Le mystère du monter à la corde
Aucun de mes enfants n'a appris à monter à la corde, alors que c'était de mon temps un classique du gymnase. Pourquoi cette mystérieuse disparition d'un apprentissage très utile ? A l'heure où l'on discute d'une refonte des programmes scolaires, il nous a semblé utile d'enquêter.
Sans être un fanatique de gymnastique, force est de reconnaître que dans de nombreuses circonstances savoir monter et descendre le long d'une corde peut s'avérer bien plus utile que, par exemple, faire la roue ou le poirier - comme l'illustrera ce dialogue avec un adulte coincé en hauteur :
- On a appelé les pompiers. Est-ce que vous avez une corde ?
- Oui.
- Fixez-la solidement et vous pourrez descendre, il n'y a que quatre mètres.
- Mais je ne sais pas faire les nœuds...
Bon, c'est un mauvais exemple – les nœuds n'étant pas non plus enseignés à l'école. Admettons que la corde est déjà mystérieusement en place, genre corde de fakir :
- C'est bon, descendez le long de la corde !
- Je ne sais pas ! dit la malheureuse victime d'une voix paniquée.
- Mais je sais faire le poirier ! ajoute-t-elle soudain, pleine d'espoir.
- Quoi ?
- Et aussi la roue !
Bref, la vérité oblige à dire que la plupart des gens ne feront jamais la roue ou le poirier de toute leur vie d'adulte : avez-vous souvent vu dans la rue des gens faisant la roue ? Non. Pas plus que le type qui attend sa femme parce qu'il a oublié ses clefs ne poireaute en poirier : assis en lotus, à la rigueur, s'il est assez souple, mais en poirier devant l'entrée de l'immeuble la tête en bas - non, jamais.
Alors pourquoi quelque chose d'aussi utile a-t-il été supprimé du programme scolaire ? Une intense recherche de quelques minutes sur la Toile n'ayant pas apporté de réponse, nous allons essayer d'y arriver par le raisonnement, technique également enseignée à l'école... Quoique selon d'autres sources toute logique ait disparu des programmes scolaires.
- Commençons par des raisons techniques :
L'UE a-t-elle imposé des normes ? Épaisseur de la corde, résistance (que celui qui n'a jamais douté de la solidité de sa fixation au plafond du gymnase me jette le premier tapis de sol), d'où découlerait un manque d'inspecteurs des cordes ? Problème de qualité-produit, contrefaçon chinoises de cordes, manque de cordes françaises ? On s'interroge.
- Des raisons religieuses et communautaires : manque de cordes halal ou cachères ? Indécence du geste, refus de voir des garçons concupiscents reluquer le cul montant de nos jeunes filles ? En outre, il existait jadis deux variétés de corde : lisse ou à nœuds, lesquels facilitaient l'apprentissage puisqu'on pouvait y caler ses pieds pour faire une pause, comme un grimpeur ou alpiniste sur un replat. Mais ces nœuds sur une corde n'évoquaient-ils pas de trop près un gland phallique, une bonne dizaine de glands, même ? Sans oublier la descente et cette tige qui glisse entre les cuisses. Qui peut savoir : il n'y a pas de limites à l'imagination libidineuse des fanatiques.
- Raisons sociétales : à l'heure d'Internet, les choses vraiment importantes se trouvent en vidéo et s'apprennent en ligne : jouer au poker, le kama-sutra, et donc aussi le monter à la corde.
- Ou alors, dans un monde violent et globalisé où l'on se battra même pour de l'eau, peut-être d'autres compétences ont-elles été jugées utiles : l'escalade et la « natation longue » (pour le déluge ou le tsunami ?), la « boxe française, la lutte » ?
- Peut-être est-ce dû à une autre maladie de civilisation, la société de consommation, l'abondance, car la lecture des activités possibles en EPS (éducation physique et sportive) donne le tournis : ça va du cirque au « multibond » (ne me demandez pas ce que c'est, j'en suis resté au banal triple-saut), en passant par la course d'orientation et la « performance acrobatique ».
La seule constante des programmes scolaires, c'est l'ambition !
- Faut-il chercher du côté de l'américanisation de l'UE ? Crainte de la judiciarisation des activités physiques, comme l'indique cette affaire où l'établissement et le professeur ont été cette fois-là dégagés de toute responsabilité.
Ou des raisons inavouables : crainte du Ministère de l'intérieur que des professeurs ne se suicident par pendaison dans le gymnase de l'établissement... comme parfois les forces de l'ordre avec leur arme de service. Passons sur cet usage indélicat du matériel de l'Etat - tout le monde n'a pas chez soi la machine du sieur Guillotin.
Notre ministre ayant annoncé de nouveaux programmes scolaires, en ces temps de crise nous suggérons une mesure d'économie : apprendre seulement à descendre. Mais cela suppose la construction d'un escalier dans chaque gymnase – et la Cour des comptes y verrait probablement une gabegie.
- On pourrait trouver là une application de la transversalité, notion très en vogue dans les Académies : calcul de la force de rupture d'une corde (maths+EPS), représentation des cordes dans la peinture au fil des siècles (arts plastiques+EPS), usage de la corde dans le siège des châteaux forts au Moyen-Âge (histoire+EPS), etc. Ou encore la bicompétence que le ministère souhaite développer chez les enseignants : par exemple prof de français et de monter à la corde.
- Si c'est une question de budget, on pourrait monter à la ficelle, mais les risques augmentent.. Ou alors externaliser et sous-traiter cet apprentissage. Mais le partenariat public-privé s'est toujours avéré très coûteux pour la collectivité ; il est moins cher de monter chez soi que de faire appel aux professionnelles : tu montes, chéri ?
- Dans le cadre du multilinguisme européen, on pourrait créer un Erasmus du monter à la corde : chacun irait ainsi apprendre le monter à la corde dans un pays étranger, tout en améliorant ses connaissances linguistiques, car savoir dire "corde" dans 27 langues sera l'indispensable viatique de l'honnête européen du XXie siècle.
Finalement, peut-être l’Éducation nationale a-t-elle appliqué les plus récentes découvertes de la pédagogie : ne pas apprendre à l'élève mais le laisser découvrir lui-même. Ainsi que l'avait depuis longtemps anticipé notre Cyrano de Bergerac : "ne pas monter bien haut, peut-être, mais tout seul ! "