Les actionnaires d’AIG contre l’Etat fédéral américain : Là où il y a de la gêne il n’y a pas de plaisir
En apprenant la nouvelle que d’anciens actionnaires d’AIG, l’assureur américain célèbre pour son implication dans la crise des subprimes, puis pour son sauvetage par l’Etat fédéral, souhaitaient poursuivre ce dernier en justice, je suis passé par tous les sentiments qu’un être humain puisse connaitre, en particulier l’incrédulité et la colère.
Ma pression artérielle systolique étant revenue sous les 140 mmHg, je voudrais donner quelques explications sur cet éventuel recours qui n’est peut-être pas aussi scandaleusement saugrenu qu’il le parait au premier abord. Mon objectif n’est pas de jouer l’avocat des actionnaires historiques d’AIG, mais de présenter un point de vu plus équilibré et surtout moins hystérique que ceux qu’on peut voir dans les médias.
Le contexte
Comme beaucoup d’autres acteurs du secteur financier l’assureur AIG s’est pris les pieds dans le tapis en 2008 avec la crise des subprimes ; rien de nouveau sous le soleil. La particularité de cet assureur est qu’il était membre du club des « too big to fail » et qu’il a donc fait l’objet du plus gros sauvetage financier que le FED (Réserve fédérale américaine) ait mis en place à ce jour : 182 milliards de dollars injectés par les pouvoirs publics américains.
Mais heureusement, comme un bon film hollywoodien ce sauvetage connait une happy end : AIG a remboursé toutes les sommes avancées par l’Etat américain qui, par ailleurs, était entré au capital de la société et revendu sa participation avec une belle plus-value. Total des gains pour le contribuable américain, 22,7 milliards de dollars, sympa mais pas non plus mirifique car cela ne représente que 3 ou 4% annuel de gain (sur 182 milliards d’engagés) un peu mieux que le livret A. Quoiqu’il en soit, tout le monde semble gagnant, sauf bien sûre les actionnaires historiques et certains d’entre eux l’ont tellement mauvaise qu’ils vont faire un recours à la justice même si ils doivent passer aux yeux du monde entier pour les pires enfants de salauds qui la terre ait engendré.
Qui réclame quoi ?
Celui par qui le scandale arrive est Maurice R. Greenberg, 88 printemps mais toute sa tête, qui fût le patron du groupe jusqu’en 2005 mais surtout son premier actionnaire (12% avant la dilution) et donc celui qui perdit le plus d’argent dans la déconfiture de la société. Il réclame 25 milliards de Dollars.
Au moment où j’écris ces lignes, le conseil d’administration d’AIG ne s’est pas encore déclaré sur son association à la plainte contre l’Etat fédéral américain. Le dilemme est simple ; en cas de victoire seuls ceux qui se sont associés à la plainte touchent le jackpot, par contre en terme d’image auprès du public et des clients américains c’est l’équivalent de la marée noire pour B.P. dans le Golf du Mexique puissance 10. Je parie donc sur une non-participation vu le peu de chance de victoire judiciaire mais surtout compte tenu des inconvénients que cela implique. De plus se joindre à cette plainte équivaut à se tirer une balle dans le pieds car c’est bien le conseil d’administration qui a accepté les conditions très dures demandées par le gouvernement américain et prétendre que celles-ci violaient la loi c’est reconnaitre qu’on a été complice d’un délit.
Pourquoi Pappy est-il énervé ?
Officiellement et juridiquement, les avocats de Maurice R. Greenberg plaident le 5ème amendement de la constitution des Etats-Unis dont voici l’extrait qui les intéresse.
« …nor shall private property be taken for public use, without just compensation. » ou en français, « …nulle propriété privée ne pourra être réquisitionnée dans l’intérêt public sans une juste indemnité. »
Sans être constitutionnaliste, je me permet tout de même de donner un avis sur le recours à cet amendement. A moins de démontrer que Henry Paulson (le héros d’un film que j’ai détesté), le Secrétaire d’Etat au Trésor, soit arrivé au conseil d’administration d’AIG avec une équipe de SEAL, difficile de parler de réquisition ? Quant à parler d’un juste prix, comment fixer le prix d’un assureur dont les actifs sont composés de titres qui ne sont plus côtés à cause d’un marché paralysé ?
En réalité Maurice reproche à l’ancienne direction d’avoir accepté des conditions léonines lors du sauvetage du groupe. C’est comme cela les vieux ! Ils pensent toujours que les plus jeunes sont des branleurs et que de leur temps cela ne se serait pas passé comme cela. Il faut reconnaitre que Greenberg n’a peut-être pas tout à fait tord sur le fond, celui qui a reprit les rênes de la société en 1962 en a fait le numéro 1 mondiale de l’assurance et ce n’est qu’après son départ en 2005 que le groupe s’est lancé à corps perdu dans le funeste marché des subprimes.
En se portant acquéreur de plus de 90% des parts de l’entreprise, les actionnaires historiques ont vu leur participation totalement diluée (celui qui possédait 10% de la boite, avant l’entrée au capital de la FED, s’est retrouvé avec un petit 1%), par ailleurs le taux réclamé pour l’aide de 85 milliards de dollars, LIBOR plus 850 points de base (environ 10% l’an) a littéralement siphonné les bénéfices de l’entreprise pendant 3/4 ans. Il est vrai que LIBOR + 8,5% c’est beaucoup mais c’est pas plus que ce que des millions de familles, surtout des Latinos et des Blacks, ont déboursé pour acheter la maison de leurs rêvent en aillant recours au emprunts dit subprimes.
La morale voudrait que les actionnaires historiques s’attaquent aux membres du conseil d’administration de l’époque puisque ceux-ci auraient fait acte de forfaiture, si on considère que les conditions réclamées par l’Etat fédéral sont spoliatrices. Mais la morale et les affaires d’argent ne font toujours pas bon ménage et si on veut récupérer 25 milliards de dollars mieux vaut taper sur l’Etat que sur des gusses qui peuvent non seulement organiser leur insolvabilité mais en plus pourraient vous balancer des peaux de banane en ressortant d’éventuelles vielles affaires.
En matière de droit rien n’est jamais perdu d’avance mais si Greenberg devait gagner cela aurait des répercutions politiques et sociales beaucoup grandes que les sommes d’argent en jeux. Je suis un fervent défenseur de l’état de droit et pourtant je doit reconnaitre que pour la stabilité de la société américain mieux vaut qu’il perde son procès.