mardi 5 septembre 2006 - par Thierry Crouzet

Le cauchemar des politiciens

Les politiciens, élus pour nous protéger de nos propres horreurs, finissent souvent par commettre des horreurs à leur tour. C’est une fatalité.

J’ai souvent expliqué que les structures sociales complexes n’avaient pas nécessairement besoin, pour s’épanouir, de chef ni de commandement central. C’est le fameux exemple des oiseaux avec lequel s’ouvre Le peuple des connecteurs.

On me répond souvent que les loups vivent en hordes structurées. C’est vrai. Les mammifères aiment les chefs car ils présentent un avantage dans les structures sociales simplifiées. Mais chez les hommes d’aujourd’hui, les structures sociales sont devenues complexes. Alors, pourquoi avons-nous encore des chefs ? Pourquoi multiplions-nous les couches hiérarchiques qui, d’un point de vue opérationnel, sont inefficaces dès que de réelles difficultés se présentent ?

Dans La Guerre et la Paix, Tolstoï propose une réponse magistrale. Après avoir montré que les chefs n’avaient aucun pouvoir réel, leurs ordres arrivant souvent trop tard, étant souvent inapplicables ou, quand ils sont appliqués, conduisant à des résultats opposés à ceux escomptés, il se demande à quoi servent les chefs :

Les hommes se mettent en marche d’Occident en Orient, massacrent leurs semblables, et cet événement est accompagné de discours sur la gloire de la France, la perfidie de l’Angleterre, etc. [...] Ces justifications libèrent les hommes qui participent à l’événement de leur responsabilité normale. Ces buts provisoires jouent le rôle des balais placés à l’avant de la locomotive pour nettoyer la voie. Ils aplanissent la route devant le sentiment de responsabilité morale.

Pour Tolstoï, le chef a pour fonction non de diriger les événements, mais d’en justifier la nécessité, parfois l’horrible nécessité. Quand les chefs disent qu’il faut tuer pour le bien de la nation, les hommes pillent, violent, tuent... Ils mettent leur sens moral en veilleuse et se transforment en bêtes sauvages.

Cette théorie de Tolstoï se justifie d’un point de vue évolutif. Les hordes de mammifères, en se dotant de chefs, gagnent un avantage certain. Lorsqu’une horde devient société, chez les humains, sa complexité devrait faire disparaître la nécessité de chefs, car l’auto-organisation est alors plus efficace. Mais ça ne se passe pas de cette façon.

Chez nous, il y a encore des chefs parce que leur présence procure un avantage qui compense leur inefficacité. Quel est cet avantage ? Nos sociétés complexes se développent avec la conscience des individus qui, pour vivre ensemble, développent peu à peu un sens moral. Mais ce sens moral, indispensable au quotidien, peut s’avérer problématique en temps de crise. Il faut alors le désactiver : tel serait le rôle du chef. C’est sans doute pour cette raison que le pouvoir séculier s’associe historiquement presque toujours au pouvoir religieux, car son domaine est la moralité.

Nous aurions besoin de chefs pour nous déresponsabiliser. Et je comprends mieux maintenant pourquoi la plupart des gens s’accrochent au droit de vote. Il les ramène à l’Ancien régime, à ce chef divin capable de les absoudre de leurs péchés. Peu importe que ce chef soit un monstre, un bandit, un truand. Ce qui compte, c’est que, de temps en temps, il paye pour nos égarements sauvages.

Une société sans chef, ça fait peur. Terriblement peur. Qui dès lors va me confesser et me pardonner ? Contre qui vais-je me retourner, si ça tourne mal ? Contre moi-même ? Nous ne sommes peut-être pas encore prêts pour ce grand saut.

Les idées de Tolstoï sont-elles encore valables ? J’entends des voix chuchoter : « Nous ne sommes pas en guerre. Nous ne commettons pas d’horreurs. Nos hommes politiques ont d’autres fonctions que nous absoudre. » Je crois le contraire. Nous sommes des monstres, nous avons comme dans le passé besoin d’être pardonnés. Maintenant que les psychanalystes remplacent les curés, maintenant que les neurologues ridiculisent les psychanalystes, il ne nous reste comme confesseurs que nos politiciens.

Pourquoi donc acceptons-nous leurs malversations et leurs magouilles ? Pourquoi osent-ils faire leur come back politique après un séjour en prison ? Ils purgent leur peine et reviennent comme si de rien n’était. Et des gens voteront pour eux. Ils voteront parce qu’ils les aiment, ils les aiment pour le service inestimable qu’ils leur rendent. Et peu importe qu’ils soient des crapules, la plupart des rois aussi étaient des crapules. Comme ils n’ont aucun autre rôle que celui de nous donner bonne conscience, on se moque bien de leur propre moralité. D’ailleurs, pour laver nos péchés, il faut bien qu’ils aient l’âme endurcie, il faut qu’ils soient prêts à commettre eux-mêmes des horreurs. Nous sommes obligés de leur pardonner, comme ils pardonnent, pour nous. C’est très chrétien. Matthieu écrit :

Si vous pardonnez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous pardonnera aussi ; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père ne vous pardonnera pas non plus vos offenses.

Ainsi chacun de nous commet chaque jour des horreurs. Il suffit de voir Le cauchemar de Darwin pour s’en persuader. Nous cautionnons d’infâmes trafics dans nos centres commerciaux et nous finançons les guerres avec nos impôts. Nous sommes en guerre, même si nous n’allons pas nous-mêmes sur le champ de bataille. Comme à l’époque napoléonienne, nous tuons chaque jour, sans scrupule. Tout ça parce qu’ils, nos politiques, sont responsables à notre place. Nous fermons les yeux parce qu’ils sont là.

En fait, je les applaudis. La vie est plus facile grâce à eux. Mais bon, il est peut-être temps de devenir responsables, non ?



21 réactions


  • La Taverne des Poètes 5 septembre 2006 12:09

    Les choses évolueraient positivement si la démocratie représentative associait la société civile. (non ! je ne vais pas reparler ici de mon idée de troisième chambre et d’école des citoyens, on dirait alors que je radote mais quand même...)

    De même si les femmes s’impliquaient davantage en politique. Mais c’est le « complexe Françoise Giroud » : cette dernière a déclaré jadis ceci : « Les femmes ont à l’égard du Pouvoir l’attitude de gourmandes face à un gâteau au chocolat ». (Le Pouvoir enlaidit la femme mais transfigure l’homme qu’il rendrait même plus viril)

    Alors oui nous déléguons au chef la corvée de gouverner même s’il est un peu véreux. smiley


  • Laurent Bervas Laurent Bervas 5 septembre 2006 12:41

    Synchronisation des connecteurs ? smiley Voici ce que j’écrivais ce matin :

    Je ne saurais l’exprimer avec précision mais j’ai le sentiment que les électeurs, les consommateurs en ont assez d’une communication « machiste » : « achète ça c’est bien pour toi ! ». C’est un petit peu la même chose qui s’est passée pendant le référendum, on nous à dit « vote oui, c’est bon pour toi » « on sait mieux (que toi) ce qui est bon pour toi », et les enfants se sont rebellés contre « les pères » qui ne les comprenaient pas.

    La rupture (dont tout le monde se gargarise) que réclament les français n’est t’elle pas justement dans la manière de faire de la politique ?


  • Sarro Philippe (---.---.124.107) 5 septembre 2006 13:14

    Chrétien ? Pour l’anthropologue René Girard pas si sûr. Pour lui, les rois primitifs n’étaient que des victimes émissaires dont on a différé le sacrifice, qui devait rétablir la concorde après la violence mimétique de tous contre tous, c’est à dire la résolution de la crise mimétique (le paroxisme du désir mimétique partagé par tous). Quand a Michel Serres, il nous rappelle que les hommes politiques croulent sous les suffrages des électeurs, version moderne des lapidations antiques.

    Je rajouterais, que ce n’est pas pour rien que Michel Serres nomme René Girard le Darwin des sciences humaines et sociales.


  • (---.---.9.238) 5 septembre 2006 13:49

    Les chefs protègent ceux qui leur obéissent. Et ceux qui obéissent n’ont plus de raison d’obéir si les chefs ne les protègent plus.

    Avec ça, on peut comprendre quelques petits problèmes contemporains. Et s’interroger : de quoi les responsables publics nous protègent-ils ? De quelles protections avons-nous besoin ?


  • jeffjoubert (---.---.129.41) 5 septembre 2006 13:49

    Cette notion de responsabilité, de l’individu, est le fondement même des thèses anarchistes, et vos propos soutiennent le fait, que l’information ne circulera jamais assez vite, si on a une échelle pyramidale de décision. Alors, pourquoi ce besoin de chef, pour se couvrir, comme certains se cachent derrière les lois pour faire des horreur, où derrière des lois de masse, tout le monde accepte les exclus, car ils ne travaillent pas, et ne sont pas responsable. Mais qui est responsable d’un homme qui meurt de froid dans la rue, le citoyen, où le politique ?


  • (---.---.29.166) 5 septembre 2006 13:57

    Hum, article intéressant qui soulève une vraie question : A quoi servent les chefs ? Mais je n’ai pas compris la réponse.

    On pourrait même mieux remplacer cette question par cette variante : Puisque par nature il n’y a pas de lien entre ce que dit un chef et ce qui se passe en-dessous réellement, est-il possible d’imaginer une société sans chef, où des actions nouvelles apparaissent et se fasse sans quelqu’un pour les formuler verbalement dans les médias ?


  • Hakim I. (---.---.29.83) 5 septembre 2006 15:27

    Je poserais plutot la question suivante : A quoi servent CES chefs ?!


  • gem (---.---.117.249) 5 septembre 2006 15:31

    bon article. Et puis ça fait toujours plaisir de voir une mention de R. Girard en commentaire, ça change des trolls.


  • miaou (---.---.13.231) 5 septembre 2006 16:45

    A quand justement un bon article sur René Girard ?


    • roumi (---.---.74.206) 5 septembre 2006 20:27

      tres interessant rene girard smiley

      merci je ne connaissais pas .

      ROUMI


  • candidat007 (---.---.122.128) 5 septembre 2006 17:07

    Mais bon, il est peut-être temps de devenir responsables, non ?

    Ah bon, qu’estce que vous faites ?

    Vous avez déchiré sûrement votre carte d’électeur je pense ! Du moins si vous êtes conséquent avec vos convictions. Vous ne participez plus aux échéances électorales si on a bien compris votre sermon contre le droit de vote. A moins que vous soyez irresponsable ? parce que même pour voter blanc ou être considéré comme abstentionniste, il faut être inscrit et donc reconnaître le droit de vote.

    Vous comptez surement sur la « démocratie du Web », pour régler « le cauchemar de Darwin » en tant que « connecteur participatif ». ?

    il y a un article trés bon ce jour sur le journalisme et internet sur Agoravox. C’est pour vous, je crois ?


  • Stravos (---.---.58.60) 5 septembre 2006 18:11

    Je me souviens d’un chiffre fourni par Théodore Zeldin, dans son livre « Les français » : en france, sur 3 salariés, il s’en trouve toujours un dont la tâche consiste à « encadrer » le travail des deux autres... En Allemagne, cette proportion est seulement de un sur dix. Le bouquin de Zeldin date des années 80, mais je ne crois pas que la situation ait beaucoup changé. Je prend cet exemple juste pour montrer que la réduction du nombre des chefs n’est pas synonyme de chaos et d’inefficacité. Bien au contraire ! Il est en effet plus efficace de valoriser les compétences et l’autonomie du salarié lambda, plutôt que de multiplier les chefaillons dont l’unique raison d’être est le flicage stérile. De plus en plus d’entreprises privées tiennent ce raisonnement et s’engagent dans la voie d’une autonomie accrue des personnels, racourcissant les échelons intermédiaires de leur hiérarchie. Inutile de dire que les administrations, avec leur pesante hiérarchie, sont à la traine de ce mouvement... Mais je crainds que le bon sens et la simple rationnalité ne soient au pays de Descarte - ô ironie - les choses les mieux partagées, surtout lorsque se mèlent au problème des considérations de pouvoir et de gloriole...


    • (---.---.9.238) 5 septembre 2006 19:49

      Personne n’aime les « chefaillons », bien sûr. Mais, en tant que chef de service, je peux tout de même vous dire qu’il y a beaucoup de gens qui sont bien heureux de trouver les gens qui assument des responsabilités : les gens du service eux-mêmes, et tous ceux qui hors du service veulent quelqu’un qui « assure » et qui s’engage sur une réponse.

      C’est d’ailleurs la critique que je ferai à l’article : la coordination et l’organisation ne tombent pas du ciel et nous en avons tous besoin.


  • lss (---.---.94.252) 5 septembre 2006 21:08

    @IP:xxx.x51.9.238

    D’une certaine manière vous le dites vous-même, c’est plus d’un coordinateur que d’un chez dont la société a besoin. c’était le rôle dévolu aux patriarches. Ils n’avaient aucun pouvoir, mais si on en appelait à eux, ils tranchaient en faveur de telle ou telle décision, ils ne décidaient pas à la place de, ils choisissaient en fonction de ce que proposait la base... Dans une entreprise, ce serait jouable, mais comme l’auteur de l’article le mentionne : il est question du problème de responsabilité et au dela, de facilité ; c’est tellement plus simple d’être comme un enfant à qui l’on dit « fait ceci, fait cela, fait pas ceci, fait pas cela »... Est-ce que justement ça n’est pas parce qu’il y a un chef qu’ils se reposent dessus ?

    @... Sommes nous capable de réellement nous assumer, d’être responsables ? Cela signifie être à même de lutter contre nos envies spontanée, nos petites fainéantises, nos petites lachetées, notre jalousie... Sommes nous prêts à dire que lorsque quelque chose va mal, nous avons probablement une part de responsabilité. Tous coupables et tous innocents ? Un monde gris, tout sauf manichéen ? Aie, lorsque je lis certains commentaires, il me semble que nous sommes très loin d’être prêts...

    Lire la suite ▼

  • (---.---.227.56) 6 septembre 2006 00:02

    « Pourquoi osent-ils faire leur come back politique après un séjour en prison ? Ils purgent leur peine et reviennent comme si de rien n’était. »

    Oui, la peine de mort, et surtout pour tous ces salaud des cité, comme ca, pas de réinsertion à la con possible, voila ce qu’il nous faut.

    « Tout ça parce qu’ils, nos politiques, sont responsables à notre place. Nous fermons les yeux parce qu’ils sont là. »

    Mouais, bon, vous êtes un naifs qui à avalé le discours publicitaire des homme politiques. Mettez vous bien dans le crâne que si la seule façon d’avoir du sucre était de rétablir l’esclavage et le commerce triangulaire, et bien cela serait fait. Le reste est littérature. Vae Victis.


    • Stravos (---.---.58.60) 6 septembre 2006 14:02

      Tiens, un homme des cavernes se met à nous parler... Et il n’a pas oublié de mettre l’accent ciconflexe sur le mot crâne ! Comme quoi Néanderthal sait manier les mots aussi délicatement que son affectionnée massue...


  • chantecler (---.---.4.15) 6 septembre 2006 10:36

    Excellent article qui sort des sentiers conventionnels : Et oui pourquoi cette ambivalence,par rapport à nos chefs que nous rejettons,et que nous appellons selon les périodes. Qu’est-ce qu’un « chef » ? Imposé,choisi,inamovible... ? Doit-il venir d’en haut ou répondre à un besoin,être l’émanation d’une demande collective ? Que doit être sa fonction ? Pédagogique,contraignante,structurante,psychologique,besoind’aimer ou de haïr,parfois les deux ensemble ? Sont-ils toujours indispensables ?


  • Claud83 (---.---.31.221) 9 septembre 2006 21:08

    Faudrait que tu lises Un homme de pouvoir de Max Gallo, On comprend que les hommes politiques sont des hommes avec leurs ambitions leurs secrets et les zones d’ombre qui les entourent. Après la lecture, t’as qu’une envie, déchirer sa carte d’électeur. Mais ne serions nous pas ébahis si nous avions pour les prochaines élections un candidat de la trempe et du cynisme d’un Rastignac ou d’un Julien Sorel ?


  • T.B. (---.---.21.162) 28 septembre 2006 00:57

    Article intéressant car il retrace le cheminement intérieur, la « psyché », le miroir de la pensée du mouton. C’est totalement effrayant.

    L’européen de l’Ouest a hérité de la pensée d’Homère, de ses récits et aussi hélas ... du mythe messianique. Je m’enlève et me libère, me responsabilise avec la 1ère et fuis comme la peste le 2ème.

    Merci l’auteur qui me confirme que la religion est un cauchemar. Me renvoie à la réalité Pestilentielle 2007, ayant encore les deux pieds dans celle de 2002 et avant 1997 etc en arrière, toujours en arrière, millions de têtes baissées qui sont autant de millions d’électeurs de Panurge.

    Le cauchemar des politiciens ? C’est tout bonnement la démocratie directe ! mais ils peuvent, pour longtemps encore, faire de beaux rêves grâce à leur moutons qui, bien sagement, prennent les uns après les autres, le chemin de l’abattoir. beurk ...


  • DWA (---.---.167.26) 20 novembre 2006 11:44

    Lire la chronique de Philippe Meyer qui remet un peu les pendules à l’heure sur cette affaire :

    François Garçon Enquête sur la cauchemar de Darwin Flammarion - 17 novembre 2006 Sorti sur les écrans au début de 2005 , « Le Cauchemar de Darwin » a connu un grand succès en salles et auprès de la critique qui rivalisa de dithyrambes et, ne doutant pas de ses compétences en géopolitique, somma les responsables des pays de l’hémisphère Nord de mettre fin aux scandales « révélés » par ce film présenté par son auteur comme un documentaire. Comment accepter, en effet, que les pays européens, après avoir introduit dans les eaux du lac Victoria un redoutable prédateur, la Perche du Nil, prive les populations tanzaniennes riveraines de cette ressource alimentaire riche en protéines, l’exploitent pour leur seul compte et ne leur laissent pour tout potage que la tête, la queue et les déchets. Pis, comment accepter qu’ils exportent ces poissons dans des avions qui débarquent des cargaisons d’armes destinées aux belligérants des nombreux conflits qui ensanglantent et appauvrissent l’Afrique ? Comment accepter que ce troc obscène s’accompagne de l’exploitation de la main d’œuvre locale, de l’organisation de la prostitution des enfants des rues et de la propagation du Sida ?

    En janvier 2006, un historien du cinéma, maître de conférences à Paris I, François Garçon, publiait dans « Les Temps modernes » une révocation des affirmations du prétendu documentaire et une analyse du sensationnalisme de son style. La revue faisait suivre cet article d’une réponse du « documentariste » Herbert Sauper. J’avais signalé l’intérêt de l’article de l’historien et la pauvreté de la réponse du cinéaste dans la lignée de laquelle devaient ensuite paraître différentes tentatives de disqualifier non le travail mais la personne de François Garçon. L’historien fut notamment dénoncé comme s’étant occupé il y a 20 ans de la création de Canal + pour le compte du groupe Havas qui, comme le soulignait finement un article des Inrockuptibles, « détient les budgets publicitaires de Carrefour et de Mac Donald, c’est à dire des deux principaux acheteurs de Perches du Nil ». D’autres arguments de la même farine rappelant de sinistres procès furent brandis et mis en scène, mais aucune réponse vérifiable ne fut donnée aux questions de l’historien, et notamment à celles qui portaient sur l’absence complète de preuves d’un trafic d’armes à Mwanza utilisant les avions venant chercher leur cargaison de perches du Nil ou même tout autre moyen de transport.

    François Garçon non seulement ne s’est pas découragé de poursuivre son travail de recherche de la vérité, mais, après s’être rendu sur place et avoir rencontré nombre des protagonistes du « Cauchemar de Darwin », après avoir interrogé des spécialistes de l’Afrique et après avoir étudié une documentation impressionnante et toujours référencée, publie aujourd’hui « Enquête sur le cauchemar de Darwin », livre qui se lit comme un roman d’Agatha Christie et qui établit ce que Garçon appelle poliment « le caractère problématique de la démonstration du cinéaste » et que son lecteur appellera plutôt une mystification avérée. L’intérêt de cet ouvrage n’est pas seulement de nous permettre d’analyser un processus de manipulation fondé sur l’efficacité des images et un exemple de l’immaturité d’une grande partie de la presse, si prompte, même après Timisoara, à donner dans un panneau dès lors que cela lui permet de s’indigner, de poser à la belle âme et de faire la leçon. Le livre de François Garçon nous met aussi en face de notre propre besoin de nous précipiter tête baissée dans un délire compassionnel et un discours hallucinatoire qui bannit et même qui maudit toute raison, dès lors qu’il est question des rapports entre les pays développés et l’Afrique. Comme le fit le directeur de Charlie Hebdo, Philippe Val, qui compta parmi les journalistes qui reprirent leurs esprits passé un premier mouvement d’adhésion aveugle, on paraphrasera volontiers Jacques Prévert : Qu’importe que je sois de mauvaise foi, puisque c’est pour la bonne cause, qu’importe que je sois pour la mauvaise cause, puisque je suis de bonne foi ? http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/esprit_public/index.php?emission_id=18

    Lire la suite ▼

  • DWE (---.---.167.26) 20 novembre 2006 11:45

    Lire la chronique de Philippe Meyer qui remet un peu les pendules à l’heure sur cette affaire :

    François Garçon Enquête sur la cauchemar de Darwin Flammarion - 17 novembre 2006 Sorti sur les écrans au début de 2005 , « Le Cauchemar de Darwin » a connu un grand succès en salles et auprès de la critique qui rivalisa de dithyrambes et, ne doutant pas de ses compétences en géopolitique, somma les responsables des pays de l’hémisphère Nord de mettre fin aux scandales « révélés » par ce film présenté par son auteur comme un documentaire. Comment accepter, en effet, que les pays européens, après avoir introduit dans les eaux du lac Victoria un redoutable prédateur, la Perche du Nil, prive les populations tanzaniennes riveraines de cette ressource alimentaire riche en protéines, l’exploitent pour leur seul compte et ne leur laissent pour tout potage que la tête, la queue et les déchets. Pis, comment accepter qu’ils exportent ces poissons dans des avions qui débarquent des cargaisons d’armes destinées aux belligérants des nombreux conflits qui ensanglantent et appauvrissent l’Afrique ? Comment accepter que ce troc obscène s’accompagne de l’exploitation de la main d’œuvre locale, de l’organisation de la prostitution des enfants des rues et de la propagation du Sida ?

    En janvier 2006, un historien du cinéma, maître de conférences à Paris I, François Garçon, publiait dans « Les Temps modernes » une révocation des affirmations du prétendu documentaire et une analyse du sensationnalisme de son style. La revue faisait suivre cet article d’une réponse du « documentariste » Herbert Sauper. J’avais signalé l’intérêt de l’article de l’historien et la pauvreté de la réponse du cinéaste dans la lignée de laquelle devaient ensuite paraître différentes tentatives de disqualifier non le travail mais la personne de François Garçon. L’historien fut notamment dénoncé comme s’étant occupé il y a 20 ans de la création de Canal + pour le compte du groupe Havas qui, comme le soulignait finement un article des Inrockuptibles, « détient les budgets publicitaires de Carrefour et de Mac Donald, c’est à dire des deux principaux acheteurs de Perches du Nil ». D’autres arguments de la même farine rappelant de sinistres procès furent brandis et mis en scène, mais aucune réponse vérifiable ne fut donnée aux questions de l’historien, et notamment à celles qui portaient sur l’absence complète de preuves d’un trafic d’armes à Mwanza utilisant les avions venant chercher leur cargaison de perches du Nil ou même tout autre moyen de transport.

    François Garçon non seulement ne s’est pas découragé de poursuivre son travail de recherche de la vérité, mais, après s’être rendu sur place et avoir rencontré nombre des protagonistes du « Cauchemar de Darwin », après avoir interrogé des spécialistes de l’Afrique et après avoir étudié une documentation impressionnante et toujours référencée, publie aujourd’hui « Enquête sur le cauchemar de Darwin », livre qui se lit comme un roman d’Agatha Christie et qui établit ce que Garçon appelle poliment « le caractère problématique de la démonstration du cinéaste » et que son lecteur appellera plutôt une mystification avérée. L’intérêt de cet ouvrage n’est pas seulement de nous permettre d’analyser un processus de manipulation fondé sur l’efficacité des images et un exemple de l’immaturité d’une grande partie de la presse, si prompte, même après Timisoara, à donner dans un panneau dès lors que cela lui permet de s’indigner, de poser à la belle âme et de faire la leçon. Le livre de François Garçon nous met aussi en face de notre propre besoin de nous précipiter tête baissée dans un délire compassionnel et un discours hallucinatoire qui bannit et même qui maudit toute raison, dès lors qu’il est question des rapports entre les pays développés et l’Afrique. Comme le fit le directeur de Charlie Hebdo, Philippe Val, qui compta parmi les journalistes qui reprirent leurs esprits passé un premier mouvement d’adhésion aveugle, on paraphrasera volontiers Jacques Prévert : Qu’importe que je sois de mauvaise foi, puisque c’est pour la bonne cause, qu’importe que je sois pour la mauvaise cause, puisque je suis de bonne foi ? http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/emissions/esprit_public/index.php?emission_id=18

    Lire la suite ▼

Réagir