoriques. »

La situation de la paysannerie s’aggrave en effet du fait de la démobilisation puisque, la guerre civile étant finie, les nombreux paysans démobilisés retournent chez eux le plus souvent sans travail. Ils avaient rejoint l’armée rouge par obligation en application de la conscription. Les révoltes paysannes éclatent et ses hommes qui ne connaissent que le métier des armes risque fort de répandre le banditisme. Ces paysans se retrouvent comme les mercenaires au chômage qui, au Moyen-âge, ne vivaient que de maraudes et de rapines. A cette époque les bandes de Makhno trouvent un terrain favorable. Elles recrutent des paysans mécontents pour lutter contre les bolchéviks après la victoire contre les blancs. Les armées vertes, qui avaient parfois combattu les blancs au côté de l’armée rouge, se retournent maintenant contre le régime bolchévik.

La guerre civile ne s’était pas limitée à la lutte entre les blancs et les rouges. Les paysans étaient le plus souvent contre les blancs puisqu’ils avaient dépossédé les riches propriétaires lesquels étaient à leurs yeux le prototype de la réaction blanche. Mais ils se sont aussi souvent soulevés contre la conscription, les réquisitions des « excédents » de leurs cultures par Moscou pour nourrir l’armée et les villes. Lénine répète que les rapports entre la classe ouvrière et la paysannerie constituent maintenant le véritable problème auquel les bolchéviks sont confrontés et qu’il n’est plus question de « se payer le luxe » de discuter d’autre chose. Il va falloir serrer les rangs autour de quelques propositions pour se sortir de cette situation. Voici notamment un extrait où il explique cela :

« Et c'est pourquoi il me semble qu'il faut dire que si nous nous sommes payé le luxe de donner au monde un échantillon stupéfiant de la façon dont un parti, en proie aux difficultés d'une lutte sans merci, accorde une attention démesurée à certains détails de programmes, - et cela en dépit de la mauvaise récolte, de la crise, de la ruine et de la démobilisation dans lesquelles nous nous débattons, - nous tirerons à présent de ces leçons une conclusion politique, et pas seulement une conclusion indiquant telle ou telle erreur, mais une conclusion politique touchant les rapports entre les classes, entre la classe ouvrière et la paysannerie. Ces rapports ne sont pas tels que nous le pensions. Ils exigent du prolétariat une cohésion et une concentration des forces infiniment plus grandes, et en régime de dictature du prolétariat, ils représentent un danger bien plus grand que tous les Dénikine, Koltchak et Ioudénitch réunis (Il s’agit des trois plus importants généraux des armées blanches). Personne ne doit se faire d'illusion à ce propos, car ce serait l'illusion la plus fatale ! Les difficultés que suscite cet élément petit-bourgeois sont considérables, et pour les surmonter il faut une grande cohésion, qui ne soit pas uniquement formelle, il faut un travail uni et fraternel, une volonté commune, car c'est seulement avec une volonté semblable de la masse prolétarienne que le prolétariat peut atteindre dans un pays de paysans ses objectifs géants de dictature et de direction. »

Il continue en rappelant que le fait que la révolution soit restée isolée est le pire des handicaps mais il ne faut pas se contenter d’attendre une aide extérieure qui viendrait d’une victoire de la révolution dans un autre pays. Les bolcheviks russes doivent être capable de « guérir, graduellement au moins, les maux et les crises qui s'abattent sur » la Russie.

Mais, en tout état de cause, si nous allions supposer qu'à brève échéance l'aide nous viendrait de ces pays sous forme d'une révolution prolétarienne stable, ce serait tout simplement de la folie, et je suis sûr qu'il n'y a pas dans cette salle d'insensés de ce genre. Durant trois ans, nous avons appris à comprendre que miser sur la révolution internationale ne veut pas dire compter sur une date déterminée, et que la cadence d'évolution qui s'accélère sans cesse peut amener la révolution au printemps, mais peut aussi bien ne pas l'amener. Voilà pourquoi nous devons savoir conformer notre activité aux rapports de classe à l'intérieur de notre propre pays et des autres pays, afin d'être en mesure de maintenir pendant longtemps la dictature du prolétariat et guérir, graduellement au moins, les maux et les crises qui s'abattent sur nous. Seule cette façon de poser le problème est juste et lucide. »

Depuis que la Russie est sortie victorieuse de la guerre civile, la question des rapports de la Russie avec les autres pays se pose sous une forme nouvelle. Il faut maintenant envisager de participer au commerce international et de recevoir des investissements étrangers. La Russie possède des réserves naturelles importantes de minerais et d’hydrocarbures mais elle n’est guère capable de les exploiter à cause de son retard industriel. Elle ne possède pas la technique et le matériel nécessaire. Comment faire pour combler ces lacunes ? Il faudrait bénéficier de l’équipement et d’un apport technique de l’étranger. Lénine explique :

« Cette alliance avec les trusts d'Etat des autres pays évolués nous est absolument indispensable car notre crise économique est si profonde que nous serons incapables de relever par nos propres moyens notre économie dévastée sans l'équipement et les concours techniques de l'étranger. L'importation de cet équipement, à elle seule, n'est pas suffisante. »

Il faudrait vendre des concessions c’est-à-dire attribuer une partie des ressources naturelles de la Russie à des capitalistes étrangers afin qu’ils les exploitent avec leurs moyens techniques et investir les recettes pour que la Russie exploite elle-même d’autres ressources naturelles en s’équipant et en appliquant les techniques ainsi importées. Quelle proportion faudrait-il ainsi céder à des puissances étrangères ? Voici ce qu’explique Lénine.

« On peut accorder des concessions sur des bases beaucoup plus larges, peut-être même aux plus gros consortiums impérialistes : un quart de Bakou, un quart de Grozny, un quart de nos meilleures ressources forestières, de façon à nous assurer la base nécessaire grâce à un équipement moderne ; par ailleurs, nous obtiendrons en contrepartie l'équipement dont nous avons besoin pour le restant. Nous pourrons ainsi rattraper quelque peu, ne fût-ce que d'un quart, ou de la moitié, les consortiums avancés des autres pays. Sans cela, nous serons dans une situation très difficile, et sans la tension extraordinaire de nos forces, nous ne les rattraperons pas ; nul ne peut avoir le moindre doute à ce sujet s'il envisage notre situation actuelle avec tant soit peu de lucidité. Nous avons déjà engagé des pourparlers avec quelques-uns des plus gros trusts du monde. Bien entendu, ils le font non point pour nous rendre service, mais uniquement en vue d'en retirer des bénéfices énormes. Pour employer un langage de diplomate pacifique, le capitalisme moderne est un brigand, un trust de brigands, ce n'est plus le capitalisme ancien de l'époque normale ; il réalise des bénéfices fabuleux grâce à son monopole sur le marché mondial. Cela nous reviendra très cher, sans doute, mais nous n'avons pas d'alternative, puisque la révolution mondiale se fait encore attendre. Nous ne possédons pas d'autre possibilité de hausser notre technique au niveau moderne. »

Lénine ajoute que, dans l’urgence, il a même fallu acheter du charbon à l’étranger au lieu d’exploiter celui de la Russie que ce soit ou non avec des moyens venant de l’étranger.

« Le 1er février 1921, le Conseil des Commissaires du Peuple a pris la décision d'acheter à l'étranger 18 500 000 pouds de charbon, car notre crise de combustible se dessinait déjà. Il est apparu alors qu'il nous faudrait dépenser nos réserves d'or non seulement pour l'achat de l'équipement. Ce dernier aurait accru notre production houillère, et notre économie se serait mieux portée si, au lieu d'acheter du charbon, nous avions fait venir de l'étranger des machines pour développer l'industrie houillère. Mais la crise était si aiguë qu'il a fallu renoncer à ce mode d'action, meilleur, sur le plan économique, au profit du moins bon, et consacrer des fonds à l'achat du charbon que nous aurions pu avoir chez nous. II nous faudra faire des concessions encore plus grandes pour acheter des articles d'usage courant destinés aux paysans et aux ouvriers. »

Lénine aborde ensuite la question de l'émeute contre-révolutionnaire de Cronstadt organisée par les socialistes-révolutionnaires, les mencheviks, les gardes blancs et soutenue par les impérialistes étrangers qui éclata le 28 février 1921. Les chefs de l'émeute avancèrent le mot d'ordre « les Soviets sans les communistes », se proposant d'écarter les communistes de la direction des Soviets, d'abolir le régime soviétique et de rétablir le capitalisme en Russie.

« Je voudrais maintenant dire quelques mots des événements de Cronstadt. Je n'ai pas encore les dernières nouvelles mais je ne doute pas que cette insurrection où l'on a vu rapidement se profiler les généraux blancs que nous connaissons si bien, soit écrasée dans les jours qui viennent, voire même dans les heures qui viennent. Il ne peut y avoir de doute à ce sujet. Mais nous devons étudier de près les leçons politiques et économiques qui se dégagent de cet événement. »

Pour avoir plus de précisions sur ce sujet, il faut se reporter au livre de Jean-Jacques Marie intitulé tout simplement « Cronstadt ». Cette émeute contre-révolutionnaire s’inscrit dans le cadre plus général dont nous avons déjà parlé du mécontentement de la paysannerie qui se manifeste aussi avec les bandes de Machno et les armées vertes. Les soldats qui sont stationnés à Cronstadt sont en effet pour la plupart des fils et frères de paysans. Comme de nombreux paysans, ils ne supportent plus les réquisitions de vivres destinées à nourrir les villes et l'armée quand elle était engagée dans cette guerre civile qui a ruiné le pays. Ils dénoncent, la politique du parti communiste au pouvoir et stigmatisent sa mainmise sur les soviets dont ils exigent le renouvellement immédiat avec une élection à bulletins secrets. Cette insurrection a rassemblé 27 000 marins et soldats. Au moment où Lénine présente son rapport du Comité Central, cela fait déjà une dizaine de jours que l’insurrection a commencé et la décision a été prise par les bolchéviks d’en venir à bout. Comme Lénine le déclare, il ne faut pas douter qu’elle sera écrasée dans les prochains jours. Ce sera fait le 18 mars. La forteresse de Cronstadt protège en effet l’accès à la mer Baltique de Pétrograd et il est hors de question pour les bolcheviks de prendre le risque de laisser cette position stratégique dans des mains étrangères. Voyons plus précisément ce que dit Lénine à propos de cette insurrection.

« Cet événement, rapproché de toutes les crises, doit être très attentivement pris en considération, très minutieusement analysé, du point de vue politique. Des éléments petits-bourgeois anarchistes, toujours orientés contre la dictature du prolétariat, ont revendiqué la liberté du commerce. Cet état d'esprit s'est largement répercuté sur le prolétariat. Il s'est reflété dans les entreprises de Moscou et dans de nombreuses localités. Cette contre-révolution petite-bourgeoise est sans nul doute plus dangereuse que Dénikine, Ioudénitch et Koltchak réunis (Il s’agit des trois principaux généraux des armées blanches), parce que nous avons affaire à un pays où le prolétariat est en minorité, nous avons affaire à un pays où la ruine a atteint la propriété paysanne, et où, par surcroît, nous avons une chose comme la démobilisation de l'armée qui fournit une quantité invraisemblable d'éléments insurrectionnels. Si petit ou peu notable que fût au début, comment dirais-je, ce décalage du pouvoir que les marins et ouvriers de Cronstadt proposaient, ils voulaient corriger les bolcheviks sous le rapport de la liberté du commerce, il semblait bien que ce transport fût peu notable, que les mots d'ordre du « Pouvoir des Soviets » fussent identiques à quelques changements près, à quelques amendements près, mais en réalité les éléments sans-parti ont fait office de marchepied, de gradin, de passerelle pour les gardes blancs. Du point de vue politique, c'est inévitable. Nous avons vu les éléments petits-bourgeois, les éléments anarchistes dans la révolution russe, nous les avons combattus pendant des dizaines d'années. Depuis février 1917, nous avons vu ces éléments petits-bourgeois à l'œuvre pendant la grande révolution, et nous avons vu comment les partis petits-bourgeois tentaient de déclarer que leur programme est fort peu différent de celui des bolcheviks, mais qu'ils le réalisent par d'autres méthodes. Nous le savons, non seulement grâce à l'expérience de la Révolution d'Octobre, nous le savons aussi par l'expérience de la périphérie, des différentes parties de l'ex-Empire russe, et où les représentants d'un autre pouvoir se sont substitués au régime soviétique. Rappelons-nous le comité démocratique de Samara ! Ils se présentaient tous avec les mots d'ordre de liberté, d'égalité, d'Assemblée constituante, et non pas une fois, mais plusieurs fois on s'est aperçu qu'ils n'étaient qu'un gradin, qu'une passerelle pour l'instauration du pouvoir des gardes blancs. »

Le comité de Samara se présentait comme un gouvernement russe opposé aux bolchéviques. Il a été fondé le 8 juin 1918 à Samara. Il s’est finalement rallié aux armées blanches de Sibérie. Lénine reprend cet exemple pour montrer où mènent les oppositions aux bolchéviques. La guerre civile n’avait en effet que deux issues possibles : la victoire de l’un des deux camps : les rouges ou les blancs. Jamais un gouvernement émanant de Samara, de Makhno, des armées vertes ou de Cronstadt n’aurait pu prendre et conserver le pouvoir. La paysannerie comme la petite bourgeoisie oscille entre les deux classes antagonistes que sont le prolétariat et la bourgeoisie. Pour vaincre la bourgeoisie dans un pays dont la population est majoritairement paysanne le prolétariat doit avoir les paysans avec lui mais bien évidemment la bourgeoisie essaie de dresser les paysans contre les ouvriers. Lénine explique cela et demande cohésion et discipline aux bolcheviks sur les mesures à prendre.

« Nous devons comprendre qu'en période de crise de l'économie paysanne nous ne pouvons subsister autrement qu'en faisant appel à elle pour aider les villes et les campagnes. Nous devons nous souvenir que la bourgeoisie cherche à dresser les paysans contre les ouvriers, qu'elle cherche à dresser contre ces derniers les éléments petits- bourgeois anarchistes sous le couvert de mots d'ordre ouvriers, ce qui entraînera directement la chute de la dictature du prolétariat, partant, la restauration du capitalisme, de l'ancien pouvoir des propriétaires fonciers et des capitalistes. Le danger politique est évident. Ce chemin, de nombreuses révolutions l'ont suivi très nettement ; ce chemin nous l'avons toujours indiqué. Il était tracé avec netteté devant nous. Il exige, sans nul doute, du parti communiste à la tête du gouvernement, des éléments révolutionnaires prolétariens dirigeants, une attitude autre que celle qui s'est bien souvent manifestée cette année. Ce danger exige sans aucun doute davantage de cohésion, sans aucun doute davantage de discipline, sans aucun doute plus d'unité dans le travail ! Sans cela, on ne saurait vaincre les difficultés qui nous sont échues. »

Pour avoir une meilleure productivité de l’agriculture, il faudrait socialiser davantage le travail par la collectivisation et mécaniser l’agriculture. Les premiers vrais tracteurs, avec un bâti unitaire en fonte, sont apparus en Amérique en 1917 avec le Fordson de Ford. Il est produit à la chaîne en Amérique. Il faudrait assurément faire la même chose en Russie mais le retard général de l’industrie ne le permet pas.

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Le Fordson F sorti des chaînes de montage américaine en 1920

Pour l’instant, en Russie, il faut déjà faire un effort pour donner aux paysans le moyen de s’outiller convenablement. Il ne peut être question de mécanisation. Dans ces conditions, il serait illusoire de penser que la collectivisation, à elle seule, pourrait amener de grandes améliorations.

« Ici, le rôle du prolétariat consiste à diriger la transition de ces petits exploitants vers le travail socialisé, collectif, communautaire. Théoriquement, c'est incontestable. Cette transition, nous l'avons abordée dans toute une série d'actes législatifs, mais nous savons qu'il s'agit moins des actes législatifs que de l'application pratique, et nous savons que nous pourrons l'assurer quand nous aurons une grosse industrie extrêmement puissante capable de fournir au petit producteur des biens qui lui démontreront de façon pratique les avantages de la grande production. »

A partir ce ces réflexions, Lénine arrive à des propositions concrètes pour lancer une politique économique différente de celle du « communisme de guerre ». Il dit notamment :

« Lorsque nous consacrons tous nos efforts à relever l'économie, nous devons savoir que nous avons devant nous le petit cultivateur, le petit patron, le petit producteur qui travaillent pour le marché jusqu'à la victoire complète de la grosse production, jusqu'à son rétablissement. Or, ce dernier ne pourra plus se faire sur l'ancienne base : c'est l'affaire de nombreuses années ; il faudra pour cela des dizaines d'années au moins, sinon plus, étant donné notre ruine. Mais en attendant, nous devrons, pendant de longues années, avoir affaire au petit producteur, et avec lui le mot d'ordre de liberté du commerce sera inévitable. Le danger de ce mot d'ordre n'est pas de dissimuler les visées des gardes blancs et des mencheviks, mais d'être susceptible de prendre de l'extension, malgré la haine que la masse paysanne nourrit à l'égard des gardes blancs. Il prendra de l'extension parce qu'il répond aux conditions économiques de l'existence des petits producteurs. C'est en s'inspirant de ces considérations que le Comité central a adopté une décision et ouvert la discussion sur le remplacement des réquisitions par un impôt en nature, et qu'aujourd'hui il a posé directement la question au congrès, ce que vous avez approuvé par votre résolution d'aujourd'hui. La question de l'impôt et des réquisitions est posée dans notre législation depuis longtemps, depuis la fin de 1918. La loi en date du 30 octobre 1918 qui frappe les paysans de l'impôt en nature a été adoptée, mais elle n'a pas été appliquée. La promulgation a été suivie en l'espace de quelques mois de plusieurs règlements, et la loi est restée lettre morte. D'autre part, la réquisition des excédents était une mesure que la guerre avait rendue absolument indispensable, mais qui ne correspond point aux conditions tant soit peu pacifiques d'existence de l'exploitation paysanne. Le paysan doit avoir la certitude qu'après avoir donné tant à l'Etat, il peut disposer de tant pour le marché local. »

Les bolchéviks reviennent à une mesure qui avait été adoptée en octobre 1918 mais jamais appliquée puisque, pour répondre aux besoins urgents de la guerre civile, il avait fallu procéder massivement à des réquisitions. La solution consiste à fixer un impôt en nature au paysan et à lui laisser toute liberté pour ce qu’il produira en plus. C’est la principale mesure concrète de la NEP. Après s’être acquitté de l’impôt, le paysan pourra vendre le reste de sa production à qui il veut et au prix qu’il veut comme dans un système capitaliste classique. Il sera alors uniquement soumis aux règles du marché et de la concurrence, à la loi de l’offre et de la demande. Lénine et les bolcheviks espèrent ainsi regagner la confiance des paysans alors que bien des symptômes, comme la révolte de Cronstadt, montrent qu’ils sont en train de la perdre. Ils espèrent aussi encourager ainsi la paysannerie à produire davantage. La révolution est maintenant menacée par un péril interne. La révolution de peut avoir que deux issues possibles la victoire de la classe ouvrière ou la victoire de la réaction. Nous savons ce que serait une victoire de la réaction. La défaite de la Commune de Paris avec les massacres qui ont suivi sont dans tous les esprits. Il faut aussi se souvenir des paroles de Kornilov :

« Même si nous devons brûler la moitié de la Russie et verser le sang des trois quarts de la population, nous le ferons si c’est nécessaire pour sauver la Russie ».

Ne doutons pas une seconde de ce qu’aurait été une défaite de la guerre civile avec assurément des adversaires prêts à verser le sang des trois-quarts de la population. Mais répétons qu’il n’est pas possible de sortir de cette alternative : victoire des rouges ou victoire des blancs. En aucun cas des forces petite-bourgeoises ne peuvent prendre le pouvoir. Quand elles se révoltent contre le nouveau pouvoir révolutionnaire, elles ne peuvent que servir la réaction comme l’a fait le « gouvernement de Samara ». Rappelons, car nous l’avons déjà signalé, que ce gouvernement s’était imposé de juin à novembre 1918 pour s’opposer aux bolchéviks. Il s’était rapidement rallié aux armées blanches de Koltchak. Lénine dit :

« Nous n'oublions pas qu'il existe différentes classes et que la contre-révolution petite-bourgeoise anarchiste marque sur le plan politique une étape vers le pouvoir des gardes blancs. Nous devons regarder les choses en face, lucidement, en nous rendant compte qu'il faut, d'une part, le maximum de cohésion, de sang-froid et de discipline au sein du parti prolétarien, et d'autre part, toute une série de mesures économiques que nous n'avons pu encore appliquer en raison des circonstances militaires. Nous devons reconnaître comme indispensable les concessions, l'achat de machines et d'instruments pour les besoins de l'agriculture, afin de les échanger contre du blé et rétablir de la sorte entre le prolétariat et les paysans des rapports qui assurent son existence en temps de paix. »

Maintenant que les bolchéviks ne sont plus contraints par les « circonstances militaires », il faut faire des concessions à la paysannerie en introduisant une part de libéralisme dans l’économie. Cela s’ajoute à la décision de faire appel à des capitaux étrangers dans le but de moderniser l’industrie. Lénine veut aussi prendre des mesures pour lutter contre la bureaucratie. Pour faire fonctionner le pays après la guerre civile, il a en effet fallu mettre en place tout un appareil de fonctionnaires. Cela a amené certaines déviances avec l’apparition de divers petits chefs. Lénine demande que la possibilité d’exercer des recours contre les décisions des « bureaucrates » soit davantage effective en saisissant notamment l’Inspection ouvrière et paysanne.

 « il faut comprendre que la lutte contre la bureaucratie est absolument nécessaire et qu'elle est aussi compliquée que la lutte contre l'élément petit-bourgeois. Dans notre structure étatique, la bureaucratie est devenue un mal tel que le programme de notre parti en fait état, ceci parce que la bureaucratie est liée à l'élément petit-bourgeois et à son éparpillement. On ne peut vaincre cette maladie que par l'union des travailleurs qui doivent savoir non seulement acclamer les décrets de l'Inspection ouvrière et paysanne (les décrets que l'on acclame, ce n'est pas ce qui manque) mais aussi exercer leur droit par l'intermédiaire de l'Inspection ouvrière et paysanne, ce qui ne se fait pas actuellement, pas plus à la campagne que dans les villes et même dans les capitales ! Bien souvent, ceux qui récriminent le plus contre la bureaucratie sont incapables d'exercer leur droit. Il faut porter la plus grande attention à ce fait. »

L’ensemble de ces mesures (Appel à des capitaux étrangers, injection d’une part de libéralisme dans l’économie particulièrement pour la paysannerie, lutte contre la bureaucratie…) sera assurément une réussite pour sauver la révolution. Le bilan positif sera reconnu par tous jusqu’au milieu des années 20 alors que les bolchéviks vont se déchirer après la mort de Lénine. Staline mettra un point d’arrêt brutal à la NEP en lançant le premier plan quinquennal qui mènera à un désastre (Voir mon article : « de la « dékoulakisation » à la famine »).

 



19 réactions


  • Clark Kent Clark Kent 14 septembre 2022 10:45

    « D’ailleurs, la société Ford qui était déjà implantée en Russie a coopéré avec le gouvernement soviétique pour continuer son activité industrielle. « 


    L’argent n’a pas d’odeur : lien.


    Dans son livre « The International Jew. The World’s Foremost Problem  », le même Henry Ford, viscéralement antisémite, expliquait que bolchevique n’aurait été que « la couverture externe d’un coup longuement planifié pour établir la domination d’une race ». Les soviets ne seraient qu’un déguisement de l’institution juive du kahal. et tous les dirigeants « rouges », à commencer par Trotski seraient juifs.

    Pour lui, les communistes auraient prétendu que Lénine n’était pas juif, mais que« ses enfants parlaient yiddish » et il qu’il aurait remplacé par décret, « le
    dimanche chrétien par le shabbat ». Mais, disait il, tôt ou tard la Russie authentique se réveillerait et « sa vengeance serait terrible » : « Imaginons qu’il n’y ait plus de Sémites en Europe. Est-ce que ce serait une tragédie si terrible ? Pas du tout ! (...) Un jour, ils vont cueillir ce qu’ils ont semé. »


    Ça ne l’a pas empêché de placer ses billes dans ce camp-là, tout comme dans le camp nazi.



    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 14 septembre 2022 22:26

      @Clark Kent
      C’est bien connu : il n’y a pas eu révolution en Russie mais un complot judéo-bolchévique !


    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 15 septembre 2022 06:57

      @Clark Kent

      "L’argent n’a pas d’odeur"

      Vous avez raison de faire cette remarque. C’est en effet le point de vue des capitalistes. Il ne faut jamais l’oublier. Les actionnaires de Ford envisageaient de collaborer avec les bolchéviks en pleine guerre civile et quelques décennies plus tard, ils collaboraient aussi, et en même temps, avec les nazis. Plus récemment, il faut comprendre que L’État Islamique n’a eu aucune difficulté pour écouler son pétrole. En plein blocus contre Cuba, l’Iran ou la Russie, il y aura toujours des sociétés capitalistes pour trouver que c’est une occasion formidable pour faire de bonnes affaires. Au moment du démantèlement de l’URSS, les apparatchiks-truands-nouveaux-riches ont trouvé moyen d’écouler des quantités de stocks d’armes et même d’uranium... Il y avait toujours des capitalistes pour acheter.

      Cela est fondamental pour comprendre les contradictions du système. J’explique dans l’article comment Lénine a su jouer sur ces contradictions en cherchant des investisseurs étrangers pour exploiter les mines russes. Ils savaient qu’ils n’étaient attiré que par l’appât du gain mais il y trouvait son compte. Il avait besoin d’eux pour s’accaparer leurs techniques d’exploitation afin de les utiliser pour les autres mines.

      L’affaire de son transfert de Suisse en Russie via l’Allemagne évoquée par d’autres (ci-dessous) doit être analysée avec le même point de vue. Il savait jouer sur les contradiction du système. Il jouait sa propre carte en sachant que le gouvernement allemand y trouvait son compte (Ils envoyaient un révolutionnaire semer la pagaille chez leur ennemi).


  • Étirév 14 septembre 2022 13:05

    En 1905, le Tsar Nicolas II refusa d’accepter la création sur le sol Russe d’une Banque centrale, comme cela arrivera en 1913 avec la création de la « Federal Reserve » aux USA, banque qui, au moyen du contrôle du crédit, aurait permis aux « puissance d’argent » de contrôler l’économie Russe.

    Le premier organisme bancaire central en Russie a été créé le 12 juin 1860 sous le nom de Banque d’État de l’Empire russe, qui a été formée sur la base de la Banque commerciale d’État par l’oukaze (décret ou édit) de l’empereur Alexandre II. Il était précisé dans les statuts que cette banque était destinée au crédit à court terme du commerce et de l’industrie. Au début de 1917, la banque comptait onze succursales, 133 bureaux permanents et cinq bureaux temporaires et 42 agences.

    Le 7 novembre 1917, C’est-à-dire au commencement de la « révolution », la Banque d’État Russe fut dissoute et remplacée par la Banque populaire de Russie ; on passera alors d’un Gouverneur de la banque nommé par Nicolas II, à un Président du Conseil d’Administration nommé par le Premier ministre de l’Union Soviétique, en l’occurrence Lénine (rappelons que la famille impériale a été massacrée en juillet 1918). La Banque populaire de Russie existera jusqu’à la création, en 1923, de la Gosbank (banque centrale de l’Union Soviétique) devenue depuis décembre 1991, la Banque centrale de la fédération de Russie.
    Le cartel des banques centrales représente le monopole ultime. Il jouit d’un monopole sur le crédit des gouvernements, et son but est de convertir ce monopole en un monopole exclusif sur tout : la politique, la culture, l’économie, la religion etc.
    Ces institutions sont nées sous le signe de l’imposture : présentées comme des banques d’État, elles disposaient à ce titre de la garantie de l’État (c’est-à-dire des contribuables de l’État) alors que ses capitaux restaient dans des mains privées. L’appropriation par des intérêts privés est le vice initial du concept de banques centrales. C’est ainsi que la banque d’Angleterre (1694), la Banque de France (1800), la Réserve Fédérale américaine (FED, 1913), la Banque des Règlements Internationaux (BRI, 1930), le système européen de banques centrales (dit SEBC, décidé par le traité de Maastricht en 1992 et entré en vigueur en 1999) reflètent, toutes, un désengagement des instances politique de l’État dans la gestion centralisée des masses monétaires en circulation.
    Les banques centrales sont aujourd’hui l’élément pivot, fondamental, du système monétaire mondial. En prenant le contrôle des monnaies, les « puissances d’argent » ont pris le contrôle des économies puisqu’elles étaient en mesure de décider, en toute autonomie et de façon discrétionnaire, de l’affectation des ressources monétaires.
    Pour ceux qui l’auraient oublié, cette vérité a été directement précisée par l’un des fondateurs de l’oligarchie financière : « Donnez-moi le contrôle de la monnaie d’une nation et je n’aurai pas à m’occuper de ceux qui font les lois ».
    NB : D’un point de vue économique, le Capitalisme monopolistique et le Socialisme sont tous deux les ennemis de la libre concurrence, car la concurrence et les forces du marché, lorsqu’elles ne sont pas « concentrées » dans les mêmes mains, permettent à d’autres de prospérer et, surtout, d’être indépendants. Un gouvernement communiste peut organiser le contrôle social de manière à garantir et à protéger la concentration de la richesse ; le gouvernement communiste peut donner à des cartels le contrôle des matières premières et des marchés, et leur accorder de gros contrats et s’endetter à l’infini auprès d’eux. Chaque secteur de l’économie étant, in fine, contrôlé par une poigné de cartels, réalisant ainsi cette « gestion des contraires » très chère aux organisations secrètes globalistes.
    LIEN


  • Clark Kent Clark Kent 14 septembre 2022 14:41

    La question n’est pas « capitalisme » ou « socialisme », mais économie adaptée ou pas aux besoins.

    En URSS, tout était bon marché, mais il manquait toujours quelque chose. Il n’y avait pas de « marché », mais une économie planifiée, sauf que les plans des différents secteurs n’étaient pas corrélés les uns aux autres alors qu’ils le sont aujourd’hui dans les grands monopoles capitalistes qui ignorent eux aussi la notion de « marché »et en Chine, grâce aux progrès de l’informatique notamment.


    Le Gosplan décidait quels biens et quelle quantité produire dans toutes les usines et entreprises du pays, mais le problème c’est qu’il n’était pas basé sur des besoins réels, mais sur ce que les bureaucrates avaient décidé. L’offre n’était pas adaptée aux besoins.


    Le principal moteur de la croissance économique était l’outil de production (l’offre et non la demande) à commencer par l’industrie., et pendant la « guerre froide » l’URSS vivait dans la hantise permanente de la prochaine guerre, ce qui rendait prioritaires l’industrie lourde, la défense, la métallurgie et tout ce qui était censé contribuer à la victoire de cette guerre..


    Les marchandises étaient vendues à des prix fixes (certaines marchandises étaient vendues à perte, car le Gosplan avait déjà fixé leur prix) et n’étaient pas vendues partout. Les villes étaient divisées en catégories : certaines recevaient les marchandises en premier, à commencer pas Moscou, et d’autres en dernier.


    La situation s’est aggravée dans les années 80, lorsque des trains transportant des habitants d’autres villes, surnommés « trains à saucisses », se rendaient à Moscou pour l’achat de saucisses introuvables ailleurs, comme la moutarde en France aujourd’hui pour les mêmes raisons : concentration et monopole.


    Sinon, on achetait ce qui était disponible, sans choix possible, à n’importe quel prix et souvent au marché noir. Le manque d’argent n’était pas un problème pour un soviétique : il gagnait plus que ce qu’il était capable de dépenser. Seulement 14% de la production parvenait aux magasins, les 86% restants étant distribués par des méthodes de commande administrative ou « tombant du camion ».


    Il n’était possible d’acheter une voiture sans délai qu’au marché noir. Légalement, il fallait « faire la queue » pendant sept ou huit ans, sauf qu’on ne pouvait entrer dans la file d’attente qu’en tant que salarié d’une entreprise. De nombreux produits étaient distribués de cette façon, et ils tombaient plus facilement entre les mains de certains que dans d’autres...


    Aucune entreprise ne pouvait d’ailleurs « faire faillite » puisqu’un système de « subventions » redistribuait les excédents des entreprises rentables à celles qui ne l’étaient pas, ce qui a tué l’initiative en matière de production, mais comme personne ne voulait être accusé de sabotage industriel (sévèrement réprimé), le seul objectif était de « respecter le plan », atteindre les objectifs fixés administrativement.


    Dans les années 1960., la Pravda a publié un article intitulé « Ouvrez le coffre-fort où sont les diamants », qui proposait la rentabilité comme principal critère pour les entreprises. Kossyguine a mis en place une réforme dans ce sens (le « socialisme à visage humain ») et le revenu national a alors augmenté de 42% !


    Mais le « printemps de Prague » de 1968 a fait craindre au Politburo de perdre ses « privilèges » et tout est revenu à sa place.

    C’est le pétrole qui a prolongé l’agonie du malade. En 1973, l’OPEP a décidé d’en réviser les prix quatre fois par an et l’Union soviétique a commencé à en tirer des revenus de plus en plus élevés,, des gisements ayant été découverts en Sibérie occidentale en 1967-1968, ce qui a permis au système soviétique de continue d’exister. Mais c’était reculer pour mieux sauter : l’effondrement s’est produit quinze ans plus tard, par aveuglement des apparatchiks accrochés aux manettes.


    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 15 septembre 2022 09:49

      @Clark Kent
      Je pense que vous ne parlez ici que de « l’économie planifiée » mise en place par Staline après la NEP. Mon article décrit ce qui s’est passé avant la mise en place de cette politique.


    • Mozart Mozart 15 septembre 2022 14:39

      @Jean Dugenêt
      Le vice inhérent au capitalisme est une inégale répartition des richesses, la vertu inhérente au socialisme consiste en une égale répartition de la misère. W.Churchill


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 15 septembre 2022 15:01

      @Mozart
       
      « Le vice inhérent au capitalisme est une inégale répartition des richesses, la vertu inhérente au socialisme consiste en une égale répartition de la misère.  » W.Churchill

       
      Si c’était aussi beau que ça, pourriez vous expliquer pourquoi il faudrait imposer militairement la domination du capitalisme au niveau mondial faire valoir la force du secteur privé mondial , ainsi que le prône le young (leader ?) roi Charles ?
       
      « Nous avons besoin d’une vaste campagne de style militaire (! !!) pour faire valoir la force du secteur privé mondial. Elle offre la seule perspective réelle de réaliser une transition économique fondamentale » Charles III.


    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 15 septembre 2022 16:42

      @Mozart

      Vous avez le droit d’apprécier ce que Churchill pense subtil.

      Nous avons constaté, notamment en Russie, dès que les paysans se sont partagés les terres des tsars, du clergé et des grands propriétaires que les riches n’ont pas apprécié que les pauvres se partagent leur richesse.


  • Pie 3,14 14 septembre 2022 17:30

    L’auteur résume ici le credo des trotskistes à savoir que l’URSS était sur la bonne voie avec la NEP voulue par Lénine et soutenue par Trotski mais que Staline a fait dérailler la révolution vers la dictature et le totalitarisme éloignant définitivement l’URSS du socialisme.

    Cette interprétation de l’histoire très quatrième internationale n’est pas validée par la plupart des historiens qui ont un regard plus critique sur les débuts de la révolution russe.


    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 14 septembre 2022 22:23

      @Pie 3,14

      Vous avez raison. Ni les défenseurs du capitalisme (Hélène Carrère d’Encausse), ni les défenseurs du stalinisme (Annie Lacroix-Riz) ne valident l’explication des faits historiques de Pierre Broué, Jean-Jacques Marie...


    • Mozart Mozart 15 septembre 2022 14:50

      @Jean Dugenêt
      Jean-Jacques Marie est un Trotskiste convaincu, donc avec un certain a priori.


    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 15 septembre 2022 16:45

      @Mozart
      Jean-jacques Marie est assurément un trotskyste convaincu. Il n’a pas davantage d’a priori que les autres historiens qui sont tous convaincus que leurs idées sont les bonnes.

      Ce qui m’amuse beaucoup c’est que vous pensiez que ceux qui ne sont pas d’accord avec vous ont des a priori mais que vous n’en avez sans doute pas.


  • Pie 3,14 15 septembre 2022 09:52

    Vous ne pouvez pas réduire l’affaire à ces deux personnes. Il existe des milliers de recherches internationales sur la question. Le travail d’Encausse est assez daté, celui de Lacroix-Riz marginalisé et non reconnu par la plupart des historiens.

    Les historiens non trotskistes ne se demandent pas si cela aurait pu fonctionner sans Staline. Ils tentent plus simplement d’expliquer pourquoi les faits ont évolué dans ce sens, ce qui les amène à avoir un regard moins idyllique que le vôtre sur la période de la NEP. 

    Cela dit, vous avez réalisé un beau travail de synthèse.


    • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 15 septembre 2022 10:12

      @Pie 3,14

      Les historiens « officiels » et arrivistes sont staliniens dans la Russie stalinienne et nazi dans l’Allemagne hitlérienne.

      Aujourd’hui, les universitaires qui veulent faire une brillante carrière ont intérêt à être du côté du manche. C’est particulièrement vrai pour les historiens mais aussi pour les sociologues (par exemple). Les historiens trotskystes ne peuvent généralement pas faire carrière. Le cas de Broué est exceptionnel et cela pourrait être expliqué. Jean-Jacques Marie et tout simplement un historien hors système. Il a fait carrière (prof agrégé) en tant que spécialiste de Russe et de littérature française ; sauf erreur de ma part.

      Je peux même vous assurer que c’est un sérieux handicap d’être reconnu comme trotskyste pour faire une carrière d’universitaire en mathématiques ou en informatique. Je connais un cas...


    • Tzecoatl Claude Simon 17 septembre 2022 11:18

      @Jean Dugenêt

      Et oui, les subterfuges de la perdition idéaliste ont une subtilité maladive que l’affrontement concret ignore, à raison.

      La clé est de retrouver son cerveau d’enfant pour ne pas sombrer dans l’un ou l’autre de ces travers, il me semble.


  • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 21 octobre 2022 21:33

    =====================

    Le projet « AMELIORAVOX »

    =====================

    L’audience d’AgoraVox est en chute vertigineuse. Les démarches individuelles pour remédier à la crise ont toutes échoué puisque « l’équipe d’AgoraVox » fait la sourde oreille. Je vais tenter de constituer un groupe pour faire des propositions. Je demande à ceux qui sont intéressés d’envoyer un mail à « jeandugenet at gmail.com » avec en objet « amélioravox ».

    Voir le texte en entier ici.


  • Jean Dugenêt Jean Dugenêt 28 octobre 2022 08:23

    Communiqué du groupe amélioravox

    AgoraVox est un outil essentiel pour ceux qui veulent participer au « journalisme citoyen » c’est-à-dire à un canal d’information où les journalistes sont pleinement libres puisqu’ils ne sont pas tenus de respecter une ligne éditoriale.

    AgoraVox est en danger puisque sa gestion est complètement opaque depuis 5 ans. Nous ne savons pas qui dirige, qui sélectionne les articles, qui ferme des comptes d’utilisateurs. Les critères ne sont pas affichés ou ceux qui sont affichés ne sont pas respectés. Les rédacteurs qui se plaignent n’ont aucune réponse. Les décideurs ne sont pas identifiés. Ils ne rendent aucun compte. Ils ne fournissent jamais d’explications. Leurs décisions sont donc arbitraires. Nous voulons connaître la vérité. Nous voulons retrouver la transparence qui existait avant novembre 2017. Nous ne trouvons aucun argument rationnel qui puisse expliquer cette opacité.

    Nous voulons revenir à l’esprit qui était prôné par l’équipe de direction en place jusqu’en 2017. Elle écrivait dans son dernier article daté du 3 octobre 2017 :

    « Si vous souhaitez vous impliquer davantage dans le fonctionnement d’AgoraVox, peut-être même en y collaborant de plus près (bénévolement ou pas), et si vous pensez avoir des idées novatrices ou un projet pragmatique pour innover et ainsi pérenniser notre média citoyen, n’hésitez pas à nous écrire, de préférence par e-mail (fondation at agoravox.fr). Les commentaires restent également ouverts ici bien entendu. Merci également pour les différents articles qui ont été publiés dans les dernières semaines dans l’optique d’améliorer AgoraVox et pour les commentaires qui les ont accompagnés. Ils contribuent grandement aux réflexions en cours. Même si nous intervenons rarement dans les commentaires, nous les lisons attentivement. »

    Maintenant les articles qui sont écrits « dans l’optique d’améliorer AgoraVox » sont censurés. C’est inadmissible. Est-ce que ceux qui dirigent actuellement AgoraVox ont une légitimité pour agir ainsi ? Sont-ils les propriétaires du site ? Ont-ils été nommés ? Ont-ils été élus ? Notre avis peut-il et doit-il être pris en compte ? Nous voulons des réponses.

    -=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

    Les premiers signataires sont :

    • Jean Dugenêt
    • Jean J. Mourot
    • Le Crapaud qui chante
    • Martin
    • Venceslas
    • ZXSpect

    -=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-=-

    Nous invitons les journalistes-citoyens d’AgoraVox qui sont d’accord avec ce communiqué à le contresigner. Nous proposons pour cela deux méthodes.

    • Vous pouvez envoyer un mail à « jeandugenet at gmail.com » en mettant en objet « amélioravox ».
    • Vous pouvez mettre un commentaire sur le site Bellaciao en indiquant votre pseudo. Pour cela suivez ce lien. Il faudra vous inscrire sur ce site.

    La première méthode vous impose de donner une adresse email et la seconde vous impose de vous inscrire sur le site Bellaciao. L’inscription est gratuite et il peut être bon de fréquenter ce site au cas où il ne serait pas possible de revenir à une saine politique sur AgoraVox.

     


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