mercredi 9 octobre 2013 - par Taverne

Les appartements maudits de Polanski

Plus effrayant que les sorciers de Rosemary's baby, plus terrifiant que les mains qui sortent des murs dans Répulsion, ce cri humain d'une femme hospitalisée après un suicide marque de son empreinte le film "Le Locataire". Ces trois films furent, pour leur auteur, Roman Polanski, l'occasion de relever un défi : celui de faire peur avec des appartements, alors qu'habituellement, on a recours aux maisons sinistres et isolées pour hérisser les poils des spectateurs. Autre défi, dans Le locataire, c'est Polanski lui-même qui joue le rôle principal. Isabelle Adjani venant apporter une petite touche glamour et diluer quelque peu l'effrayant scénario.

Personnellement, si je devais conseiller un film parmi les oeuvres de cette trilogie des appartements maléfiques, c'est Le locataire que je choisirais. C'est un film qui ne fait pas appel au fantastique, contrairement aux deux autres, mais son ancrage profond dans la réalité ne rend que plus marquant le sentiment d'angoisse qui s'en dégage. En particulier, ce cri horrible d'une personne alitée. Nous verrons néanmoins que de nombreux rapprochements peuvent être faits entre ces trois films.

"Le locataire" met en jeu des peurs quotidiennes. Pas de sorcellerie comme dans Rosemarys baby, pas de murs qui se fissurent comme dans Répulsion.

Quel locataire ne s'est jamais soucié de ménager son bailleur ? Qui n'a jamais craint les remarques des voisins après avoir reçu la visite bruyante d'amis ? Qui ne s'est jamais identifié un moment à un suicidé ou n'en a ressenti comme une fascination morbide ? Ce film est plus proche de nos peurs communes, de nos soucis tangibles que les agissements d'une société secrète ou la folie furieuse, thèmes principaux des autres volets de la trilogie. Toutes ces craintes, mais amplifiées, poussées jusqu'à leur paroxysme, peuplent le quotidien de notre personnage : Trelkovsky, un fils d'immigré polonais mal intégré qui va peu à peu perdre la raison.

L'histoire que nous raconte Polanski en l'incarnant lui-même nous montre comment la raison du locataire va vaciller. Cette scène du balcon annonce d'emblée l'ambiance hostile et l'esprit malsain des gens de l'immeuble. La concierge désigne au nouveau venu l'endroit de la chute de la jeune fille. Elle part dans un rire sardonique. Au contraire, on sent l'homme choqué par cet évènement. Il rendra visite à la jeune suicidée sur son lit d'hôpital mais loin de le rassurer, cette rencontre ne fera que l'effrayer davantage. A cause du cri affreux que pousse la moribonde à travers ses bandages. Le thème de la défenestration est commun avec Rosemary's baby.

Voici une autre scène qui explique comment notre personnage sera poussé dans la paranoïa. L'incident peut sembler anecdotique, anodin mais il vient ajouter au climat d'angoisse savamment entretenu. En descendant les poubelles, il laisse choir des détritus dans l'escalier. Anxieux de la réaction de la concierge et des voisins, il descend dans la cour, vide ses poubelles et, sans perdre de temps, remonte l'escalier. Mais, là, surprise : les détritus ont tous disparu. Comme on le voit, c'est peu de chose mais, pour un esprit fragile pré conditionné à imaginer des choses, c'est un élément déclencheur. C'est en additionnant des petits incidents que le scénariste parvient à rendre crédible la montée en puissance du délire de persécution du locataire. Sans grand stratagème. Cela dit, pour être honnête, Polanski apporte tout de même une petite touche de surnaturel pour que la sauce monte complètement. Ce surnaturel survient dans les rêves du protagoniste et aussi dans ses hallucinations telles ces personnes immobiles qu'il voit se tenir debout des heures durant dans les toilettes communes et qui l'observent par la lucarne, juste en face de sa fenêtre.

Sur cette image, le protagoniste prend l'air. Il échappe aux maléfices de son appartement, mais pas pour longtemps. Un incident survient dans le parc et le ramène à ses noires obsessions. En effet, un gamin se met à pleurer en criant qu'il a perdu sa dent. Or, l'homme a fait une découverte très déconcertante dans un mur de son logement : dans un trou, cachée sous une boulette de papier, il a trouvé une dent. Et là, à l'air libre alors qu'il pense pouvoir échapper un instant à son univers clos et à ses tortionnaires, voici qu'un enfant braillard lui démontre que tout l'univers conspire contre lui. L'homme se lève et gifle le gamin en lui lançant "sale petit morveux !" Ce passage ne le rend pas sympathique à nos yeux et rappelle sa lâcheté : assez courageux pour frapper un enfant, pas assez courageux pour affronter ses voisins, sa concierge, son propriétaire...

Le thème de la dent revient encore plus tragiquement quand un soir, chez lui, le personnage trouve dans un tiroir la trousse à maquillage de l'ancienne locataire, et commence à se peindre les ongles. Il se réveille le lendemain matin déguisé en femme, couché sur un coussin tâché de sang. Trelkovsky s'aperçoit alors qu'une dent lui manque, qu'il retrouve dans le trou où il en avait déniché une au début du film, appartenant certainement à Simone Choule.

Le personnage est persuadé qu'on l'a drogué puis violenté dans la nuit, comme aurait été violentée Simone Choule avant lui. En effet, la symbolique du trou dans le mur où il a glissé son doigt évoque la pénétration et l'idée de viol, idée commune avec Rosemary's baby et répulsion (à la toute fin de ce film, la caméra zoome et s'attarde sur la jeune fille représentée sur une photo de famille, avec un regard effrayé de petite fille qui semble désigner son père).

En conclusion, je dirai que le film se lit comme une étude sur le thème de l'identité et de l'affirmation de soi dans le monde moderne. Comment s'affirmer quand on est timide et étranger dans un pays d'adoption peu accueillant ? Comment éviter de se faire bouffer par le collectif ? Le réalisateur appuie sur le côté franchouillard au moyen d'une brochette de seconds rôles et de "tronches" (l'équipe du Splendid (Michel Blanc, Josiane Balasko, Gérard Jugnot) mais aussi Rufus. Bernard Fresson joue le rôle du beauf sans complexe qui pousse sa musique à fond juste pour le plaisir de rembarrer son voisin (Michel Blanc dans le rôle du gringalet qui n'en mène pas large). Pour s'affirmer, faut-il être un rustaud à larges épaules ? Quant à la question de l'identité, elle est soulevée lors des questions posées à Trelkovsky sur ses origines. Elle se fait de plus oppressante quand Trelkovsky, en proie à un délire de persécution, s'imagine qu'on veut lui faire endosser l'identité de la locataire suicidée.

La fin est doublement tragique : l'homme se jette une première fois par la fenêtre. Mais il n'est pas mort, il se relève devant les voisins et remonte l'escalier pour se jeter à nouveau. Cette deuxième fois lui sera fatale. Alors qu'il croit avoir repoussé sa double identité en criant bien haut à la cantonade qu'il n'est pas Simone Choule mais Trelkovsky, on le voit sur le même lit d'hôpital que la jeune fille décédée avec les mêmes bandages et poussant le même cri, enfermé dans le corps de sa voisine...

LIENS  :

Ciné-club de Caen : Le locataire

Ciné-club de Caen : Rosemary's baby

Ciné-club de Caen :Répulsion

 



5 réactions


  • joelim joelim 9 octobre 2013 15:09

    Je pensais que ça allait parler des appartements dans lesquels il amène des gam...


  • L'enfoiré L’enfoiré 9 octobre 2013 17:06

    Salut Paul,


    Sujet très actuel : vivre en société, en communauté et en plus avec des cultures totalement différentes. 
    Probablement imaginé à la suite de la triste fin de son épouse.
    Fascination morbide, en effet, dans ce cas. Le film ne peut évidemment pas faire la part des choses ;
    Moi, qui habite un appartement, je peux dire qu’il faudrait des enregistreurs d’images à plusieurs endroits. Dans les caves, les poubelles, les ascenseurs...
    Cela en ne parlant pas de ce qui arrive par l’extérieur.
    Déterminer ce qui est acceptable de ce qui est iconoclaste.
    Tout un travail de gestion loin d’être facile avec des propriétaires et la ramification des locataires, dont la gestion d’immeubles ne peut tenir compte. 

    Je ne me souviens pas du titre d’un film qui se déroulait à San Francisco avec des locataires qui avaient investi les lieux pour détruire les appartements.
    Un véritable thriller, celui-là. 


    • Taverne Taverne 9 octobre 2013 17:48

      Peu de réalisateurs ont un rapport charnel avec l’appartement. Souvent, l’appartement n’est qu’un décor qui ne joue aucun rôle. Dans la trilogie de Polanski, l’appartement est presque un personnage à lui tout seul.

      La verrière du porche de mon immeuble a été démolie dans les mêmes circonstances que dans le film. J’ai entendu un bruit sourd. J’ai cru à un petit accrochage sur la rue. En regardant par la fenêtre, j’ai vu ce corps écrasé sur le sol. C’était un jeune en plus... Du coup, ce film me parle particulièrement.


  • bakerstreet bakerstreet 10 octobre 2013 09:07

    Il est très difficile de faire un film fantastique en plein air. 

    Un placard à balais est au moins indispensable, de préférence avec des toiles d’areignées. 

    Mais il m’est arrivé pour ma part, pourtant, de passer une nuit dans un camping hanté !
    Chut ! Je ne tiens pas à réveiller les esprits. 
    Ceci dit, d’esprit, beaucoup en ont très peu, même et surtout pour tourner des films fantastiques, pensant trouver dans le genre, ce qui leur manque. 
    Mais Polanski n’appartient en effet pas à ceux là. 
    « le locataire », mais aussi « Rosemary Baby’s reste une petite horreur glaçante !....
    Difficile de ne pas penser à »shinning« de Kubrick aussi, cet hôtel tentaculaire et malfaisant.
    Le motel de »Psychose" d’Hitchcock... 
    Les lieux ont une vie propre, ça, beaucoup de gens qui ont rien qu’une petite sensiblité ont pu le vérifier.
     Il y a une vie tellurique qui agit sur l’inconscent des êtres. 
    Les artistes, qui sont quelque part, tous des sourciers de l’âme se servent de ces choses impalpables. 


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