mardi 31 mars 2020 - par Vladimir Kostov

Les contradictions du pacte de Marrakech

Le pacte de Marrakech adopté en décembre 2018 par l’Assemblée générale des Nations unies a suscité des réactions différentes de la part des pays européens. La Pologne, la République Tchèque et la Hongrie n'ont finalement pas ratifié ce pacte. Parmi les pays réticents à Marrakech (qui n’étaient pas seulement des pays européens) on comptait aussi la Slovaquie, l'Autriche, l'Italie, la Lettonie, l'Estonie et la Bulgarie. Certains journalistes n'ont pas manqué de qualifier cette attitude de "populiste", expression également employée par le Président Macron.

Quoi de plus simple que de coller une étiquette, n'est-ce pas ? On peut même aller plus loin et dire que "les peuples peuvent se tromper". Et puisqu'il s'agit de plusieurs peuples et pays qui "se trompent" en même temps (allant de la botte italienne à la mer Baltique en passant par la mer Noire) essayons alors de comprendre pourquoi. 

Commençons par remarquer qu'on parle de populisme chaque fois qu’un homme politique s'adresse aux électeurs pour les convaincre que le peuple n’est pas écouté par la classe dirigeante. Cet homme politique se proposant comme alternative à cette classe, il y a le risque que cela puisse par la suite amener à la prise de décisions politiques et économiques qui plairont au peuple mais qui, à long terme, s'avèreront néfastes pour le pays. Or dans la situation actuelle, les dirigeants des pays européens qui ne sont pas favorables au pacte de Marrakech sont en phase avec leurs peuples. Et c’est bien ce qui mécontente certains dirigeants d'autres pays de l'Union Européenne. Essayons de comprendre en quoi les logiques des uns et des autres divergent. 

On peut remarquer que le pacte de Marrakech a été signé dans le contexte de la grande vague migratoire vers l’Europe depuis 2015. Or les pays de l’Europe centrale et orientale ont adhéré à l’UE avant 2015. Quand ils ont signé leurs obligations vis-à-vis de l’union en termes de politique migratoire, ils se sont basés sur le nombre de migrants d’avant 2015 qui était bien inférieur à celui qu’on connaît depuis. Ces pays n’ont pas accepté l’arrivée massive de migrants en provenance de pays musulmans dont une grande partie a montré leur réticence à s’intégrer au mode de vie et au système de valeurs de la société laïque occidentale. Avant 2015, une telle arrivée n’était pas imaginable. On peut comparer cette situation à la crise sanitaire d’aujourd’hui qui nous fait renoncer à la contrainte d’avoir un déficit budgétaire inférieur à 3% du PIB. En effet, l’obligation pour la France de maintenir son déficit dans la limite de 3% a été assumée en dehors du contexte de la pandémie de COVID-19 et du besoin de dépenser des milliards d’euros pour maintenir les entreprises qui sont à l’arrêt. Dans chacun des deux cas, celui de la crise migratoire de 2015 comme celui de la crise sanitaire d’aujourd’hui, il s’agit d’une situation de force majeure.

Observons aussi que le pacte de Marrakech vise surtout à défendre les intérêts des migrants et pas ceux des pays d'accueil. Les pays d'Europe centrale et orientale qui sont issus de l'ex-système communiste ont un niveau économique (et donc des salaires) plus bas que ceux des pays d'Europe occidentale. La Slovaquie, par exemple, a été considérée comme le bon élève de l'UE car, au prix d'une discipline budgétaire rigoureuse, les Slovaques ont atteint les critères d'adhésion fixés par l'Union. Mais ils ont dû consentir à beaucoup de sacrifices pour parvenir à ce résultat. Et maintenant qu’ils peuvent enfin commencer à profiter des fruits de leur travail, l’UE essaie de les convaincre que c’est pour leur bien qu’ils doivent accueillir des migrants clandestins.

Mais les Slovaques ne sont pas seuls dans ce cas. Sur le banc des accusés, il y a aussi les trois autres pays du groupe de Višegrad – la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie. Ce qui les réunit est non seulement leur attitude vis-à-vis de l’immigration clandestine mais aussi un passé historique proche où ils ont montré, par leur opposition au système communiste, qu’ils ne se laissaient pas faire. Il suffit de se rappeler la révolution hongroise de 1956, le printemps de Prague de 1968, les protestations et grèves polonaises de 1956, 1970, 1971, 1976, 1980, 1981 et 1988 (avec le mouvement syndical Solidarność). À cette époque-là, le monde occidental comprenait et soutenait leur aspiration à ne plus vouloir vivre sous une dictature. Mais aujourd’hui, il ne veut pas leur accorder le droit de décider souverainement quels migrants ils veulent bien accepter sur leur territoire.

S’agissant de la résistance contre le système communiste, il ne faut pas oublier les groupes armés qui étaient actifs jusqu’aux années 1950 dans les parties boisées des pays baltes, de l’Ukraine occidentale, de la Roumanie et de la Bulgarie. Et aussi la rébellion des Est-Allemands de 1953. Or la contestation de la politique d’ouverture migratoire d’Angela Merkel a été particulièrement vive dans l’est de l’Allemagne, surtout en août 2018 à Chemnitz, après le meurtre d’un homme par des immigrés d’origine kurde.

Puisqu’on a mentionné la Chancelière allemande, on ne peut s’empêcher de souligner que son pays a ratifié le pacte de Marrakech dans le contexte où l’impopularité de sa politique d’immigration a trouvé une expression dans le mauvais score de son parti politique lors des dernières élections régionales de 2018. Annegret Kramp-Karrenbauer qui lui a succédé à la tête de l’Union chrétienne-démocrate (CDU) a déclaré que la politique migratoire allemande devait changer et on parle déjà en Allemagne de la nécessité d’être plus sélectif dans le choix des migrants que le pays devrait accepter. Et qu’on acceptera de façon définitive seulement ceux qui sont qualifiés et qui trouveront un travail.

Dans ce contexte, la position du Président français n’est pas très enviable. La vague de protestations des Gilets jaunes l’a obligé à promettre de prendre des mesures sociales qui demandent beaucoup de financement (chiffré au-dessus de dix milliards d’euros). Les discussions et opinions qu’on a entendues ont mis en évidence que ces mesures vont entraîner une augmentation du déficit de l’Etat (ces débats avaient eu lieu avant la crise pandémique d’aujourd’hui qui nous permettent de nous affranchir du plafond des 3% de déficit.) L’accueil massif de migrants clandestins demanderait des dépenses supplémentaires (deux milliards d’euros de plus ont été budgétés pour l’année 2019). Si on n’est pas sélectif envers eux, on sera obligé de leur assurer (en dehors de devoir les nourrir) l’apprentissage de la langue, le logement et les soins pour la santé avant qu’ils ne commencent, par leur travail, de s’avérer utiles pour le pays. Il ne faudra donc pas s’étonner si dans un avenir proche la rubrique ”crédit d’impôt” de vos déclarations vous offrira la possibilité de payer moins d’impôt si vous participez à l’accueil de migrants. Ceux qui ne le feront pas devront payer plus d’impôts. Et donc leur pouvoir d’achat diminuera. C’est de cette façon que le pays pourrait se diriger vers une nouvelle crise sociale.

Quand on parle des immigrés, il ne faut pas oublier que parmi eux il y a non seulement ceux qui veulent réussir par leur travail mais aussi de futurs délinquants et donc une charge supplémentaire pour la police. Il y a aussi ceux qui comptent profiter d’un système social qui leur permet de toucher des aides sans travailler. Dans ce sens, on peut rappeler l’affaire Leonarda Dibrani de 2013. Il s’agissait d’une famille de Roms dont le père est originaire du Kosovo mais dont la plupart des enfants sont nés en Italie. L’expulsion de leur fille Leonarda vers le Kosovo alors qu'elle participait à une sortie scolaire et se rendait en autocar à Sochaux a fait beaucoup de bruit dans les médias. Peu après, on a appris que le père avait brûlé ses papiers qui montraient que la famille venait d’Italie où sont nés la mère et cinq des six enfants (dont Leonarda ; la dernière fille de la famille étant née en France). Il les avait brûlés pour persuader les autorités françaises que la famille venait du Kosovo ce qui lui aurait permis d’obtenir le droit d’asile.

Mais revenons aux pays de l’UE qui ne veulent pas ratifier le pacte de Marrakech. On leur demande d’accepter massivement des migrants dans le contexte où bon nombre de leurs ressortissants ont cherché du travail en dehors de leur pays. Une des raisons est que la restructuration de l’économie de ces pays après la chute des régimes communistes en 1989 a rendu certains diplômes sans valeur réelle. Il est évident que, contrairement à l’Allemagne, ces pays ne cherchent pas désespérément à attirer de la main-d'œuvre étrangère. Pour la Bulgarie, la Hongrie et l’Italie, leur désaccord avec l’UE autour du pacte survient après que cette dernière les a empêchés de conclure un accord avec la Russie pour la construction d’un gazoduc (nommé « South Stream », c’est-à-dire « Courant Sud ») qui devait résoudre une partie de leurs problèmes énergétiques. L’UE avait mis en avant des raisons écologiques pour motiver son opposition à ce projet mais les vraies raisons étaient géopolitiques. Il s’agissait d’empêcher la Russie d’élargir ses exportations de gaz et de l’empêcher de contourner l’Ukraine en tant que pays de transit. Le projet devait finalement être abandonné en faveur de « Turkish Stream » auquel s’ajoutait « Tesla Pipeline ». C’est un exemple où l’UE a agi au détriment des intérêts de certains de ses membres mais en faveur des États-Unis et de leur exportation de gaz de schiste (qui, contrairement au gaz russe, paraît bourré de valeurs démocratiques). D’ailleurs, la menace des sanctions américaines a obligé la compagnie suisse Allseas qui construisait le gazoduc russe « Nord Stream 2 » à se retirer du projet peu avant qu’il ne soit achevé, le 21 décembre 2019. Le gazoduc devrait fournir du gaz à l’Allemagne.

Le pacte de Marrakech est devenu alors un événement autour duquel certaines contradictions de la politique intérieure et extérieure de l’UE sont devenues évidentes. Ces contradictions ne peuvent pas être dissimulées derrière l’étiquette ”populisme” aussi grande qu’elle soit.



3 réactions


  • Jonas Jonas 31 mars 2020 20:18

    Le Pacte de Marrakech fait partie du programme politique du Grand Remplacement élaboré par l’Organisation des Nations Unies (ONU) et l’Union Européenne (UE).
    Un rapport publié sur le site de l’ONU en mars 2000, décrit clairement que les instances européennes doivent faciliter l’arrivée d’une immigration massive en Europe, qualifiée officiellement de « migration de remplacement », pour faire face au déclin démographique de la population blanche et maintenir ainsi un nombre de travailleurs à un taux acceptable.
    L’ONU travaille également en étroite collaboration avec l’UE pour mener à bien sur une très grande échelle, le remplacement de la population européenne de souche.
    Pour les dirigeants de l’UE, il est en effet nécessaire de fonder "une nouvelle politique pour la migration légale : l’objectif principal est de faire en sorte qu’une Europe en déclin démographique demeure une destination attrayante pour les migrants, notamment en modernisant et en révisant le régime de la carte bleue, en fixant de nouvelles priorités pour nos politiques d’intégration, et en optimisant les avantages de la politique migratoire pour les personnes et les pays d’origine, par exemple en rendant les envois de fonds moins coûteux, plus rapides et plus sûrs.« 

     »Organiser l’immigration légale est dans l’intérêt de l’Europe sur le long terme ; les projections démographiques montrent que vers les années 2060, la population active européenne aura décru de 10%, soit environ 50 millions de personnes, pendant que le nombre de retraités passera de 17,5% à 30%, soit de 84,6 millions à 151,5 millions de personnes. Cette tendance pose un réel danger pour la productivité économique européenne, en particulier parce que très bientôt il y aura deux actifs pour une personne de plus de 65 ans, contre quatre actuellement."
    Jean-Claude Juncker, président de la commission européenne (2014-2019) - 23 avril 2014


  • troletbuse troletbuse 1er avril 2020 11:53

    Le pacte de Marrakech n’est pas contradictoire. Tout est prévu d’avance. Il fallait ramener les futurs esclaves qui travailleront en Europe pour des prunes. Une excellente nouvelle pour le patronat qui verront la masse salariale baisser, mais un peu moins bonne nouvelle pour l’appauvrissement des autochtones par le chômage.


    • Luc-Laurent Salvador Luc-Laurent Salvador 1er avril 2020 13:17

      @troletbuse

      Ce n’est pas qu’une question économique ou financière. C’est une question d’identité nationale, partant d’unité et, donc, de solidarité face aux épreuves qui nous attendent.
      Tout semble fait pour mener à la division, donc à la confrontation...


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