vendredi 22 décembre 2017 - par Stratediplo

Le plébiscite catalan légitime le référendum d’octobre

Le plébiscite de l'indépendantisme, organisé en Catalogne par le gouvernement espagnol en violation de l'article 152 de la constitution espagnole et des articles 4 et 75 du statut catalan, valide le référendum et reconduit l'impasse.
 
Le 28 octobre 2017, le gouvernement espagnol a fallacieusement invoqué la constitution du 27 décembre 1978 pour révoquer le gouvernement catalan restauré le 29 septembre 1977. Plus précisément, ayant obtenu la veille l'autorisation sénatoriale d'appliquer l'article 155 de la constitution, c'est-à-dire de donner des ordres directs aux autorités catalanes ("el Gobierno podrá dar instrucciones a todas las autoridades de las Comunidades Autónomas"), il les a carrément révoquées, ce qui perturbe depuis lors le sommeil des constitutionnalistes tant espagnols que catalans. Tout en se refusant à proclamer l'état de siège prévu à l'article 116 de la constitution, seule possibilité légale de retrait (temporaire) de compétences au gouvernement d'une communauté autonome, le gouvernement central s'est même permis de convoquer des élections catalanes, s'arrogeant de facto les compétences qui appartiennent de jure au président catalan selon l'article 56 (alinéa 4) du statut d'autonomie. Le parlement catalan ayant cependant accepté sa dissolution anticipée par violation de l'article 66 du statut, qui attribue exclusivement au président catalan la compétence de le dissoudre, il est effectivement renouvelé par le scrutin de ce 21 décembre.
 
C'est vraisemblablement pour éviter une condamnation internationale, et en particulier l'application de l'article 7 du Traité sur l'Union Européenne qui aurait facilité la reconnaissance de l'indépendance de la Catalogne par l'Union Européenne, que le gouvernement espagnol s'est refusé à proclamer l'état de siège, quitte à violer les deux constitutions, et l'absence de tollé à ce sujet lui a donné raison. De même, c'est vraisemblablement pour éviter l'affront d'un refus catégorique de la Belgique (voire l'octroi de l'asile politique) que le gouvernement espagnol a retiré au bout d'un mois le mandat d'arrêt international concernant le président catalan Carles Puigdemont actuellement exilé en Belgique (avec quelques ministres), tout en répétant qu'il serait arrêté dès son retour en Espagne.
 
Conformément à l'article 67 du statut, le président catalan, nommé par le roi en janvier 2016 et irrévocable par le gouvernement espagnol, mais certes passible d'inéligibilité par décision judiciaire comme son prédécesseur après plus de deux ans de jugement, a officiellement cessé ses fonctions aujourd'hui de par l'élection d'un nouveau parlement. Le scrutin, bien que convoqué un jour de semaine car il se trouve plus de séparatistes parmi les jeunes et plus d'unionistes parmi les retraités, tenu en l'absence d'observateurs étrangers et avec interdiction de publication de sondages depuis samedi, a cependant connu une participation record de 82 %, et à peu de choses près répété les résultats du scrutin de septembre 2015.
 
Dans l'ensemble les Catalans ont plébiscité leur parlement illégalement dissous, reconduit leurs députés, exprimé leur confiance et renouvelé leur mandat au gouvernement anticonstitutionnellement déposé.
 
Le Parti Populaire (droite) au pouvoir à Madrid a évidemment été désavoué et perd des sièges par rapport à la dernière législature, ses sympathisants ayant préféré voter pour le parti Citoyens, qui termine ainsi premier parti de Catalogne (en forte progression) bien qu'incapable de former un gouvernement, ni seul ni en lui alliant le Parti Populaire, voire le Parti Socialiste et même le parti ambigu En Commun Nous Pouvons. Les partis indépendantistes Gauche Républicaine et Ensemble pour la Catalogne (droite), qui avaient formé une liste commune il y a deux ans et s'étaient alliés à la Candidature d'Unité Populaire (extrême-gauche indépendantiste) pour gouverner, arrivent en deuxième et troisième position et peuvent de nouveau former un gouvernement en s'alliant de nouveau à la CUP. Ces deux grands partis passent ensemble de 62 à 66 sièges sur 135, et si leur allié la CUP au langage extrémiste passe de 10 à 4 sièges en perdant 43 % de son électorat, l'indépendantisme a au total progressé d'une centaine de milliers de voix (l'abstention ayant baissé) et garde ainsi la majorité absolue au parlement catalan. Jusqu'à présent Ensemble pour la Catalogne déclarait ne pas vouloir investir d'autre président que Carles Puigdemont, le président en fonction jusqu'à ce jour et en exil en Belgique, et la Gauche Républicaine déclarait vouloir investir l'actuel vice-président "non déserteur" Oriol Junqueras, emprisonné mais légalement pas plus inéligible que Puigdemont puisque la justice n'a pour l'instant condamné que les membres du gouvernement échu fin 2015. Sauf erreur le seul élu qui ait déclaré abandonner la vie politique est Carme Forcadell, la présidente du parlement dissous par l'élection d'aujourd'hui. Le plus surréaliste est que le parti des anarchistes "indignés" En Commun Nous Pouvons, qui confirme son ambiguïté puisque le maire de Barcelone Ada Colau a appelé ce matin à voter pour la souveraineté alors qu'elle avait facilité en octobre le coup institutionnel espagnol, n'a pas été sanctionné par l'électorat, mais s'est lui-même marginalisé au centre de l'éventail politique, incapable d'apporter un appui décisif ou utile même en sièges (sans parler évidemment de programme) pour la constitution d'un gouvernement.
 
Fidèle à son indécision et à sa faiblesse conceptuelle, le gouvernement espagnol qui n'a eu aucune hésitation à violer la constitution espagnole et le statut catalan pour convoquer ces élections n'a cependant, comme en 2015, pas eu la détermination (les Espagnols usent d'un autre mot) d'interdire la présentation des partis porteurs de programmes politiques illégaux, qui prônent ouvertement la sécession, que le code pénal espagnol qualifie de sédition si elle est pacifique et de rébellion si elle est violente. Tout le travail espagnol, improvisé en octobre par refus d'affronter la réalité annoncée début 2016 et matérialisée au printemps puis à l'automne 2017, est ainsi réduit à néant puisqu'il a été permis à l'électorat catalan d'élire les mêmes partis et de reconstituer le même parlement (à quelques députés près) sur le même programme. Ce parlement a maintenant deux mois pour désigner un président de gouvernement, auquel il donnera mandat de mettre en pratique le programme sur lequel la majorité des députés ont été élus, et que le roi devra nommer. Certes, puisque le gouvernement espagnol a pu impunément déposer de facto le gouvernement catalan une première fois, il pourrait le faire de nouveau, bien qu'il ne soit pas certain que le nouveau gouvernement catalan l'avale.
 
Conséquemment à l'inexplicable débandade volontaire d'un gouvernement catalan qui, après sa proclamation de l'indépendance (évidemment contraire au droit espagnol), a accepté d'être destitué par violation multiple de la constitution, on pouvait s'attendre à ce que l'électorat catalan ne donne plus sa confiance aux mêmes partis et députés, et qu'il vote pour une grande part pour les partis loyalistes, et pour une plus petite part pour le parti séparatiste unilatéraliste. Mais l'électorat semble obstiné.
 
L'Etat espagnol, qui reconnaît un peuple catalan depuis septembre 1977, voit certainement dans le concept de démocratie un gouvernement par un peuple, mais pas nécessairement ni indépendamment par le peuple gouverné. Le peuple catalan, lui, semble avoir parfaitement compris que la démocratie permet à la fois l'irresponsabilité des gouvernants à durée déterminée et mandat limité, et l'inconséquence des votants tenus seulement de décharger leurs devoirs civiques sur des mandataires.
 
Par l'imposition de ce scrutin nouveau sans changement des modalités par rapport au précédent, le gouvernement espagnol n'a fait que démontrer d'une part son irresponsabilité historique en matière d'unité de l'Espagne, et d'autre part son mépris autant pour l'esprit de la démocratie que pour la lettre de la constitution. Cela devrait ôter leurs derniers scrupules aux séparatistes soi-disant "légalistes". Finalement, après avoir de la sorte apporté à l'électorat catalan la possibilité de plébisciter les partis, le parlement et le gouvernement qui ont organisé le référendum d'autodétermination du 1er octobre, le gouvernement espagnol peut difficilement contester la légitimité démocratique de celui-ci.
 
Pour sa part le gouvernement qui sera prochainement constitué par le parlement catalan avec pour mission de conduire le pays à l'indépendance aura le lourd handicap d'assumer la succession d'un gouvernement qui a aliéné en octobre ses deux atouts majeurs (soulignés dans la Neuvième Frontière), à savoir l'autorité sur la police catalane et la promesse d'irréversibilité du processus de sécession.
 
Si 2017 était l'année de la sécession de la Catalogne, 2018 pourrait bien être l'année de l'ingouvernabilité de l'Espagne.


11 réactions


  • Fergus Fergus 22 décembre 2017 10:00

    Bonjour, Stratediplo

    Globalement d’accord avec le contenu de l’article, notamment sur le camouflet subi par Rajoy et son parti.

    Pas d’accord en revanche avec le titre :

    1) Il n’y a pas eu « plébiscite », mais une élection générale qui ne donne qu’une courte avance - de surcroît fragile - à l’addition des sièges de trois partis indépendantistes divergents sur de nombreux points.

    2) Cette élection ne légitime en rien le référendum d’octobre qui, du fait de son illégalité, n’a produit que des résultats sans valeur, eu égard au boycott des unionistes. En revanche, l’élection d’hier justifie que soit organisé dans les années à venir un vrai référendum d’auto-détermination dont les résultats ne pourraient être contestés.


    • Clark Kent Jeussey de Sourcesûre 22 décembre 2017 10:08

      @Fergus

      «  un vrai référendum d’auto-détermination » ... dans toutes les régions d’Espagne ?

    • Stratediplo 22 décembre 2017 10:32

      @Fergus
      Sauf erreur un plébiscite est la soumission d’un programme ou d’un gouvernant à l’approbation du peuple.


    • Fergus Fergus 22 décembre 2017 11:48

      @ Stratediplo

      Il n’y a eu d’approbation du peuple catalan ni à un programme ni à un gouvernant, mais désignation d’élus de sensibilité très différentes dont le seul véritable point d’accord - le pouvoir aux Catalans - n’est même pas clair, entre volonté d’autonomie accrue et indépendantisme.

      Qui plus est, l’ensemble des élus qui revendiquent la victoire ce matin comporte des libéraux, des progressistes, et même des radicaux de gauche !!!

      C’est pourquoi je maintiens que l’on n’a pas eu affaire à un « plébiscite » !


    • pipiou 22 décembre 2017 11:56

      @Stratediplo

      Oui il y a erreur : Plébisciter signifie approuver à une très forte majorité.

      A vous écouter n’importe quelle élection serait un plébiscite.


    • Fergus Fergus 22 décembre 2017 11:59

      Bonjour, Jeussey de Sourcesûre

      Un « référendum d’auto-détermination » concerne un peuple. Or, les Catalans forment un peuple, d’ailleurs reconnu par le pouvoir espagnol depuis des décennies.

      Ajoutons à cela que la Déclaration universelle des Droits de l’Homme reconnaît à tous les peuples le droit à cette auto-détermination.

      Cela dit, vous avez raison de le souligner, cette possibilité n’existe pas dans le Droit espagnol, la sécession d’une generalitat devant passer par une décision nationale, autrement dit soit par un référendum sur l’ensemble du territoire espagnol, soit par un vote majoritaire des Cortès.

      Il y a donc impasse. Mais également une violation de fait du droit des Catalans au regard de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme.

      C’est pourquoi je pense que, tôt ou tard, l’exécutif espagnol sera contraint de modifier sa constitution afin d’introduire ce « référendum d’auto-détermination » dans son droit. Ne pas le faire serait aller vers un pourrissement de la situation dont la Catalogne comme l’Espagne seront les grands perdants !  


  • Aristide Aristide 22 décembre 2017 11:41

    Une simple précision , majoritaire en sièges et minoritaire en voix, 47,6 % contre 52 %. Un plébiscite !!!




  • BA 22 décembre 2017 13:40

    A propos de la dislocation de l’Espagne :

    A propos de l’indépendance de la Catalogne :

    1- Les partis qui veulent l’indépendance obtiennent 70 sièges sur 135 :

    • JUNTSxCAT : « Ensemble pour la Catalogne », qui soutient l’ancien président Carles Puigdemont : 34 sièges

    • ERC-CatSi : Esquerra Republicana de Catalunya, « Gauche républicaine de Catalogne », coalition indépendantiste, menée par Oriol Junqueras : 32 sièges

    • CUP : Candidature d’union populaire, formation d’extrême-gauche qui défend toujours une indépendance unilatérale, menée par Carles Riera : 4 sièges

    2- Les partis qui veulent rester dans la monarchie espagnole obtiennent 57 sièges sur 135 :

    • PSC : Parti socialiste de Catalogne, mené par Miquel Iceta : 17 sièges

    • C’s : Ciudadanos, formation de centre-droite, libérale et unioniste, menée par Inés Arrimadas : 37 sièges

    • PP : Parti populaire, formation de la droite libérale : 3 sièges

    3- Une coalition est neutre, en position d’arbitre :

    • CatComu-Podem : « Catalogne en commun - Podemos », alliance de Podemos et de la formation dirigée par la maire de Barcelone, Ada Colau. Cette coalition de la gauche radicale est menée par Xavier Domenech : 8 sièges.

    https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_au_Parlement_de_Catalogne_de_2017#Voix_et_si%C3%A8ges


  • Sandocan 22 décembre 2017 19:05

    un peu comme dire que vu que 80% des electeurs on plebiscité les election de Rajoy en participant a ses elections après son coup d’êtat après le 155 selon les independentistes , et en lui donnant son appuie pour récommecer avec sa grande participation , chose qu’il a dit que va faire s’il le faut remarque on comprend bien pourquoi.


  • McGurk McGurk 23 décembre 2017 19:42

    * "Le 28 octobre 2017, le gouvernement espagnol a fallacieusement invoqué la constitution du 27 décembre 1978 pour révoquer le gouvernement catalan restauré le 29 septembre 1977.« 

    A peine le premier paragraphe commencé qu’on voit déjà la magnifique dérive. Car non il ne s’agit même pas d’informer les internautes sur un aspect intéressant de la situation, non. Là on désigne déjà »le coupable« qui est forcément »le gouvernement espagnol« .

    z’en avez pas marre d’être le collabo de service ? Combien êtes-vous avec jaja et sa bande ?
    Qu’est-ce que ça vous rapporte de soutenir l’extrémisme sans borne ?

    * »Le peuple catalan, lui, semble avoir parfaitement compris que la démocratie permet à la fois l’irresponsabilité des gouvernants à durée déterminée et mandat limité« 
    * »le gouvernement espagnol n’a fait que démontrer d’une part son irresponsabilité historique en matière d’unité de l’Espagne, et d’autre part son mépris autant pour l’esprit de la démocratie que pour la lettre de la constitution. "

    C’est tellement de la mauvaise foi que je ne sais même pas par où commencer.

    Le gouvernement central a été plus que patient et a appliqué les procédures jusqu’au bout. En France, l’armée aurait très certainement déjà été envoyée pour tout nettoyer (remarquez, ça aurait été sans doute mieux vu la situation actuelle).

    La seule chose à faire aurait été de supprimer méthodiquement ces mouvements indépendantistes et enferme les leaders à vie. Le destin d’un pays et de l’ensemble de ses citoyens est plus important que le bien-être d’un petit nombre de fous.


    • Stratediplo 28 décembre 2017 00:13

      @McGurk
      Si vous ne savez pas par où commencer, indiquez-nous d’abord quels articles de la constitution espagnole autorisent le gouvernement central à, respectivement, déposer un gouvernement de communauté autonome, convoquer des élections régionales et dissoudre par là un parlement, voire simplement à révoquer un fonctionnaire comme le chef de la police régionale. Je cite des textes précis que n’importe qui peut vérifier, vous m’attribuez des intentions que vous n’étayez pas. Quant au fond, vous avez certainement lu que je considère l’unité d’un pays de cinq siècles plus importante qu’un contrat constitutionnel de quarante ans, mais plutôt que le mensonge et la violation de la constitution un gouvernement responsable devrait soit utiliser les outils constitutionnels à sa disposition, en l’occurrence l’article 116 et l’état de siège (ce qu’il n’aurait pas eu besoin de faire s’il avait refusé l’inscription de partis porteurs de programmes illégaux aux élections de 2015), soit révoquer franchement la constitution s’il la considère inadaptée.


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