mardi 17 février 2009 - par
Les chiens renifleurs, armes de prévention massive ?
Les gendarmes font maintenant renifler les cartables des collégiens à leur descente de car scolaire. Cette nouvelle "méthode de prévention" pose question mais pourquoi ne serait-elle pas généralisée ?
Rappels des faits
Selon une dépêche AFP, le jeudi 12 février 2009, un chien renifleur a reniflé les cartables d’une centaine de collégiens d’Arthez-de-Béarn, près d’Orthez (Pyrénées-Atlantiques). Les élèves venaient de descendre du car scolaire lorsqu’ils ont été contrôlés par une équipe de cinq gendarmes aidés d’un maître-chien de la police.
L’opération, menée sur réquisition du procureur de la République était officiellement « une opération de prévention qui a pour but de protéger et prévenir les mineurs sur les dangers de la drogue. »
L’opération, menée sur réquisition du procureur de la République était officiellement « une opération de prévention qui a pour but de protéger et prévenir les mineurs sur les dangers de la drogue. »
Protéger et prévenir les mineurs sur les dangers de la drogue
Ainsi donc, cette opération infructueuse (puisqu’il n’y a eu aucune découverte de drogue) sur la centaine de collégiens descendus du car scolaire avait officiellement pour but de prévenir les enfants des dangers de la drogue.
Je m’interroge sur la réalité de cette prévention. Quel message utile sur les dangers de la drogue a été transmis aux collégiens ?
Celui de craindre les forces de l’ordre, capables de venir avec un chien policier pour vérifier qu’aucune drogue n’est cachée dans les trousses ou les cahiers ?
Celui de craindre les forces de l’ordre, capables de traquer les potentiels porteurs de drogue jusqu’au pied des cars scolaires ?
Quelles informations sur les dangers de la drogue les enfants ont-ils retenues, face au chien et à l’escouade de gendarmes déployés devant eux ?
Qu’était-il prévu en cas de drogue trouvée sur un élève ?
Je m’interroge également sur le comportement des gendarmes au cas où ils trouvaient de la drogue dans le cartable d’un collégien.
Qu’auraient-ils dit à cet instant, devant la centaine d’enfants, les yeux tournés vers leur camarade ?
Auraient-ils passé les menottes ? Auraient-ils fouillé ses vêtements ?
Auraient-ils pris à parti le collégien pour expliquer aux autres ce qu’il advient d’un trafiquant de drogue ? Auraient-ils brandi cette prise comme une victoire contre la mafia ?
Auraient-ils emmené le contrevenant (mineur) au poste, subissant les regards des autres et peut-être l’humiliation ?
Pourquoi des collégiens ?
Je m’interroge sur la motivation du procureur de la République de cibler un car de collégiens pour effectuer une recherche de drogue.
Nous avons l’habitude maintenant, en France, de voir fleurir des contrôles massifs d’alcoolémie pour lutter contre l’ivresse au volant. De manière analogue, les gendarmes se postent à un endroit stratégique pour contrôler tous les conducteurs et ainsi accroître les chances de dénicher des contrevenants.
Cette stratégie est admise par la population car elle est présentée dans le but de soustraire les conducteurs ivres de la circulation routière et de ce fait limiter les risques qu’ils provoquent des accidents.
Si on essaie d’élargir la stratégie anti-conduite en état d’ivresse par contrôles massifs inopinés, il me parait étrange de cibler un car scolaire ! Ne serait-il pas potentiellement plus fructueux de cibler les dealers de drogue de la ville d’Orthez plutôt que les enfants d’Arthez-de-Béarn ?
Pourquoi ne généraliserait-on pas ces méthodes ?
A ceux qui ne voient aucune question à se poser sur la stratégie de prévention qui a été choisie, je leur demanderai ce qu’ils penseraient d’une généralisation de cette méthode de prévention. Imaginons l’arrivée de cinq gendarmes et d’un chien, pour détecter la possession de drogue, d’alcool, d’armes, de fichiers MP3 piratés, de vêtements de contrefaçon ou de médicaments.
Ciblons les possesseurs de vêtements contrefaits à l’entrée des entreprises :
Quelle joie de débusquer un possesseur de chemise Lacoste contrefaite devant la porte de l’entreprise qui l’emploie et de l’exposer à la vue de ses collègues et d’en profiter pour leur expliquer les dangers et les méfaits dévastateurs de la contrefaçon.
Ciblons les possesseurs de musique piratée à l’entrée des collèges :
Quelle surprise de dénicher un jeune qui possède des centaines de MP3 piratés dans son iPod et de lui confisquer devant ses camarades pour leur expliquer à quel point il est dangereux et illégal de se livrer à la contrefaçon de musique.
Ciblons les possesseurs de tabac de contrebande à l’entrée des stades :
Quel bonheur de trouver un footballeur amateur, en possession d’une cartouche de cigarettes de contrebande et de pouvoir le montrer à ses coéquipiers pour expliquer les dangers simultanés du tabac et du trafic illégal.
Ciblons les possesseurs de drogue pendant les départs en vacances :
Le pied de trouver un pétard dans la valise de votre adolescent et de pouvoir vous expliquer, sur le quai de la gare, l’inconscience des parents et les dangers du cannabis, avec plein de passagers, ravis de vous voir dans cette galère, avant de monter dans votre train.
Ciblons les plus gros consommateurs de drogues : les personnes âgées qui avalent les tranquillisants, les anxiolytiques, les antidouleurs comme d’autres avalent des bonbons. Pourquoi ne pas envoyer une escouade et un chien dans chaque maison de retraite afin de débusquer les drogués et les tancer vertement devant leurs congénères. Favoriser la dépendance aux médicaments et creuser le trou de la sécu, c’est mal.
Présentée de cette façon, cette méthode qui est nommée « prévention » et qui ne cible que le dernier maillon de la chaîne ne ressemble-t-elle pas plutôt à de la « répression » ?
Objectif, efficacité et impact de l’opération ?
L’opération menée à Arthez-de-Béarn pose beaucoup de questions. Son objectif réel était-il vraiment la protection et la prévention des mineurs ? Ne serait-elle pas une tentative de distiller la crainte des autorités par une mise en scène impressionnante ?
L’inefficacité de l’opération a-t-elle été volontaire ou pas ? Je penche pour la volonté de ne pas trouver de drogue car dans ce cas il aurait été très délicat de gérer la saisie devant une centaine d’enfants. Ou alors, cela aurait été irresponsable.
Quel a été le véritable impact de cette opération ? Les collégiens ont eu la preuve que les gendarmes pouvaient déployer beaucoup de moyens pour chercher de la drogue mais ils ont eu aussi la preuve que ces moyens ont fait chou blanc ! Si jamais un des collégiens était en possession de drogue, les gendarmes se sont ridiculisés devant eux en ne la trouvant pas !
Pour les parents, on peut trouver deux positions : l’approbation de la méthode car une démonstration de force, même inutile, peut sembler une bonne chose, ou la désapprobation justement par la disproportion des forces déployées face à des enfants.
Pour l’opinion publique, l’impact recherché est peut-être d’apporter une preuve de l’activité des forces de l’ordre face à la drogue. Peu importe le résultat, le but est peut-être que le public retienne l’image de cinq gendarmes et d’un chien au pied d’un car scolaire.
Je n’ose imaginer que chaque procureur de la République mandate cinq gendarmes et un chien renifleur pour visiter tous les collèges et lycées de France ! Que d’énergie et de moyens dépensés pour un impact des plus douteux…
Avec cette opération ciblée, la France entière sait que les collégiens d’Arthez-de-Béarn ont été dans le collimateur des gendarmes… Les habitants sont sûrement très heureux de cette publicité non désirée pour leur commune. C’est beau la communication événementielle.
Pendant ce temps, les dealers de Pyrénées Atlantique n’ont pas été inquiétés par cette opération, et les collégiens de Arthez-de-Béarn n’en savent probablement pas plus sur les méfaits physiques, psychiques et sociaux de la drogue.