Le savoir est une rame
Il y a quelques années, un jeu télévisé passait régulièrement sur une chaîne nationale. Pour en résumer le principe, le joueur avait devant lui une dizaine de boîtes dont une seule contenait une forte somme tandis que les autres étaient remplies de babioles comme une balle de tennis, un paquet de mouchoirs ou autres curiosités du même genre.
Dès le début de la partie, le joueur choisissait une boîte et le présentateur, dans un suspens exaltant, ouvrait les autres boîtes, qu’il savait perdantes, en demandant au participant s’il voulait garder la boîte qu’il avait choisie initialement ou s’il souhaitait échanger avec l’une des boîtes restantes. Beaucoup refusaient de revenir sur leur choix original, et beaucoup perdaient.
En effet, et sans rentrer dans les détails de la statistique, dans un tel contexte, on augmente ses chances de gagner en changeant de boîte puisque l’on diminue le nombre de boîtes perdantes (le présentateur en ayant ouvertes en cours d’émission).
Que nous apprend cette émission ?
D’abord, que les programmes télé grand public volent bien bas, mais là n’est pas le sujet de cet article. Cette émission nous apprend surtout quels sont les fondements d’un système inégalitaire dans lequel tout le monde croit pouvoir gagner, et va donc nous permettre de nous organiser pour nous y opposer.
Comment reconnaît-on un système inégalitaire ?
Dans cette émission, comme en politique, les deux symptômes qui permettent de déceler un tel système sont les revers d’une même médaille ; ils s’appellent « divergence d’intérêts » et « empathie ».
Si les présentateurs touchaient une commission sur les sommes gagnées par les joueurs (et si le salaire des représentants de la nation était indexé sur le revenu médian des citoyens) ils feraient de leur mieux pour que tout le monde gagne. Ainsi, pour s’assurer de leur allégeance au système, leur salaire doit être bien supérieur aux sommes qu’ils gagneraient en aidant les candidats afin de partager leurs gains.
Pour en revenir à ma comparaison, maintenir le salaire des politiciens élevé permet de les garder détachés des problèmes du peuple. Nos représentants n’ont pas d’états d’âme à nous manipuler puisqu’ils n’ont pas les mêmes intérêts que nous.
Et en politique comme dans ce jeu télévisé, ce qui permet au système de perdurer, ce qui empêche les participants de partir en claquant la porte, parce qu’ils en ont marre d’être pris pour des imbéciles, c’est l’empathie dont font preuve ceux qui ont pour mission de préserver le système. Souvenez-vous de ce présentateur. Il était drôle, séduisant, on pouvait même parfois percevoir combien il était heureux pour les gagnants, les mêmes qu’il avait manipulés quelques minutes plus tôt. Peut-être même était-il sincère, tout comme certains politiciens le sont peut-être. Mais sincères ou pas, ces hommes travaillent dans un système destiné à aliéner une majorité de la population au profit d’une minorité. Cette sincérité que nous exigeons, et que nous sommes incapables d’évaluer, ne changera jamais rien aux règles du jeu en 2012, puisqu’aucun candidat susceptible d’être élu ne propose une réforme du système.
Et la partie immergée de l’iceberg ?
Mais la divergence d’intérêts et l’empathie (feinte ou réelle) des élites ne sont pas les seuls outils dont dispose le système. Il y en a bien d’autres, et en faire la liste prendrait des heures, mais pour revenir à ma comparaison avec ce jeu télévisé, je n’en donnerai qu’un : le manque d’information.
Dans ce jeu, le présentateur supprime des boîtes qu’il sait perdantes. Ce qui signifie qu’il dispose d’informations inconnues du joueur. Ce dernier pense naturellement que celui qui semble s’intéresser à son destin n’en sait pas plus que lui, et le présentateur ne le détrompe jamais ; pendant des années, il continuera de mettre hors-jeu des boîtes qu’il sait perdantes en faisant semblant de les choisir au hasard. Il feindra la surprise comme nos politiciens la feignent face à la crise, à l’insécurité ou au terrorisme… alors qu’il savait. Quand le frère de Sarkozy investit dans les complémentaires retraites juste avant la réforme des retraites, nous sommes dans ce contexte. Et quand un simple citoyen a une idée de génie ou parvient à faire fructifier ses économies sans tout perdre dans la crise des subprimes ou dans un investissement à la Madoff, il sert au système à prouver au reste de la population que la réussite est possible, mais elle n’en reste pas moins improbable. Rachida Dati est passée ministre, donc tout le monde peut le devenir, mais au final, pour ceux qui ne sont pas issus du système, il n’y a qu’une place pour des millions. Et encore, on attend d’eux qu’ils fassent allégeance une fois cette place acquise.
Alors qu’est ce qu’on fait ?
Pour lutter contre le système, chacun doit agir en fonction de ses possibilités. Les élites qui n’en peuvent plus de vivre aux crochets des plus défavorisés doivent « balancer » – Wikileaks a fait vaciller les démocraties les plus puissantes dernièrement. Les gens qui vivent modestement du système doivent en abuser – congés maladie, résistance passive, négligence volontaire ; tout ce qui peut affaiblir les structures aliénantes dans lesquelles nous vivons est bon à prendre.
Cela peut paraître utopique, mais si les plus privilégiés ne décident pas d’agir rapidement, ce seront les indigents qui prendront un jour ou l’autre les problèmes à bras le corps ; et lorsque ceux qui n’ont rien à perdre décident de lutter, ce n’est jamais de façon pacifique. Si nous autres, nantis, n’agissons pas rapidement, le jour où il nous faudra choisir un camp, ce sera les armes à la main.