Les bases neurales de l’art préhistorique
Cet article est une ébauche.JPB
Jean-Paul Baquiast 04/06/2016
Dans son dernier livre « Pourquoi l'art préhistorique ? » le préhistorien renommé et spécialiste de l'art dit des cavernes, Jean Clottes, indique que, au contraire de la plupart de ses confrères, il ne se limitera pas à des descriptions, aussi précises et savantes soient-elles, des manifestations de cet art. Autrement dit, il veut rechercher les causes de telles productions.
La difficulté est immense, si l'on considère que les hominidés et leurs successeurs homo sapiens (qu'il propose de nommer homo spiritualis) ont pendant plus de 50.000 ans laissé sur la plupart des continents où ils vivaient, des formes de plus en plus précises de cet art. Pour Jean Clottes, il ne s'agissait pas d'œuvres répondant à ce que nous appellerons aujourd'hui un souci esthétique, dit aussi de l'art pour l'art.
Il ira aussi plus loin que la plupart des analystes des causes, qui invoquent de vagues motifs magiques ou religieux. S'appuyant sur ce qu'il sait du chamanisme tel qu'il a survécu aujourd'hui dans certaines sociétés traditionnelles, il considère que l'art préhistorique était au service d'un pouvoir sans doute apparu très tôt, celui des chamanes. 1).
Si l'on considère que beaucoup de sociétés animales évoluées suscitent en leur sein des « chefs » à qui elles confient la survie du groupe, l'hypothèse de l'universalité de tels chefs, que l'on nomme chamanes dans le langage actuel, n'a rien d'impossible en ce qui concerne les premières sociétés humaines.
Mais pourquoi les chamanes auraient-ils recours à l'art paléolithique pour jouer leur rôle directeur et assurer leur pouvoir. Chez les éléphants par exemple, l'éléphante expérimentée à qui les groupes peuvent confier leur survie, ne dessine pas semble-t-il d'images pour se faire reconnaître comme chef. Elle se limite à des formes de communications gestuelles ou prélangagières qui étaient sans doute aussi présentes dans les sociétés préhistoriques, faites principalement de « chasseurs-cueilleurs » sans fixation géographique permanente.
Mais les hommes préhistoriques sont allés plus loin. Ils nous ont laissé des représentations de leur monde (notamment des animaux) que nous assimilons à l'expression artistique et qui sont d'ailleurs encore, pour la plupart, identifiables comme telles par nous. S'est-il agi d'universaux, propres à l'homo, non existants chez les animaux, sauf sous forme d'esquisses, qui auraient été liées à d'autres activités créatrices, telles que l'élaboration d'outils ou de langages primitifs ?
Si l'on retient l'hypothèse de Jean Clottes concernant le rôle essentiel des chamanes dans le développement de l'« art pariétal », ce seraient ceux-ci, autrement dit des individus particulièrement doués dans la prise de responsabilités et émergeant spontanément au sein des sociétés de l'époque, qui ont donné à la représentation graphique le rôle sociétal qu'elle a pris ensuite.
Sans doute est-ce le cas. Mais les chamanes, avec leurs facultés pour percevoir et ensuite transmettre des représentations symboliques, ne sont pas sortis de nulle part. Nous pensons qu'il faut chercher les origines de leurs capacités dans les mêmes universaux qui auraient permis aux hominiens, dès le temps des australopithèques, de se séparer évolutivement des autres grands singes.
La question a été souvent posée, concernant notamment l'apparition de l'outil et des langages symboliques. Les paléogénéticiens attribuent généralement cette véritable révolution à une série de mutations génétiques brutales, concernant notamment les aires cérébrales supports de la cognition. Il ne s'agirait donc pas d'une simple évolution culturelle lente dont les causes ne seraient pas aujourd'hui identifiables.
Dans l'hypothèse d'une mutation, peut-être survenue une fois et chez un seul individu, puis transmise par une série de facteurs favorables à ses descendants, il paraît justifié de rapprocher l'apparition des premiers outils qui nous sont parvenus, outils dits de l'âge de pierre, avec les premières capacités à se représenter dans l'imagination créatrice et à reproduire des formes au service d'un projet.
Les grands singes, comme certains autres animaux, identifient des formes pouvant leur servir d'outils, mais ils ne mémorisent apparemment pas ces formes de façon à en rechercher des équivalents dans des matériaux différents et pour des usages différents. A plus forte raison ne se transmettent-ils pas de représentations symboliques de tels outils afin de permettre la transmission sociale de leurs usages.
Apparition des premiers outils chez les australopithèques 3)
Si l'on admet que des australopithèques récents (- 3 millions d'années environ) ont procédé différemment, ce qui a permis une amélioration sociale progressive de leurs outils, on a tout lieu de penser que ce serait la mutation évoquée plus haut qui les aurait rendu capables de le faire. Les préhominiens, hominiens et homo(s) leur ayant succédé ont vu alors les applications sociétales (ou culturelles) de la mutation génétique initiale se multiplier, avec sans doute une complexification accrue des supports neurologiques permettant ces nouvelles capacités. On parlera d'une évolution épigénétique. 2)
Mais comment se représenter les origines du processus ayant permis à des australopithèques, à partir de roches non différenciées dans leur environnement, de choisir celles ayant la possibilité de jouer le rôle d'outil (par exemple celui de percuteur) et le cas échéant d'améliorer les performances de celui-ci en le taillant ?
Il fallait qu'ils disposent dans leur cerveau d'une image quasi graphique du percuteur, afin de la projeter sur les pierres les entourant, et de sélectionner les plus comparables. Cette image n'avait pas été inventée à partir de rien. Elle avait résulté de milliers d'expérimentations par essai et erreur visant à briser des noix, avec choix du percuteur le plus adéquat, et mise en mémoire neuronale de sa forme. La mise en mémoire de formes est courante dans le cerveau des animaux, par exemple celles de prédateurs à éviter. Les primates non hominiens savent faire cela couramment, mais ils semblent incapables de conserver et réutiliser les formes ainsi mémorisées pour par exemple chercher les pierres les plus adéquates à la chasse, et moins encore d'en tailler de nouvelles (artificielles) à partir d'une pierre quelconque. La mise en mémoire n'a pas de caractère proactif, c'est-à-dire qu'elle ne prolonge pas dans l'imagination puis dans l'activité motrice.
Par contre les hominiens se sont montré capables d' « observer » un premier percuteur obtenu par essais et erreurs, de le caractériser mentalement dans le plan et le volume, afin d'en obtenir une représentation en 3 dimensions. Ils projetaient ensuite cette représentation sur de nouvelles pierres afin de sélectionner les pierres les plus proches de la représentation. Ils les transformaient ensuite en s'appuyant sur le modèle mental qu'ils s'en étaient donné et qu'ils cherchaient à reproduire. Le tout initialement de façon sans doute inconsciente, c'est-à-dire ayant émergé spontanément avant d'être plus « officiellement » reconnue.
Pour passer de cette démarche immédiatement utilitaire à une démarche symbolique transmissible et enrichissable, il fallait apprendre à passer de la mémoire individuelle à une mémoire collective. Pour cela, il leur fallait transporter l'image mentale sur un support perceptible collectivement (par exemple une paroi) puis tracer sur cette paroi, avec les marqueurs dont ils pouvaient disposer, les contours de l'image. Très rudimentaire au début, le modèle graphique a été amélioré progressivement, par comparaison permanente avec l'image que l'auteur en avait.
Bien évidemment, la représentation n'a porté que sur des objets ou des situations importantes pour la survie du groupe. Il n'y avait pas semble-t-il d'art pour l'art. Les chefs qui étaient apparus dans les groupes, autrement dit les chamanes, dans l'hypothèse de Jean Clottes, furent sans doute sélectionnés intuitivement par la collectivité comme les plus aptes, dans un premier temps, à créer et utiliser des images de plus en plus proches de la réalité visible. Mais il fallait aussi qu'ils soient capables, dans un second temps, de les transporter dans l'imaginaire des songes et des mythes afin que ces images puissent commander des comportements futurs.
Pour confirmer la présente hypothèse, il serait intéressant de rechercher dans les cerveaux contemporains, par imagerie cérébrale, les bases neurales les plus aptes à produire et utiliser des images pouvant servir de pilote. Ceci chez les adultes mais aussi chez les enfants. Peut-être pourrait-on ensuite mieux comprendre ce qu'auraient été les bases neurales correspondantes dans des cerveaux primitifs et leur évolution épigénétique au cours des nombreux millénaires ayant conduit à la production d'images de plus en plus précises, utilisées en premier par des guides collectifs ou chamanes.
Notes
1) Wikipedia définit le chaman, ou chaman, comme un être humain qui se présente comme l’intermédiaire ou l’être intercesseur entre. l’humanité et les esprits de la nature.... Il est à la fois « sage, thérapeute, conseiller, guérisseur et voyant ». Il « est » l’initié ou le dépositaire de la culture, des croyances, des pratiques du chamanisme, et d’une forme potentielle de « secret culturel ».
2) Certains préhistoriens pensent que ce phénomène ne serait pas apparu chez les australopithèques, mais chez des hominiens plus récents. Ceci n'aurait pas de conséquence sur l'hypothèse présentée ici.
3) Des outils chez les australopithèques
http://www.hominides.com/html/actualites/premiers-outil-australopitheque-3-4-ma-0952.php
Références
* Sur Jean Clottes, voir Wikipedia
https://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Clottes
* Pour en savoir plus sur les hypothèses de Jean Clottes, on peut regarder la vidéo ci-dessous
http://www.hominides.com/html/references/pourquoi-l-art-prehistorique-jean-clottes-0557.phpconf https://www.youtube.com/watch?v=JJH8uYOHyeU
* Voir aussi Extraits du livre
http://www.hominides.com/html/references/pourquoi-l-art-prehistorique-jean-clottes-0557.php
* Sur l'ensemble du sujet, on poura consulter notre essai " Le paradoxe du Sapiens "
Le paradoxe du Sapiens. Etres technologiques et catastrophes annoncées
Par Jean-Paul Baquiast Préface de Jean-Jacques Kupiec
éditeur Jean-Paul Bayol, mars 2010