mercredi 14 mars 2012 - par Cedric Citharel

Le savoir est une rame

Il y a quelques années, un jeu télévisé passait régulièrement sur une chaîne nationale. Pour en résumer le principe, le joueur avait devant lui une dizaine de boîtes dont une seule contenait une forte somme tandis que les autres étaient remplies de babioles comme une balle de tennis, un paquet de mouchoirs ou autres curiosités du même genre.

Dès le début de la partie, le joueur choisissait une boîte et le présentateur, dans un suspens exaltant, ouvrait les autres boîtes, qu’il savait perdantes, en demandant au participant s’il voulait garder la boîte qu’il avait choisie initialement ou s’il souhaitait échanger avec l’une des boîtes restantes. Beaucoup refusaient de revenir sur leur choix original, et beaucoup perdaient.

En effet, et sans rentrer dans les détails de la statistique, dans un tel contexte, on augmente ses chances de gagner en changeant de boîte puisque l’on diminue le nombre de boîtes perdantes (le présentateur en ayant ouvertes en cours d’émission).

Que nous apprend cette émission ?

D’abord, que les programmes télé grand public volent bien bas, mais là n’est pas le sujet de cet article. Cette émission nous apprend surtout quels sont les fondements d’un système inégalitaire dans lequel tout le monde croit pouvoir gagner, et va donc nous permettre de nous organiser pour nous y opposer.

Comment reconnaît-on un système inégalitaire ?

Dans cette émission, comme en politique, les deux symptômes qui permettent de déceler un tel système sont les revers d’une même médaille ; ils s’appellent « divergence d’intérêts » et « empathie ».

Si les présentateurs touchaient une commission sur les sommes gagnées par les joueurs (et si le salaire des représentants de la nation était indexé sur le revenu médian des citoyens) ils feraient de leur mieux pour que tout le monde gagne. Ainsi, pour s’assurer de leur allégeance au système, leur salaire doit être bien supérieur aux sommes qu’ils gagneraient en aidant les candidats afin de partager leurs gains.

Pour en revenir à ma comparaison, maintenir le salaire des politiciens élevé permet de les garder détachés des problèmes du peuple. Nos représentants n’ont pas d’états d’âme à nous manipuler puisqu’ils n’ont pas les mêmes intérêts que nous.

Et en politique comme dans ce jeu télévisé, ce qui permet au système de perdurer, ce qui empêche les participants de partir en claquant la porte, parce qu’ils en ont marre d’être pris pour des imbéciles, c’est l’empathie dont font preuve ceux qui ont pour mission de préserver le système. Souvenez-vous de ce présentateur. Il était drôle, séduisant, on pouvait même parfois percevoir combien il était heureux pour les gagnants, les mêmes qu’il avait manipulés quelques minutes plus tôt. Peut-être même était-il sincère, tout comme certains politiciens le sont peut-être. Mais sincères ou pas, ces hommes travaillent dans un système destiné à aliéner une majorité de la population au profit d’une minorité. Cette sincérité que nous exigeons, et que nous sommes incapables d’évaluer, ne changera jamais rien aux règles du jeu en 2012, puisqu’aucun candidat susceptible d’être élu ne propose une réforme du système.

Et la partie immergée de l’iceberg ?

Mais la divergence d’intérêts et l’empathie (feinte ou réelle) des élites ne sont pas les seuls outils dont dispose le système. Il y en a bien d’autres, et en faire la liste prendrait des heures, mais pour revenir à ma comparaison avec ce jeu télévisé, je n’en donnerai qu’un : le manque d’information.

Dans ce jeu, le présentateur supprime des boîtes qu’il sait perdantes. Ce qui signifie qu’il dispose d’informations inconnues du joueur. Ce dernier pense naturellement que celui qui semble s’intéresser à son destin n’en sait pas plus que lui, et le présentateur ne le détrompe jamais ; pendant des années, il continuera de mettre hors-jeu des boîtes qu’il sait perdantes en faisant semblant de les choisir au hasard. Il feindra la surprise comme nos politiciens la feignent face à la crise, à l’insécurité ou au terrorisme… alors qu’il savait. Quand le frère de Sarkozy investit dans les complémentaires retraites juste avant la réforme des retraites, nous sommes dans ce contexte. Et quand un simple citoyen a une idée de génie ou parvient à faire fructifier ses économies sans tout perdre dans la crise des subprimes ou dans un investissement à la Madoff, il sert au système à prouver au reste de la population que la réussite est possible, mais elle n’en reste pas moins improbable. Rachida Dati est passée ministre, donc tout le monde peut le devenir, mais au final, pour ceux qui ne sont pas issus du système, il n’y a qu’une place pour des millions. Et encore, on attend d’eux qu’ils fassent allégeance une fois cette place acquise.

Alors qu’est ce qu’on fait ?

Pour lutter contre le système, chacun doit agir en fonction de ses possibilités. Les élites qui n’en peuvent plus de vivre aux crochets des plus défavorisés doivent « balancer » – Wikileaks a fait vaciller les démocraties les plus puissantes dernièrement. Les gens qui vivent modestement du système doivent en abuser – congés maladie, résistance passive, négligence volontaire ; tout ce qui peut affaiblir les structures aliénantes dans lesquelles nous vivons est bon à prendre.

Cela peut paraître utopique, mais si les plus privilégiés ne décident pas d’agir rapidement, ce seront les indigents qui prendront un jour ou l’autre les problèmes à bras le corps ; et lorsque ceux qui n’ont rien à perdre décident de lutter, ce n’est jamais de façon pacifique. Si nous autres, nantis, n’agissons pas rapidement, le jour où il nous faudra choisir un camp, ce sera les armes à la main.



5 réactions


  • Hermes Hermes 11 mai 2012 14:18

    Bonjour Cedric.

    Vous aimez les ubtilités de l’esprit ?

    Alors reprenons votre jeu : vous dites qu’avec un nouveau tirage, le joueur augmente ses chances puisqu’i y a moins de boites. Oui c’est vrai et c’est vrai même s’il choisit la même boite.

     smiley


    • Cedric Citharel Cedric Citharel 11 mai 2012 15:12

      Intuitivement, je serais tenté de dire que vous avez raison, mais qu’il augmente « plus » ses chances en changeant de boîte.

      Je vais quand même essayer de m’en assurer.

      Merci pour le challenge smiley

    • Hermes Hermes 29 mai 2012 18:34

      En fait les probabilités sont faites pour des évenements nombreux ou répétitifs. Sur un événement isolé elles n’ont aucune valeur. Le joueur ne joue qu’une seule fois ! Donc dire que pour avoir plus de chances, il faut qu’il bouge, est vrai si c’était le même joueur à chaque partie, et qu’il joue un « certain » nombre de fois (avec un bénéfice si il y a plus de fois gagnées que perdues, ce qui n’est plus le même jeu « one shot »).

      Mais il est possible qu’il faille un grand nombre d’essais pour vérifier celà, si l’expérimentateur qui veut vérifier la loi des probabilités n’a vraiment « pas de chance » ! Au bout du compte même s’il n’a vraiment « pas de chance » pour, il finira par vérifier la loi qu’un mouvement est obligatoire.

      Donc, baser son comportement sur les lois des probabilités est insensé, car on n’a qu’une seule vie.

       smiley


    • Cedric Citharel Cedric Citharel 29 mai 2012 19:03

      Si je vous rejoins sur le fait qu’il ne faille se servir des probabilités pour faire ses choix personnels, j’ai quelques amis joueurs de poker pour lesquels cette science (associée à une certaine expérience) reste indispensable à leur survie.


    • Hermes Hermes 30 mai 2012 10:47

      Pour les actions répétées un grand nombre de fois, comme dans le jeu de poker, ça devient statistiquement intéressant, bien sûr. Ce serait le cas aussi si dans le jeu télévisuel la personne avit une autre règle du jeu qui serait de jouer plusieurs fois de suite, avec un gain dépendant de l’ensemble des résultats.


Réagir