Les difficultés de recrutement des enseignants s’aggravent encore en 2021
Les premiers résultats du CAPES externe (concours de recutement d'enseignants du second degré) sont publiés. Ils montrent un déficit d'enseignants déjà certain dans plusieurs disciplines et probables dans d'autres, ce qui n'est pas une nouveauté et correspond à une tendance lourde depuis au moins trente ans.
Ainsi en lettres classiques seulement 84 candidats sont admissibles pour 134 postes offerts. A coup sur il y aura encore cette année des postes vacants, un comble alors que le taux de chômage des jeunes diplômés demeure à un niveau élevé. Le nombre d'inscrits aux différents concours est stable par rapport à 2020. En lettres modernes on compte 1293 admissibles pour 810 postes et la situation est meilleure. En allemand on n'a que 177 admissibles pour 222 postes proposés. Là-aussi le nombre d'inscrits est resté stable par rapport à 2020 et la moitié des postes ne devraient pas être pourvus cette année encore. L'explication la plus plausible est le choix pour les diplômés germanophones d'aller exercer au pays de Goethe, tant pour les salaires que pour les conditions de vie plus attirantes que celles du Niqueland ; pardon je voulais dire celles de l'hexagone.
En maths 1705 admissibles sont proposés pour 1167 postes offerts. Il y a eu dans cette discipline une légère hausse des inscrits : 3901 en 2021 contre 3652 en 2020. Cela suffira t-il à remplir les postes ? Ce n'est pas certain dans une discipline où la moitié des candidats présents sont éliminés. L'année dernière seulement 972 candidats ont été reçus pour 1200 postes offerts. Difficile d'attirer des matheux dans l'enseignement, là-encore rien de nouveau...
Au capes numérique, grande innovation du ministère de l'éducation nationale, c'est la dégringolade chez les candidats. 1118 inscrits en 2020 pour seulement 655 en 2021. On compte 145 admissibles pour 60 postes dans une discipline où seulement 10% des présents ont été retenus en 2020.
Cette situation résulte d'une chute de l'attractivité des concours. En 2021 le capes externe ne compte que 30494 candidats inscrits contre 30 797 en 2020 et 33 490 en 2019. La désaffection pour les métiers de l'enseignement perdure en 2021.
Comment expliquer cette situation ? Le ministre a beaucoup communiqué sur la revalorisation des enseignants. Du coup les candidats savent encore mieux qu'avant à quoi s'attendre. La modeste revalorisation en tout début de carrière ne cache plus l'écart de rémunération avec les carrières de la fonction publique ou du privé. Elle n'occulte pas l'absence de revalorisation pour les deux tiers des enseignants pour qui l'effort ministériel se résume à 150€ par an. Avec l'âge de la retraite repoussé au-delà de 62 ans et un système de mutation de plus en plus rigide, difficile d'attirer des vocations. On ajoutera qu'un poste d'enseignant sur quatre est situé en région parisienne, où il est impossible de se loger convenablement à moins de gagner trois fois le SMIC.
Les étudiants sont aussi sensibles à l'inversion de tendance qui a lieu depuis l'alternance de 2017 en ce qui concerne le nombre des postes proposés. Après des années où l'Education nationale a cherché à recruter un nombre important d'enseignants et créé 60 000 postes, on est passé à une chute brutale des postes proposés dans le second degré. L'Education nationale proposait 7315 postes au capes externe 2017, 7200 en 2015. Elle n'en propose plus que 5490 en 2020 et 5441 en 2021. Pour que les étudiants s'orientent vers les masters enseignement et se présentent aux concours il faut leur garantir des débouchés. Sans cela il est difficile de les faire entrer dans un tunnel de formation de 2 années.
La réforme de la formation des enseignants devrait dégrader davantage encore la situation. Les étudiants en master meef peuvent encore en 2021 devenir fonctionnaire stagiaire pour leur seconde année de formation et être rémunérés. Cette possibilité va disparaitre. Les futurs professeurs seront des étudiants ordinaires durant les deux années de master avec la possibilité d'avoir des stages rémunérés. Leur situation matérielle va encore se dégrader. L'écart entre le niveau exigé (master + concours plus sélectif) et la rémunération offerte ne peut qu'éloigner du métier davantage de candidats. La disparition du statut de fonctionnaire stagiaire va jouer particulièrement contre les candidats venus de milieu populaire. L'enseignement deviendra-t-il un passe-temps pour les diplômés des milieux aisés amateurs de sensations fortes ?
Tout cela n'arrive pas par hasard et entre dans une logique programmée, celle de la contractualisation des professeurs. La loi de transformation de la fonction publique renforce l'appel aux contrats précaires de quelques années. Leur part dans l'éducation nationale ne cesse d'augmenter. Ils sont passés de 8% à 14% des professeurs du 2d degré en 10 ans. C'est une révolution par étapes qui est en train de se faire, afin de permettre une limitation de la masse salariale et une gestion sans contraintes des affectations.
Un recrutement par à coups, en fonction de besoins ponctuels, pour occuper le terrain scolaire à moindre frais. Aucune vision d'avenir, aucun soucis de pédagogie et de suivis des élèves, uniquement une logique financière de bas étage pour encadrer au lieu d'instruire. Dire que des tartuffes oseront encore se plaindre du manque de formation des jeunes français...
Pourtant recruter des profs et équiper des collèges ne coûte pas plus cher que les interventions militaires en Afrique comme ailleurs afin d'amuser la galerie et de promouvoir notre industrie d'armement. Le Mali compte en ce moment plus de médecins français en intervention que toute la région Centre Val-de-loire réunie. Le matériel et les munitions utilisés coûtent davantage que des tablettes numériques et des livres scolaires ; cherchez l'erreur.
Tout est question de volonté politique. Soit la politique a pour vocation de s'occuper des citoyens, soit il n'y a plus d'état. Une chose est certaine, l'état de l'école ne s'améliorera pas avec un recrutement d'enseignants à l'économie et un système qui favorise la fuite vers l'école privée pour les plus aisés. Logique libérale plus pédagogisme démagogique pour décorer, cela donne la situation actuelle, et renforce communautarismes et séparatismes. Quand il est plus avantageux d'être militaire en Afrique qu'enseignant en France (et pas plus dangereux finalement), c'est qu'il y a effectivement un problème à résoudre...