mercredi 15 novembre 2017 - par Taverne

Le journal Le Monde méconnaît le Droit

Dans un article du 14 novembre 2017, intitulé "Audiovisuel public : la démarche inquiétante de Françoise Nyssen face aux révélations du « Monde  »", le grand quotidien s'offusque d'une plainte contre X portée par le ministère de la culture pour détention d'informations que le journal détient illégalement. C'est le directeur de la rédaction lui-même qui prend la plume ! Pour dire des bêtises...

La plainte ne vise pas le journal mais, plus probablement, le fonctionnaire qui, au mépris des règles du droit qui s'imposent à lui, a communiqué des informations qu'il n'avait pas le droit de communiquer. Faisons un point juridique sur la question.

Tout d'abord, le journal indique qu'il s'agit de "documents préparatoires". Or, la loi n'autorise l'accès qu'aux documents administratifs (document administratif = tout document produit ou reçu par une personne morale - y compris personne morale privée - chargée d'une mission de service public) ayant un caractère définitif. Voilà pour le premier grief que le jounral ne pouvait ignorer. Second grief : le secret des affaires (ici le secret des stratégies commerciales ou industrielles) s'oppose également. Il existe donc au moins deux violations du Droit. Cela n'empêche pas Le Monde de jouer les victimes et de hurler au scandale.

Voici les textes juridiques concernés :

Article L311-6 du CRPA (Code des relations entre le public et l'administration)

(Modifié par la loi n°2016-1321 du 7 octobre 2016 - art. 6 dite "loi pour une République numérique" ou loi Lemaire)

"Ne sont communicables qu'à l'intéressé les documents administratifs :

1° Dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle, lequel comprend le secret des procédés, des informations économiques et financières et des stratégies commerciales ou industrielles et est apprécié en tenant compte, le cas échéant, du fait que la mission de service public de l'administration mentionnée au premier alinéa de l'article L. 300-2 est soumise à la concurrence ;

2° Portant une appréciation ou un jugement de valeur sur une personne physique, nommément désignée ou facilement identifiable ;

3° Faisant apparaître le comportement d'une personne, dès lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter préjudice.

Les informations à caractère médical sont communiquées à l'intéressé, selon son choix, directement ou par l'intermédiaire d'un médecin qu'il désigne à cet effet, dans le respect des dispositions de l'article L. 1111-7 du code de la santé publique."

Le droit à communication ne s'applique qu'aux documents achevés (et donc "non préparatoires")
 
Article L311-2 du CRPA  : "Le droit à communication ne s'applique qu'à des documents achevés. Le droit à communication ne concerne pas les documents préparatoires à une décision administrative tant qu'elle est en cours d'élaboration. (...)"
 
L'exigence de transparence ne permet pas tout !
 
« La commission d'accès aux documents administratifs a néanmoins considéré que l'application du principe de transparence, qui est celui de la loi du 17 juillet 1978, pouvait conduire la personne qui détient des documents préparatoires à les communiquer, si elle estime que cette communication n'est pas de nature, en raison des circonstances de fait se rapportant à l'affaire, à affecter la sérénité de la prise de décision ou à porter atteinte à un secret protégé. » (Réponse à une question parlementaire 30 mars 2014)
 
Mais la communication pour motif de transparence ne doit pas porter atteinte au secret des affaires ("secret protégé").
 
Les autres exceptions à la règle de non communication des documents préparatoires sont : les décisions créatrices de droit (ce qui n'est pas le cas dans l'affaire présente) et le droit de l'environnement où il est opéré une distinction entre la notion d'information et celle de documents administratif et où, en vertu de ce distinguo, l'exception du caractère préparatoire est inopérante pour l'accès aux informations préparatoires (mais pas aux documents eux-mêmes).
 
La loi est supérieure à l'exigence de transparence.
 
Pas de culture du secret mais des secrets protégés par la loi !
 
Dans son article, le directeur de la direction dénonce "une culture du secret". Non, il ne s'agit pas d'une culture du secret mais du simple respect des secrets protégés par la loi auquel tout citoyen est tenu. Les journalistes ne sont pas au-dessus des lois. C'est devenu un réflexe imbécile dans les médias de parler de "culture" de ceci ou de cela à la moindre frustration. C'est devenu aussi une habitude de propager des informations de façon illégale ou sans vérification préalable. Chacun peut voir aussi le sort qui est souvent réservé au secret de l'instruction judiciaire...

J'espère que les journalistes du Monde sauront à l'avenir se montrer plus avisés avant de se monter sur les grands chevaux. Et aussi se montrer plus compréhensifs dans la mesure où eux-mêmes font preuve d'une extrême prudence voire d'un zèle immodéré en matière de discrétion sur certaines questions qui les intéressent de près ou qui les embarrassent...

 




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