jeudi 7 juillet 2011 - par
Les DSK s’escrimant à ouvrir leur porte close : un clip publicitaire ?
Le vent tourne et la girouette avec lui. Est-ce ainsi qu’il faut interpréter cette scène hallucinante diffusée par les chaînes de télévision BFM-TV, TF1, France 2, i Télé, etc. ? Une meute de cameramen a accompagné, mardi soir 5 juillet 2011, les Strauss-Kahn jusqu’à la porte de leur domicile et a filmé les trois minutes qu’ils ont mis à ouvrir leur porte. Un problème de clé, semble-t-il. Un jeune noir à casquette, visière sur la nuque, est venu à leur secours et a fini par faire jouer la serrure rebelle et ouvrir la porte.
Un des journalistes a alors tenté de poser une question à l’ancien directeur du FMI, prévenu dans une affaire de mœurs : « Dans quel état d'esprit êtes-vous ? » lui a-t-il lancé. Et l’ on a été tout surpris sans doute d’entendre sa réponse avant qu’il refermât la porte sur la meute :« Comme celui qui n'arrive pas à enlever sa clé ! ... Et bonne nuit ! ».
L’information indifférente : réflexe de voyeurisme et censure discrète
Cette scène illustre on ne peut mieux la conception de l’information que se font nombre de médias.
1- La stimulation du réflexe de voyeurisme
Le réflexe de voyeurisme est le ressort principal dont ils attendent une captation d’audience. DSK et son épouse forment un couple qui vit une tragédie : des escouades de journalistes sont donc envoyées à leur trousses pour traquer leurs moindres faits et gestes et scruter leur malheur au plus près de leur visage. On ne peut rien trouver de plus insignifiant que cette ouverture de porte difficile. Mais qu’importe ! Ce qui compte, c’est de livrer des plans aussi rapprochés que possible des visages du couple tragique dans sa vie quotidienne : ils suffisent à stimuler la sidération du voyeurisme qui dopera l’audience.
La question hasardée par un des journalistes sur l’état d’esprit de DSK vise sans doute à compléter le tableau, en joignant au geste la parole. Ce qui frappe toutefois, c’est son ingénuité, voire son insondable bêtise. Son auteur croit-il vraiment que DSK va y répondre, lui dont on n’ a pas entendu la voix depuis son arrestation par la police, le 14 mai dernier. Peut-on imaginer qu’il va tenir une conférence de presse sur le palier et révéler ce qu’une défense intelligente et efficace lui commande de dissimuler depuis de début ?
Du coup, on a presque pitié pour ce journaliste quand DSK avec humour noir lui répond en s’enfermant dans le contexte présent de sa clé rebelle coincée dans la serrure. Quel triste métier que ce journalisme-là !
2- L’information indiférente, instrument d’une censure discrète
Est-ce bien là le travail d’un journaliste que de harceler un prévenu avec la certitude de ne recueillir qu’une information indifférente ? Hélas, c’est une conception de l’information partagée par nombre de médias pour deux raisons : 1- elle capte, on le voit, l’attention d’un public de voyeurs ; et 2- elle joue un rôle de censure discrète en accaparant une place indue dans l’espace et le temps exigüs réservés à la diffusion de l’information. Toute information élue suppose une information exclue : le flux quotidien d’informations est si considérable, qu’un choix draconien entre elles doit être opéré. On ne transvase pas le contenu d’un tonneau dans une bouteille. L’information sur les difficultés d'ouverture de leur porte par les Strauss-Kahn a donc été jugée plus importante que bien d’autres par les chaînes de télévision !
Une promotion savamment étudiée du couple Strauss-Kahn ?
On est tenté, alors, à ce degré d'insignifiance, de s’interroger sur la complaisance des DSK a ainsi s’exhiber devant la meute journalistique. On objectera qu’ils sont bien obligés de la supporter puisqu’elle les poursuit jusqu’à la porte de leur domicile. On en doute. Mais si c’est le cas et qu’ils n’ont aucun moyen de la tenir à distance, alors ils savent s’en servir à leur avantage pour offrir d’eux l’information donnée la plus favorable.
1- Une reconstruction de l’image du couple
Qu’apprend-on d’une scène aussi tristement banale ? Ce qu’on ne s’attend pas forcément à apprendre de ce couple qui lui ne l’est pas du tout. 1- D’abord, on découvre que ces milliardaires rencontrent les problèmes des gens ordinaires : les serrures et les clés leur résistent à eux aussi. 2- Ensuite, on surprend DSK et sa femme, vivant ensemble normalement comme si rien ne s’était passé : l’harmonie du couple n’a donc pas souffert de la tornade qui s’est abattue sur lui après cette accusation de tentative de viol d’une femme de chambre. 3- Plus généralement enfin, l’image d’un DSK cloué au pilori depuis sa sortie du commissariat ignominieusement organisée et son entrée au palais de justice sous les huées honteuses d’un syndicat de femmes de chambre, est ici oblitérée par la scène la plus modeste qui soit d’un époux et d’une épouse aux prises avec les menus tracas de la vie quotidienne.
2- Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée
Cette information donnée qui n’est pas fiable en elle-même car filtrée par leur autocensure, est déguisée en information extorquée qui, elle, est beaucoup plus fiable puisqu’elle lui échappe. Les DSK sont apparemment surpris dans une scène triviale de vie quotidienne. Ils ignorent la caméra, absorbés qu’ils sont tout entiers dans leurs efforts. Sous couvert d’une information extorquée par les journalistes à leur insu et contre leur gré, ils livrent, en fait, l’information donnée qu’ils souhaitent, de leur entente sans nuage. C’est toute l’efficacité du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée que de rendre une information donnée fiable alors qu’elle ne l’est pas.
3- La porte fermée, symbole de la tragédie vécue par DSK
On en viendrait même à se demander si cette scène n’a pas été programmée par les DSK pour retourner à leur avantage ce siège médiatique en faisant des journalistes présents leurs propres publicitaires à leur insu, tant elle paraît travaillée. Il est facile de feindre d’avoir des difficultés avec une porte qui ne s’ouvre pas. Mais, dans le contexte de la tragédie vécue par le couple, cette scène prend valeur de symbole.
- On laissera de côté la signification freudienne un peu vulgaire de la clé et de la serrure comme métaphore de la relation incriminée entre DSK et la femme de chambre.
- Cette porte fermée ne représente-t-elle pas surtout celle devant laquelle DSK se retrouve depuis le 14 mai, et son ouverture finale à force de persévérance et de patience, jusques et y compris cette difficulté à retirer la clé de la serrure, n'est-elle pas l’annonce de la fin prochaine de la procédure judiciaire ? L’aide décisive d’un jeune homme noir qui passe opportunément par là, est un autre symbole d’anti-ethnisme qui ne manque pas de sel non plus dans ce contexte où la jeune femme qui a accusé DSK de viol, est noire elle aussi.
Cette affaire de serrure et de clé rebelles n’est qu’une information indifférente qui ne méritait en principe nulle attention. Si elle a été pourtant retenue par des médias c’est qu’elle permet de capter l’attention d’une audience dont elle stimule le réflexe de voyeurisme tout en étant l’instrument d’une censure discrète par élimination des autres informations faute de place. Mais il semble qu’à leur tour, les DSK en aient profité pour faire tourner à ces journalistes aussi importuns que stupides un clip publicitaire à leur insu en vue de la reconstruction de leur image : eux les milliardaires, montrent-ils, rencontrent les problèmes de tout le monde et surtout l’époux et l’épouse exhibent leur harmonie sans avoir à parader comme ils l’ont fait dans le passé en couverture d’un magazine (1), attachés tous deux à résoudre ce petit problème de vie quotidienne dans un beau symbole de la tragédie qu’il vivent. Paul Villach
(1)Paul Villach, « Une couverture digne de VSD : le fou rire indigne des époux Strauss-Kahn-Sinclair », Agoravox, 27 octobre 2008.