Le naturel « bio » vanté… par des artifices !
L’agriculture « Bio » qui entend se distinguer de l’agriculture chimique, ne s’en différencie pas en tout cas par la publicité. Des affiches dans le métro parisien, en octobre dernier, ont montré qu’elle succombait elle aussi à la séduction du leurre d’appel sexuel pour capter à son tour l’attention des passants.
Intericonicité, humour, amalgame et métonymie
L’intericonicité permet depuis longtemps de reconnaître dans la forme des fruits et légumes des zones sexualisées du corps humain. Inutile d’insister sur celle de la banane ou du piment ! Mais prune, abricot ou pêche photographiés sous un certain angle présentent des sphères partagées en deux par un sillon à l’image de rotondités humaines (1). L’affiche de « Biocoop », un réseau de magasins "bio", présente ainsi une gousse d’ail qui ressemble comme deux gouttes d’eau à deux jolies fesses féminines assises vues de dos. Sous un autre angle, l'ail n’aurait pas attiré l’œil.
L’humour retient évidemment l’attention : car on sourit à cette façon de parler légèrement d’un sujet sérieux par cette assimilation inattendue et abusive, ou amalgame, entre deux objets aussi éloignés l’un de l’autre. Quoi de commun entre une gousse d’ail et une paire de fesses féminines, hormis cette parenté confondante de formes gracieuses ?
La métonymie choisie présente dans le même temps un effet pour la cause : les généreuses rotondités de la gousse d’ail prouveraient son excellence que seule l’agriculture « bio » prétend atteindre.
Un culte dangereux rendu à la nature
Seulement, la mise hors-contexte de ce légume sur fond blanc, qui concentre sur lui le regard , tend à paralyser toute réflexion. Le slogan, inscrit sous la photo, se présente comme une vérité d’évidence : « Notre bio n’a rien à cacher ». Par comparaison allusive, agriculture « bio » et nature sans vêtements ni fard sont ici assimilées, comme l’est à la vie naturelle la nudité par ceux qui pratiquent le naturisme
Or, cette adulation de la nature est-elle si justifiée ?
- Le naturisme est-il gage de sincérité dans les relations humaines et le port d’habits, soupçon d’hypocrisie ?
- En outre, la nature est-elle foncièrement bonne et l’industrie humaine mauvaise ? Ce culte aveugle rendu à la nature n’est-il pas dangereux ? N’est-ce pas au contraire en la combattant que les hommes ont réussi à survivre, qu’il s’agisse des cataclysmes incessants ou qu’il s’agisse d’épidémies récurrentes ?
Une publicité démentant son slogan
Prétendre, d’autre part, n’avoir rien à cacher contredit le principe fondamental régissant la relation d’information : nul être sain ne livre volontairement une information susceptible de lui nuire .
- Biocoop n’échappe pas à la règle et sa publicité dément elle-même son slogan. Toutes les gousses d’ail n’ont pas de formes aussi parfaites. Il a donc bien fallu à Biocoop faire un tri parmi nombre d'entre elles, choisir celle qui avait les rotondités féminines requises et donc écarter et cacher celles qui ne les avaient pas.
- L’exhibition de sa nudité en société, d’autre part, est-elle la preuve qu’on n’a rien à cacher : c’en est même tout le contraire puisque le propre du leurre d’appel sexuel est de capter l’attention et donc de la détourner de ce qu’on préfère cacher.
- Enfin, attend-on des légumes d’une agriculture « bio » des formes harmonieuses ou une saveur supérieure à celle des produits de l’agriculture chimique ? Est-ce donc la forme qui détermine le goût ?
Tout compte fait, en usant des mêmes leurres que sa rivale chimique, l’agriculture « bio » tend à démentir l’originalité dont elle se prévaut. Le leurre d’appel sexuel employé est des plus banals et, pas plus que quiconque, Biocoop ne peut prétendre se soustraire au principe fondamental de « la relation d’information ». Il est en outre singulier de voir des adeptes du « bio » recourir à des artifices pour vanter le naturel ! Paul Villach
(1) Pierre-Yves Chereul, « Les médias, la manipulation des esprits, leurres et illusions », Éditions Lacour, 2006, pp 236 et sq.