mardi 21 février 2012 - par Pierre JC Allard

Le glorieux temps du mécontentement

La France vit son hiver du mécontentement. The "winter of our discontent" ... Avec un petit clin d’oeil à Shakespeare et Steinbeck, je vous annonce la fin du monde. Pas celle qu’auraient prévue les Mayas, celle que n’importe qui peut prévoir, comme on peut prévoir qu’un corps en chute libre va tomber. La fin du monde dans le sens franchouillard d’une rupture avec cette vieille paire de pantoufles faite sur mesure pour le Grand Charles qu’a été la Ve République… et avec la démocratie qu’on nous a inventée. 

C’est que je ne peux m’imaginer un lendemain qui chante à cette élection qui vient, quel que soit le vainqueur. On peut s’attendre, quoi qu’il arrive, à 70% de mécontents. Mécontents du résultat, mécontents du systeme lui-même. Dégoutés des partis, dégoutés des politiques. Ras le bol des mensonges, des magouilles… et de la démocratie bidon qui repose sur le contrôle des médias et une corruption omniprésente pour arrondir les angles.

Il y aurait eu une option : une candidature unique, rassembleuse de centre droit. Mais le Systeme ne voulait ni Villepin, ni Bayrou, encore moins Asselineau… Le Systeme veut l’immobilisme des machines PS ou UMP, celles qui changeront quelques copains, mais ne toucheront surtout pas au copinage. La France d’« en-haut » a fait la pari qu’on pourrait faire un autre tour de piste avant que la musique n’arrête et, jusqu’à maintenant, il semble qu’elle ait eu raison.

La France d’en-bas ronchonne discrètement, mais ne bouge pas. Elle semble résignée à ce qu’il n’y ait pas de solutions aux problèmes, à ce que les inégalités augmentent et à ce que notre société meure faute d’une bonne raison de vivre. Résignée… mais les sociétés ont parfois des sursauts. Le mécontentement du lendemain d’un certain jour de mai prochain pourrait être salutaire. On pourrait comprendre d’un seul coup que notre société est à mourir empoisonnées de sa démocratie… et qu’il faudrait lui en donner une autre.

Je parlais déjà l’an dernier d’une crise politique, dans un texte dont je reprends ici certains points, mais qu’il serait bon de lire. Pas une crise politique dans le sens d’un choix entre un homme ou un autre, entre un programme de gauche et un programme de droite, mais une crise de la politique elle-même. Une remise en question, non pas tant des hommes et des procédures pour déterminer qui exerce le pouvoir – même s’ils ont leur importance – que de la façon dont la gouvernance se définit, de ses limites et de ses modalités d’exercice.

En apparence, il semble y avoir un consensus pour la démocratie. Qui vous a dit du bien, récemment, du fascisme, du stalinisme, du despotisme éclairé, de la monarchie absolue ou que quelque forme de gouvernance autre que la démocratie ? La DÉMOCRATIE occupe seule tout l’espace correct du débat politique. Tout le monde ou presque est convaincu des mérites de la démocratie. On est pour la démocratie ou l’on est un monstre.

Il y a un consensus en faveur de la démocratie. Évidemment, le consensus s’arrête là. Parce que, lorsqu’on a dit ” démocratie ” et qu’on a applaudi, le consensus se brise. Il éclate dès qu’on tente de répondre à quelques questions pourtant simples, mais bien embêtantes, comme ” Qu’est-ce que la démocratie ? “, ” Quel type de démocratie ? ” ,” Quelles sont les conditions minimales pour qu’on soit bien dans un régime démocratique ? ” etc. etc… Ces questions agacent, parce qu’elles nous confrontent à cette réalité choquante que si l’idéal démocratique comme concept règne sans rival sur les coeurs et les esprits, celle-ci ne règne en fait nulle part ailleurs.

La démocratie est un projet de société qui reste à bâtir. Peut-on parler de démocratie, quand certaines options de gouvernance disposent, pour se faire connaître et vanter leurs mérites, de moyens financiers qui sont 100 fois ceux de leurs concurrents et que l’accès de ceux-ci aux médias est, avec les premiers, dans le rapport du zéro à l’infini ? Même les conditions matérielles pour un choix démocratique n’existent pas. Triste… et pourtant, ce n’est que le moindre des problèmes de la démocratie…

Supposons une information parfaite, accessible à tous. Peut-on honnêtement prétendre que tous les citoyens ont le bagage de connaissances générales, la culture et l’éducation pour accueillir cette information et la comprendre ? Supposons même que si. Avons nous tous une même aptitude fondamentale à penser droit ? A connaissances et information égales, en arriverions tous à nous former une opinion éclairée et judicieuse ?

Faisons un acte de foi et supposons-le aussi. Il n’en reste pas moins qu’une société qui peut fonctionner doit être, par définition, un ensemble de compétences complémentaires. L’opinion de chacun sur chacune des questions spécifiques auxquelles gouverner exige une réponse a-t-elle la même probabilité de conduire à la décision la plus efficace ? Serait-il raisonnable que mon avocat opine sur le traitement de mon ulcère et mon médecin sur la conduite de mes affaires ?

La volonté populaire nous dira-t-elle avec sagacité, si on doit encourager l’épargne ou la consommation, si la conjoncture internationale et le rapport des forces suggèrent des investissements militaires, si on doit – et si on peut – favoriser un nivellement des revenus, si nous avons les ressources pour un système de santé gratuit et universel, etc. ? La réalité, c’est que, dans une société complexe, considérant tous les facteurs, il n’y a qu’une seule “meilleure solution” et que ce n’est pas Quidam Lambda, mais des experts qui la connaissent.

On peut s’en remettre à la volonté du peuple pour nous dire ce qu’il juge « la meilleure solution », mais on connaît ses critères. Les réactions du peuple sont prévisibles. La politique globale qui résulterait de la volonté populaire ne constituerait pas un ensemble cohérent, mais serait au contraire un tissu dense de contradictions.

La volonté démocratique de la population serait d’augmenter les services et de diminuer les taxes et impôts tout en remboursant la dette, misant sur un gain d’efficacité qui irait de paire avec une réduction non seulement des effectifs, mais de la charge de travail de chacun… ! La quadrature du cercle, quoi Le peuple veut l’impossible.

Le rôle du politicien en démocratie est donc d’abord de faire croire à l’impossible, puis de s’excuser de ne pas l’avoir livré en promettant que désormais il le fera… Mentir n’est cependant pas suffisant. Pour qu’un État fonctionne, il faut qu’aux choix démocratiques des quidams soient substituées des décisions prises par des experts. Des décisions cohérentes. Efficaces. Le fonctionnariat est là pour ça. Il est choisi, nommé, pas élu...

Quand on dit démocratie, en faisant tout pour exclure toute participation du peuple à la prise de décision, il faut donc comprendre que ce n’est pas SEULEMENT une arnaque pour déplacer le maximum de richesses vers ceux qui ont déjà la richesse et le pouvoir. C’est AUSSI un geste de mansuétude, pour cacher aux enfants chéris du bon Dieu que, non seulement la démocratie n’existe pas, mais que, dans le sens racoleur qu’on a donné au terme “démocratie”, celle-ci est rigoureusement impossible.

La crise actuelle de la politique, c’est qu’une part grandissante de la population prend conscience de cette impossibilité.

La solution ? Il faut accepter que l’individu ne peut pas définir des politiques : il ne peut que choisir celle qu’il veut, entre des options cohérentes qu’on lui présente. La démocratie efficace est donc celle d’un droit de veto. Pas moins, pas plus.

Si la démocratie efficace ne peut être qu’une sequence de “oui” et de “non”, la démocratie vraie, c’est introduire dans la gestion de l’État BEAUCOUP de points de contrôle sectoriels permettant que les citoyens puissent dire démocratiquement ce qu’ils ne veulent pas et, dans le champ de leur compétence, exclure les moyens qu’ils considèrent inacceptables. C’est cette VRAIE démocratie qu’il faudrait mettre en place.

Ceux qui profitent de la situation actuelle ne veulent évidemment pas qu’on en change… Ils préfèrent faire ce qu’ils veulent …en disant que c’est nous qui l’avons demandé. Nous n’aurons donc une vraie démocratie que quand le people sera TRES mécontent. Il le sera peut-être en mai. Après, on verra…

Pierre JC Allard



9 réactions


  • Alpo47 Alpo47 21 février 2012 10:40

    Bonjour ,

    Je vous cite : « ... La démocratie efficace est donc celle d’un droit de veto. Pas moins, pas plus.... ».

    En effet, c’est ce que j’appelle, moi, « un droit de révocation des élus par leurs électeurs ». Il me semble que ce serait là un immense pas en avant vers un système vraiment démocratique, dont nous sommes effectivement loin.
    Facile à mettre en place, sinon ... que ce sont les élus actuellement en place qui vont bloquer des 4 fers, tout comme les lobbies qui influencent les professionnels de la politique actuels. Personne ne s’en étonnera.


  • Mycroft 21 février 2012 12:26

    Vous faites une apologie des « experts » assez effrayante.

    Un expert, dans les domaines intellectuels, c’est une personne qui maitrise l’art de la modélisation. En effet, comprendre un phénomène, c’est prévoir son comportement, ce qui revient à le modéliser (mathématiquement ou autrement).

    Un modèle est sérieux quand il n’a pas été remis en cause par un fait répétable et quand il a été illustré par un jeu d’expérimentation elles aussi répétable.

    Or, justement, nos « experts » en politiques (ou en économie d’ailleurs), sont dans l’incapacité la plus totale d’effectuer ces expérimentation de manière fiable. Ils ne font que des expérience (la différence étant, par principe, la notion de « toutes choses égales par ailleurs »). Qui pour la plus part, les font aboutir a des raisonnement aussi valable que, pour prendre une métaphore que j’aime beaucoup, « si les voitures rouges vont plus vite que les voiture bleu, statistiquement, c’est bien à cause de leur couleur, parce que le rouge, ça va plus vite ».

    Diriger, c’est une charge mais pas un métier. C’est une chose qu’il faut faire (parce que sans loi, sans ordre, sans un système qui nous prive de notre excès de liberté, on fini en guerre civile ou en anarchie) mais ce n’est pas une chose que qui que ce soit sait faire. Certains le font bien, pendant un temps donné. Sans même savoir pourquoi, la plus par du temps. Et sans que leur capacité a un instant t donné présage sur leur capacité à l’instant t+1. Ce n’est pas ça être un expert. Dans les domaines scientifiques et techniques, il y a une réalité concrète qui ne relève pas de la volonté humaine. On peut voter en masse contre la gravité, même à l’unanimité, elle restera une réalité avec laquelle il faudra composer. La maitrises des mathématiques, la connaissance des expérimentation majeures de son domaine, voilà les compétences nécessaire pour faire un expert dans le monde intellectuel (tout comme, dans le monde manuel, la connaissance des méthodologies et l’entrainement sont les compétences nécessaire pour prétendre à l’expertise, mais ce n’est pas le sujet).

    Il n’y a pas d’expert en politique ou en économie. Il y a des madames Irma avec une cravate, des affabulateurs, qui savent efficacement utiliser l’art de la rhétorique et de la manipulation pour berner les gens. Principalement parce qu’on les laisse faire. Ces individus ont réussi à nous vendre cette soi-disant expertise pour nous faire accepter l’idée qu’il nous fallait les garder, malgré la malhonnêteté prouvé de bon nombre d’entre eux et la complicité, au moins passive, de nombreux autres.

    En ce sens, laisser un non chirurgien vous opérer, tout comme laisser un non menuisier faire vos meuble, c’est prendre un risque. Laisser un non chef professionnel nous diriger, ce n’est pas prendre un plus gros risque que de laisser un chef professionnel le faire.

    Pour résoudre le problème de notre société, la première chose à faire, c’est de revoir notre liberté d’expression, en intégrant cette petite condition simple : il faut systématiquement dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. On doit déjà faire ça dans un tribunal, je ne vois pas de raison de ne pas le faire ailleurs (en dehors de la scène, domaine où le mensonge est roi, mais où on sait dès le départ qu’on va nous mentir). Imposer à toutes personne affirmant une chose de prouver ses dire ou de les sourcer serait déjà un premier pas.

    Il faut également revoir le métier de journaliste en intégrant logiquement que ces derniers remplissent une charge politique et par conséquent, se doivent de répondre devant le peuple via un scrutin quelconque. Et il faut impérativement dé-peopliser le monde politique. Pour arriver au stade où, enfin, on aura nécessairement des têtes qui changent à chaque élections. Ce qui permettra de ne plus se concentrer sur les personnes, mais bien sur les méthodes, les idées et les convictions.


  • Kookaburra Kookaburra 21 février 2012 12:43

    Bonjour

    Je partage votre sentiment sur la démocratie, mais j‘ai moins de foi dans nos élites. Une petite remarque sur :

    «  Serait-il raisonnable que mon avocat opine sur le traitement de mon ulcère et mon médecin sur la conduite de mes affaires ?  »

    C’est-ce que se passe couramment : les ministres sautent allégrement d’un ministère à l’autre. Un jour on est expert en matière de transport, le lendemain on devient expert en médecine. Nos Énarques sont apparemment des génies universels. Platon préconisait une oligarchie par des philosophes, et vous semblez aller un peu dans cette direction.


    • Mais dans quel monde vit-on ? 21 février 2012 12:47

      « C’est-ce que se passe couramment : les ministres sautent allégrement d’un ministère à l’autre. »

      Ca marche parce que ce sont, en réalité, des fonctionnaires inamovibles, non passibles du^suffrage universel, qui assurent la continuité et font réellement tourner la boutique.


  • Mais dans quel monde vit-on ? 21 février 2012 12:44

    « La réalité, c’est que, dans une société complexe, considérant tous les facteurs, il n’y a qu’une seule “meilleure solution” et que ce n’est pas Quidam Lambda, mais des experts qui la connaissent. »

    Comment pouvez-vous dire qu’il n’y a qu’une seule « meilleure solution » ? Il peut y en avoir autant que de collèges d’experts ! Un imbécile - heureusement anonyme, puisqu’on dispute encore constamment de son identité - a connu une fortune imméritée en écrivant « Gouverner, c’est prévoir ! »

    Partant du principe qu’on peut tout prévoir sauf l’avenir, la réalité c’est que « Gouverner, c’est parier ! » C’est parier que l’avenir sera ceci plutôt que cela, ou cela plutôt que ceci, que l’avenir sera comme ci plutôt que comme ça, ou comme ça plutôt que comme ci.

    Il apparaît donc qu’avec les tenants du ceci et du comme ci, et avec les partisans du cela et du comme ça, nous avons déjà au moins deux « meilleures solutions » possibles qui ne devraient pas être compatibles, parce que dans la plupart des cas, se développera une opposition irréductible entre ceux qui croient en l’homme et ceux qui n’y croient pas - ce qui fonde, pour moi, la différence entre la vraie gauche et la vraie droite.

    « il ne peut que choisir celle qu’il veut, entre des options cohérentes qu’on lui présente. La démocratie efficace est donc celle d’un droit de veto. »

    Encore faut-il, pour cela, que l’électeur se prononce sur l’objet qui lui est présenté et non contre celui qui le lui présente ! Comme cela s’est produit, pour une part importante des « nonistes », avec le vote sur le projet de Traité constitutionnel européen.


  • Gasty Gasty 21 février 2012 14:16

    Ceux qui n’en profite pas ou souffrent devrait effectivement vouloir en changer . Or ! il ne le peuvent pas, ils ont seulement l’illusion de pouvoir le faire avec un bulletin de vote. Les actes doivent être ceux de la citoyenneté active qui ne se limite pas à l’accomplissement de son devoir d’électeur...

    Non seulement cette citoyenneté devrait être aux droit et devoirs civils et politique mais devrait l’être aussi aux droits et devoirs de possession et de partage de nos ressources communes , nationale et internationale.

    Contenir le peuple dans l’ignorance, c’est le problème majeur.


  • Clojea Clojea 21 février 2012 18:55

    Les politiques, et ce de plus en plus, choisissent la compromission et le discours du « tout va bien » et « ne pas faire de vagues ». Du coup, quand cela brosse certains dans le sens du poil ou du politiquement correct, tout va bien. Quand aux laissés pour compte, ne rentrant pas dans la catégorie du politiquement correct, ils se font jeter aux chiens, mais toujours en « douceur ». Politique inconsistante de droite comme de gauche, qui est bonne pour la réforme. Démocratie ou est-tu ? Politique réelle en faveur réelle du peuple, ou est-tu ?

    Merci pour l’article

  • Tilk Tilk 21 février 2012 23:36

    l erreur est humaine, supprimons l humain
    avoir la foi en l humain est surhumain ou inhumain, impossible
    non il ne reste qu une solution radicale, dont une option est encore calculée avec un moratoire prolongé en h5n1 par exemple... sur le chaos se referont les joueurs de poker mondial qui n auront aucun scrupule.... pour changer
    Est ce qu en vieillissant on devient tous plus mechant ? et c... ?


  • Nanar M Nanar M 22 février 2012 07:48

    And soon, The French Spring !


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