mardi 12 mai 2020 - par Marc Meganck

Le temps, autrement

Le temps, autrement

Le temps, autrement

Serait-ce une forme de renoncement, un aveu de faiblesse, un manque de toute espèce de volition, que de rejeter le temps qui s’offre à nous aujourd’hui ? Jamais, en effet, ce temps qui est désormais à notre disposition n’a été si palpable, si long dans son essence, si consistant, malléable, de cette matière dont on ne sait que faire après l’avoir pétrie encore et encore, en attendant qu’elle monte, qu’elle se modifie, enfle… ou s’essouffle. Face à ce temps « nouveau », d’aucuns diraient « offert », l’écrivain – en fait chacun d’entre nous, écrivant sa page intime et quotidienne – est démuni. Sur la table du bistrot fermé, la page blanche le reste, orpheline, délaissée par les mots qu’on assemblait mentalement puis calligraphiait manuellement, elle reste muette dans un monde soudain silencieux. Où se sont évaporés la fureur, le brouhaha bistrotier, les silhouettes familières ou inconnues qui peuplaient nos réalités poétiques, nos songes magnifiés ? Que se passe-t-il dans nos bars fermés ? Au Supra Bailly, au Laboureur, au Daringman (« chez Martine »), au Booz’n Blues, au Général, au Longchamps, au Petit Liberty… Comment les habitués meublent-ils leur « temps retrouvé » ? Où errent-ils ? Où les brèves de comptoir se sont-elles envolées ? La faculté d’adaptation de l’être humain – terriblement efficace lorsque l’on considère l’histoire de l’humanité – montre hélas ses limites sur le temps court : le laps, le moment, le fragment, espérons-le, la « parenthèse ». L’écrivain citadin, urbain et tout ce qu’on veut, est sidéré, figé, prisonnier au milieu de la société arrêtée, cette entité dont il est une infime composante. Dans cet intervalle très singulier, dans l’obligation guerrière de ce « confinement » – mot qui deviendra bientôt (s’il ne l’est déjà) inaudible et détestable –, il reste la contemplation, l’observation lente, l’appréciation anodine, le spectacle des choses simples qui nous entourent et parfois nous enveloppent au cours d’une promenade : une rue vide et son architecture, un parc public et ses plantations saisonnières, un bois qui reverdit pour respecter le cycle, le rire d’un enfant au loin, un ciel serein, un bar clos et ses rideaux fermés. Parce que le temps, désormais, se vit autrement…

Marc Meganck

 



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