lundi 7 décembre 2015 - par Automates Intelligents (JP Baquiast)

Le cerveau quantique

Le présent texte est un résumé, fait et commenté par moi, d'un article original en anglais de Michael Brooks que vient de publier le NewScientist.
Is quantum physics behind your brain’s ability to think ?

Dans un article qu'il vient de publier sur arxiv ( http://arxiv.org/abs/1508.05929 ), le physicien quantique Matthew Fisher (voir son site http://www.kitp.ucsb.edu/mpaf/ ) a entrepris de rechercher si des effets propres à la mécanique quantique ne pourraient pas expliquer les mécanismes les plus complexes du cerveau (voir ci-dessous, abstract)

Le cerveau humain, comme dans une moindre mesure les cerveaux animaux, dispose de capacités calculatoires dont les bases neuronales demeurent encore mal expliquées. Ceci notamment qu'il s'agisse de la mémoire à long terme et de la conscience. L'hypothèse a depuis longtemps été formulée que ces fonctions tiendraient à certaines propriétés du monde quantique, notamment l'indétermination et l'intrication. Il n'y aurait rien d'étonnant en principe car les biologistes pensent pouvoir démontrer le rôle de particules quantiques dans un certain nombre de fonctions intéressant le vivant, fonction chlorophyllienne ou vision chez certains oiseaux (voir notre article Phénomènes quantiques dans les organismes vivants ).

Concernant la conscience, le mathématicien Roger Penrose et le médecin anaesthésiste Stuart Hamerof avaient dans un ouvrage qui fit grand bruit proposé en 1989 que les bases des mécanismes conscients pourraient se trouver dans les microtubules neuronales, structures protéiniques qui participent à l'architecture du neurone. Celles-ci se comporteraient comme les q.bits dans un ordinateur quantique. Mais ils n'ont pas pu présenter de preuves expérimentales intéressant leurs hypothèses.

Un q.bit ne peut en effet conserver ses propriétés quantiques que s'il est maintenu strictement isolé du milieu physique ordinaire, autrement dit s'il maintient sa cohérence. Empécher la décohérence des bits quantiques constitue la plus grande difficulté dans la réalisation des ordinateurs quantiques, expliquant la lenteur du développement de ces calculateurs. Or il a été montré que dans un milieu chaud et humide tel que celui régnant au sein du cerveau, la cohérence, à supposer qu'elle se produise, disparaitrait quasi instantanément.

Matthew Fisher n'essaye pas pour le moment de traiter le sujet complexe de la conscience. Ses recherches l'ont conduit à explorer les mécanismes qui paraissent simples mais qui restent encore incompréhensibles et qui permettent à deux ou plusieurs neurones de communiquer entre eux ou de s'influencer sur des distances pouvant s'étendre à l'ensemble du cerveau et dans des temps qui ne seraient pas seulement instantanés.

Les neurologues classiques répondent qu'ils ont présenté depuis longtemps des solutions à ces questions, en analysant les architectures neuronales, les transmissions électriques et les neurotransmetteurs permettant au cerveau de se comporter comme un ordinateur classique. Il ne serait pas nécessaire dans ces conditions de faire appel à d'éventuelles propriétés s'inspirant de celles de l'ordinateur quantique. Il reste que beaucoup de points obscurs demeurent au coeur des mécanismes cérébraux.

C'est la raison pour laquelle Matthew Fisher a fait de nouveau appel aux solutions quantiques. Mais comme la difficulté à résoudre consiste à montrer comment des processus neuronaux quantiques pourraient éviter la décohérence, la première chose à faire devait être de montrer pour quelles raisons cette décohérence ne se produirait pas, aussi bien à l'intérieur des neurones que dans le milieu biologique où ils baignent.



Le lithium

Pour approfondir cette question, Matthew Fisher a été conduit à se demander pourquoi le lithium peut aider des malades perdant la mémoire ou manifestant des tendances dites bi-polaires à récupérer une certaine disponibilité neuronale. La pharmacologie a constaté expérimentalement en effet l'efficacité de médicaments contenant du lithium mais sans s'en expliquer la raison. Matthew Fisher a donc recherché des solutions faisant appel à sa spécialité, la mécanique quantique.

Les noyaux des atomes, comme les particules élémentaires qui les constituent, ont une propriété quantique nommé le spin. Le spin caractérise la sensibilité des noyaux aux courants électrique et magnétique les environnant. Plus le spin est élevé, plus ils y sont sensibles. A l'inverse un noyau disposant d'une valeur de spin minimum ne réagit que très faiblement aux rayonnements produits par ces courants. Le spin est, en physique quantique, une des propriétés des particules, au même titre que la masse ou la charge électrique. Comme d'autres observables quantiques, sa mesure donne des valeurs discrètes et est soumise au principe d'incertitude. C'est la seule observable quantique qui ne présente pas d'équivalent classique, contrairement, par exemple, à la position, l'impulsion ou l'énergie d'une particule. (Pour plus de précision, voir Wikipedia Spin ) .

Dans le cerveau, où les champs magériques et électriques abondent, un noyau disposant d'un spin de 1/2, la plus basse valeur possible, devrait être bien protégé des perturbations résultant de ces champs. Or c'est le cas des noyaux de lithium, plus précisément du lithium 6. Les physiciens avaient constaté depuis longtemps qu'il pouvait conserver son spin pendant au moins 5 minutes. Le lithium n'est pas présent naturellement dans le cerveau, au contraire du phosphore, très abondant. Les noyaux d'acide phosphorique et de phosphates en dérivant (phosphate dit organique) disposent eux aussi d'un spin de 1/2 et peuvent donc en principe résister aux processus de décohérence.

La molécule de Posner

Or une molécule dite de Posner avait été identifiée en 1975 dans les tissus osseux. Elle apparait également dans des fluides corporels reconstitués en laboratoire. Soumises à des effets quantiques, son temps avant décohérence peut être de 12 à 24 heures, c'est-à-dire un temps largement suffisant pour qu'elle puisse participer à des processus quantiques.

Fisher a trouvé au moins une réaction dans le cerveau qui pourrait en théorie produire des états intriqués entre spins de noyaux au sein des molécules de Posner. Elle fait intervenir une enzyme nommée la pyrophosphatase. Celle-ci peut casser des structures comportant deux ions phosphates liés, en produisant deux ions phosphates indépendants. En théorie, les spins nucléaires de ces ions pourraient subir une intrication, s'ils avaient été soumis auparavant à un processus quantique. Libérés dans le fluide entourant les cellules, ils pourraient se combiner avec des ions calcium pour produire des états intriqués entre spins de noyaux au sein des molécules de Posner.


En théorie toujours, les fluides inter-neuronaux du cerveau pourraient comporter de grandes quantités de molécules de Posner intriquées. Si elles pénètrent les neurones, ces molécules pourraient modifier leur comportement, leur donnant la possibilité de réaliser des activités complexes, telle que des pensées et des mémorisations. Restera à vérifier expérimentalement si des molécules de Posner existent réellement dans les fluides intercellulaires du cerveau, en ce cas, si elles peuvent se trouver intriquées et finalemlent, par quels mécanismes quantiques elles ils le seraient.. Fisher envisage aujourd'hui de réaliser en laboratoire des expérimentations portant sur ces points.

La mécanique quantique à l'oeuvre au sein du cerveau

En cas de succès, les effets thérapeutiques du lithium, proche de l'acide phosphorique comme indiqué ci-dessus. pourraient commencer à trouver des explications. Ils découleraient de mécanismes faisant globalement appel à la mécanique quantique. Si aux origines de la vie les mécanismes biologiques avaient appris à utiliser celle-ci au profit de cette fonction universellement répandue qu'est la fonction chlorophyllienne, pourquoi n'auraient ils pas réutilisé la mécanique quantique pour permettre le fonctionnement des systèmes nerveux, dès que ceux-ci sont apparus dans la suite de l'évolution ?

Certes, réussir à montrer que des neurones pourraient s'influencer à distance en dehors des voies connues de la communication intra et inter-neuronale ne pourrait suffire à faire comprendre les mécanismes infiniment plus complexes de la production des idées ou de la mémoire à long terme. Il faudra sans doute des années, si les hypothèses de Matthew Fisher sont validées, pour y réussir. Mais la voie proposée par lui pourrait enfin ouvrir des perspectives nouvelles dans des problématiques suspectées être les plus complexes de celles présentées par l'univers. Que la physique quantique y joue un rôle clef n'aurait rien d'étonnant, si l'on admet que la physique dite macroscopique aurait pu émerger, avec l'univers macroscopique lui-même, d'une fluctuation dans le monde quantique.

Quantum Cognition : The possibility of processing with nuclear spins in the brain
Matthew P. A. Fisher
(Submitted on 19 Aug 2015 (v1), last revised 29 Aug 2015 (this version, v2))

The possibility that quantum processing with nuclear spins might be operative in the brain is proposed and then explored. Phosphorus is identified as the unique biological element with a nuclear spin that can serve as a qubit for such putative quantum processing - a neural qubit - while the phosphate ion is the only possible qubit-transporter. We identify the "Posner molecule", Ca9(PO4)6, as the unique molecule that can protect the neural qubits on very long times and thereby serve as a (working) quantum-memory. A central requirement for quantum-processing is quantum entanglement. It is argued that the enzyme catalyzed chemical reaction which breaks a pyrophosphate ion into two phosphate ions can quantum entangle pairs of qubits. Posner molecules, formed by binding such phosphate pairs with extracellular calcium ions, will inherit the nuclear spin entanglement. A mechanism for transporting Posner molecules into presynaptic neurons during a "kiss and run" exocytosis, which releases neurotransmitters into the synaptic cleft, is proposed. Quantum measurements can occur when a pair of Posner molecules chemically bind and subsequently melt, releasing a shower of intra-cellular calcium ions that can trigger further neurotransmitter release and enhance the probability of post-synaptic neuron firing. Multiple entangled Posner molecules, triggering non-local quantum correlations of neuron firing rates, would provide the key mechanism for neural quantum processing. Implications, both in vitro and in vivo, are briefly mentioned.

 



9 réactions


  • Automates Intelligents (JP Baquiast) 7 décembre 2015 09:20

    Nouvelle rédaction de mon article
    Chers lecteurs vous trouverez ici une nouvelle rédaction de mon article sur le cerveau quantique, où je précise certains points http://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2015/164/fisher.htm


  • JC_Lavau JC_Lavau 7 décembre 2015 13:26
    Le naufrage de Roger Penrose, et de Stuart Hameroff en incompétence cognitivo-quantique

    http://www.agoravox.fr/culture-loisirs/culture/article/le-naufrage-de-roger-penrose-et-de-155566


  • soi même 7 décembre 2015 14:41

    ( Le cerveau humain, comme dans une moindre mesure les cerveaux animaux, dispose de capacités calculatoires dont les bases neuronales demeurent encore mal expliquées. ) C’est évident et simple et comprendre à la fois, dites moi c’est quoi le vivant ?


  • Francis, agnotologue JL 7 décembre 2015 15:05

    ’’ ... dans des temps qui ne seraient pas seulement instantanés.’’


    ça me fait penser à la lessive de Coluche qui lave plus blanc que blanc.



  • Jean Keim Jean Keim 9 décembre 2015 08:16

    Il y a dans le cerveau au moins deux particularités qui font penser à la physique quantique :

    > Le processus de la pensée se fait au détriment de l’attention (qui ne doit pas être confondue avec la concentration), il est facile de constater que ces deux états sont incompatibles

    > Des enregistrements de l’activité électrique du cerveau montrent que le début de la prise de décision par le cerveau a lieu quelques centaines de millisecondes avant que le patient soit conscient de vouloir agir.

    • Francis, agnotologue JL 9 décembre 2015 11:22

      @Jean Keim,


      bien que je ne nie pas aux mécanismes neurobiologiques des propriétés quantiques - c’est le contraire qui serait surprenant - je ne vois pas ce que le fait que la conscience de vouloir agir se manifeste après que la décision soit prise, démontre en l’occurrence.

      Cette constatation relève à mon avis, de la définition de la conscience. Regardez un chat qui s’apprête à sauter sur un mur ; aussi longtemps qu’il n’aura pas envoyé l’influx nerveux aux muscles, il lui sera possible d’inhiber toute décision ; il ne sera conscient qu’il saute que lorsqu’il sautera effectivement : c’est un truisme.

      Ceci dit, je me demande si l’expression c’est la poule et l’œuf, n’aurait pas quelque chose à voir avec les mystères quantiques. Mais c’est probablement une autre histoire.

  • clément dousset clément dousset 9 décembre 2015 10:28

    La théorie moduliste dont j’ai exposé l’ébauche (https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=2&cad=rja&uact=8&ved=0ahUKEwivv4bUt87JAhUJHxoKHZbqAX8QFggnMAE&url=https%3A%2F%2Fblogs.mediapart.fr%2Fclement-dousset%2Fblog%2F240615%2Fune-niche-pour-la-conscience-partie-22-le-modulisme&usg=AFQjCNEfgJtkrJCeYkXZl_RguRLARLFxGQ&sig2=_jp8XMCwK1vtzNRHGbxTaA&bvm=bv.109332125,d.d2s ) implique, comme dans ce que vous dites, un autre mode de communication dans l’espace cérébral que celui de la voie électrique câblée par les axones. Il s’agit d’une voie électromagnétique qui peut opérer à distance hors du câblage par une modulation du champ.

    Ce mode de communication implique un système récepteur sensible à cette modulation du champ de façon à produire les affects ou, si l’on préfère, les qualia des sensations.

    Vous semblez appeler des directions nouvelles dans la recherche. Moi aussi mais ce ne sont pas les mêmes. Vous vous intéressez aux micro-structures de la matière pour essayer de découvrir par exemple comment les spins de certains électrons peuvent être sensibles à des effets à distance. Et moi je m’intéresse à la structure des groupements de neurones dans le cortex propriocepteur (corps de Penfield, modules corticaux du cortex visuel primaire etc.) dans le but de montrer que cette structure varie intimement en fonction de l’emplacement et de la nature des organes sensoriels auxquels ces groupements sont reliés.

    Ainsi votre centre d’intérêt est complémentaire du mien tandis que votre demande d’une ouverture du champ de la recherche est parallèle à la mienne....


  • Automates Intelligents (JP Baquiast) 10 décembre 2015 18:47

    A clément Dousset

    Merci, très intéressant. Je vais allez voir votre site.
    Je pense de toutes façons qu’étant encore au niveau des hypothèses, il faut considérer plusieurs solutions


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