Le système des retraites, une affaire en or pour les banques
Après l’élection par les français d’un président, avide de couper le robinet à ses concitoyens, les suisses seront appelés aux urnes, le mois prochain, pour se prononcer sur une baisse de leur pension de retraite. D’après les derniers sondages, près de 55 % d’entre eux diront « oui » dans la joie et la bonne humeur.
De quoi s’agit-il ? Basées sur le principe des « trois piliers », l’assurance publique par répartition, l’assurance privée, néanmoins obligatoire, par capitalisation, et l’épargne privé, les assurances sociales cherchent un équilibre de financement, un compromis entre le public et le privé en quelque sorte. Malheureusement, pour différentes raisons ce système est à bout de souffle. Les caisses sont vides nous dit-on.
Les suisses, un peuple menacé d’extinction, un peu comme les allemands, ne font plus d’enfants, ce qui menace le système de retraite par répartition, car, par-dessus le marché, les gens meurent de plus en plus tard, or ce fut précisément sur ce point que son inventeur, le chancelier allemand Otto von Bismarck, comptait le plus, pour de bonnes raisons, à l’époque. Autre problème, la Suisse sera face à une vague de mise à la retraite d’un million de travailleurs de plus entre 2015 et 2035, les « baby boomers ».
En ce qui concerne le deuxième pilier, l’assurance privée par capitalisation, mangeoire des banques et des assurances, les intérêts, proches de zéro ne produisent plus assez de revenus sur capital.
Le ministre socialiste des affaires sociales, Alain Berset, qui propose cette onzième révision, a dû marcher sur des œufs en la préparant, car la droite, majoritaire à la « Grande Chambre » depuis 2015, a l’habitude de dire « non » avant qu’on lui pose une question. Si on compte les sénateurs socialistes « libéraux » de la « Petite Chambre », celle-ci n’est guère plus progressiste. On ne peut donc pas trop lui en vouloir pour son manque d’audace. Il a sans doutes fait ce qui est politiquement faisable, trop peu, trop tard.
Les éléments clés de cette pilule amère sont : le relèvement de l’âge de la retraite des femmes à 65 à partir de 2021, le prélèvement d’un milliard CHF de l’assurance invalidité en faveur de l’AVS jusqu’en 2021, année pendant laquelle la TVA sera relevée de 8 à 8,3%, augmentation de la cotisation AVS de 0,15% pour employeurs et employés à partir de 2021.
Pour l’assurance par capitalisation, la réforme prévoit une baisse du taux de conversion de 6,8% à 6%, ce qui représente une baisse de CHF 800.00 par année pour chaque tranche de CHF 100'000.00 de capital épargné. Pour la petite histoire, le gouvernement vient de rendre encore plus difficile le retrait du capital à la retraite, un privilège qui continue à être réservé aux indépendants, ce qui laisse entrevoir des doutes de la part des ministres sur la solidité du système. L’assuré se retrouve piégé.
Pour mieux la faire passer, la pilule donc, la rente de tous les nouveaux rentiers sera augmentée de CHF 70.00 par mois, ce qui ne compensera guère la baisse de rente du deuxième pilier.
Dans une interview avec le Tagesanzeiger Monsieur Berset défend son bébé. Pour rassurer tout le monde, il prévient : « Si mon projet de loi n’est pas accepté, les jeunes de ce pays auront des soucis à se faire pour l’avenir de leur retraite »
Il rend en outre attentif au fait que, du à la mise à la retraite de près d’un million de personnes d’ici 2035 il manquera, au bas mot 500'000 travailleurs qualifiés, mais il tient à protéger les plus de 50 ans, qui, lorsqu’ils perdent leur travail, peinent davantage que les jeunes à retrouver un poste, raison pour laquelle les rentes seront maintenues à leur niveau actuel pour cette tranche d’âge.
Le nœud problème serait donc, comme toujours, le manque de financements. Si les politiques commençaient enfin à penser en termes macroéconomiques, on serait plus avancé. Ils constateraient que l’anomalie du système dans lequel nous vivons est au contraire qu’il y a trop d’argent, mal réparti et mal investi, de façon improductive, notamment par les systèmes de retraite par capitalisation.
Vient ensuite l’anomalie du pouvoir d’achat qui augmente dans des domaines accessoires, comme la téléphonie mobile, et baisse dans des domaines vitales comme la santé et l’habitat. Monsieur Berset a raison quand il dit qu’on ne peut plus dissocier le système de retraite par capitalisation du système par répartition, mais il s’arrête à mi-chemin. Il faudrait inclure dans l’équation le salaire minimum, l’introduction d’une caisse maladie publique, la baisse de prix de médicaments, la fin d’une politique d’austérité qui est une absurdité pour un pays aussi riche que la Suisse.
L’état détient la souveraineté fiscale et dans un état démocratique le souverain, c’est le peuple. Il a donc le pouvoir de corriger des déséquilibres, dangereux en l’occurrence, par des mesures fiscales par exemple.
Dans une interview, de la BBC en 2015, l’économiste en chef de la Banque d’Angleterre, Andy Haldane, estime que les incertitudes économiques et géopolitiques ne justifient pas un relèvement des taux d’intérêt dans un avenir prévisible. Ceci pour le système de retraite par capitalisation.
Toujours selon Mr. Haldane, les coupables de la faible croissance de l’économie mondiale sont les entreprises, car, depuis plusieurs décennies, elles n’investissent pas assez, mais utilisent plutôt leurs profits pour rétribuer leurs actionnaires. Dans les années 70, les sociétés payaient usuellement 10% de leurs bénéfices aux actionnaires, aujourd’hui, ce chiffre est entre 60 et 70%. Par-dessus du marché, elles rachètent leurs propres actions pour faire monter le cours, au plus grand plaisir de leurs actionnaires, entre autre les caisses de pension, mais au détriment de l’économie réelle, ce qui contribue à faire gonfler la bulle financière, avec des risques certains pour le système de retraite par capitalisation.
A part une taxation plus audacieuse du revenu sur le capital et sur les gains de capital, de pair avec une diminution du taux d’imposition du travail, pour augmenter le pouvoir d’achat, le souverain pourrait utiliser l’épargne des œuvres sociales pour investir dans la construction de logements, ce qu’il fait déjà, mais pas assez. De cette façon il aurait une incidence sur le pouvoir d’achat des citoyens et, par la même occasion, sur les revenus du système des retraites par le biais de la fixation des loyers.
En outre il pourrait investir une partie du capital, qui est actuellement si mal rémunéré par les banques et les gestionnaires de fortune, dans la recherche et la création d’entreprises, ce qui créerait des places de travail et de nouveaux contributeurs aux œuvres sociales. Il devrait toutefois veiller à ce que ces pousses ne soient pas cueillies par des entreprises chinoises dès qu’elles sont viables, comme cela fut le cas à plusieurs reprises dans ce pays, globalisation oblige.
Le point clé de cette réforme, l’âge de la retraite, nécessitera néanmoins un vrai débat sur la valeur sociale du travail, dans un pays aussi avancé sur le plan technologique et matériel que la Suisse. En outre, malgré ces avancés technologiques, le travail physique ne disparaitra pas pour autant, raison pour laquelle la pénibilité doit également compter comme facteur dans la détermination de l’âge de la retraite, car comme disait l’ancien député allemand Grégor Gysi, on peut encore tenir un discours au Bundestag à 90 ans, mais on ne peut plus couvrir un toit.
Nonobstant, globalement la diminution du temps de travail est inéluctable, grâce au progrès, ce qui est plutôt une bonne nouvelle. Elle va de pair avec la nécessité d’une répartition équitable des fruits de ce progrès. A la longue, la « protection » que Monsieur Berset propose aux plus de 50 ans par le maintien du niveau de leur rente au niveau actuel est un emplâtre sur une jambe de bois, et la diminution du taux de conversion à la rescousse des banquiers un sparadrap.