lundi 9 septembre 2019 - par Roland Gérard

Les écoles de la Transition

 

« Bon, j’imagine que tu ne vas pas être d’accord avec moi, mais je voudrais quand même te dire… » C’est par cette phrase maintenant que j’aborde, avec mes proches, la question de ces nouvelles écoles qui se créent au rythme d’une centaine par an en France depuis pas mal de temps. Et effectivement la conversation n’est jamais facile… je peux même dire que, pratiquement à chaque fois, ça bloque ! Pourtant quelle richesse il y a là.

Un enfant libre penseur

J’ai visité ce mois de juin, L’Ecole Créative dans les Hautes Pyrénées. Aux alentours c’est la forêt, les prés, le calme, la vue sur le Pic du midi… une vingtaine d’enfants vivent là entre le dedans et le dehors et on y est bien. Elle est née cette école de la volonté de plusieurs personnes dont Christelle Fernandez infirmière puéricultrice de formation actuellement directrice. Elle a vite trouvé sur son chemin, Camille Rodriguez, éducatrice spécialisée et Charlène Froment professeure des écoles. A trois elles forment ce qu’il convient d’appeler une équipe et ça fonctionne. Elles s’inspirent de différentes pédagogies actives et font leur propre « sauce  » comme aime souvent à le dire Isabelle Peloux. Dans la conversation elles citeront : A.S. Neill, Krishnamurti, Rudolph Steiner, Célestin Freinet, Maria Montessori, Alice Miller, Arnaud Stern et André, Céline Alvarez, Karine Mazevet, Sophie Rabhi, Marie-Françoise Neveu, la CNV, l’éducation à la paix… Pour elles si on s’enferme dans une pédagogie trop puriste en suivant à la lettre les grands précurseurs, on risque de rester dans l’idée qu’il faut amener l’enfant dans un endroit précis. C’est encore l’adulte qui pense. Elles disent : « Le but c’est que l’enfant soit libre penseur, qu’il sache faire ses recherches, s’informer, réfléchir, faire des choix en fonction de ce qui l’anime. »

Une école pour les riches ?

Beaucoup de personnes dans notre pays, ayant pourtant un sens critique développé, regardent avec scepticisme et même parfois avec une franche hostilité ces initiatives de création d’école. Tout de suite ce qui est mis en avant c’est que celles ou ceux qui font ça créent en fait des écoles pour les riches et s’assoient sur le principe d’égalité. Or quand on creuse on s’aperçoit que, pour un grand nombre d’entre elles, ce n’est pas vrai du tout et qu’on a là des ami(e)s, des proches qui comme nous dans une démarche citoyenne, cherchent une autre façon d’habiter la Terre. Quand un peu provocateur je demande : « Est-ce que c’est une école de riche ? » la réponse ne tarde pas : « oui pour 1% des élèves », « Je suis largement en dessous du seuil de pauvreté et ma fille est scolarisée ici » dit une maman présente au moment de l’entretien. Elle ajoute qu’elle « mange à 95% bio ». Ce n’est donc pas pour elle, une question de revenu, c’est une question de choix. A l’Ecole Créative les frais de scolarité sont fonction du quotient familial. « 80% des familles sont dans la tranche la plus basse. L’école se base sur les attestations de la CAF. Les frais de scolarité vont de 197 € par mois à 500 € pour une famille. Dix huit familles sur vingt deux sont à la première tranche, ce qui correspond à des ressources de 1500 € par foyer » dit Christelle. Quant aux trois enseignantes, elles ont en gros leurs revenus qui ont baissé de 800 € par mois. Si en plus on pense a tout le bénévolat donné à la cause des enfants depuis le début de l’aventure, Il y a là c’est clair un certain sens de l’engagement ! 

Le projet pédagogique, la co-éducation

S’il y a quelque chose au centre de l’Ecole Créative c’est bien son projet pédagogique, on saisi que chez ces jeunes femmes dévouées à la cause éducative, la confiance en l’enfant est totale : « respecter l’enfant dans sa nature véritable… Par son observation fine et une écoute active, l’adulte se positionne en tant qu’accompagnateur et facilitateur d’apprentissage face à l’enfant… celui-ci n’est pas considéré comme inférieur à l’adulte car la relation est horizontale… L’enfant dès ses premiers instants de vie est doté d’une capacité extraordinaire à apprendre.  »

Des mots nouveaux, pour de nouvelles attitudes

« Accompagner l’enfant dans ses désirs d’apprentissage avec bienveillance, là est tout le rôle de l’enseignant ou du facilitateur d’apprentissage. » C’est vrai que le praticien des pédagogies nouvelles se sent plus «  facilitateur d’apprentissage » qu’enseignant ou éducateur. Sans doute que nous sommes plus aussi dans une «  transmission » que dans une « éducation ». Un critère essentiel pour qu’un enfant soit accueilli dans cette école c’est la cohérence entre les valeurs éducative de la famille et celle de l’école. Les parents jouent un rôle clé et ne sont pas tenus à l’écart comme on le voit très fréquemment dans le système éducatif traditionnel, au contraire ils participent à la vie de l’école.

Une école dans son territoire

En trois ans l’Ecole Créative est devenue un élément de la richesse de ce territoire du piémont pyrénéen, des parents font la route depuis Tarbes ou Saint Bertrand de Cominge matin et soir. La motivation des familles est souvent très grande, certaines déménagent pour que leur enfant puisse vivre ses premiers pas d’élève dans cette école. Pour faire avancer cette idée que nous pouvons mettre en œuvre cette nouvelle éducation qui fait plus confiance aux enfants, les responsables de l’école parents et enseignantes, ont créé le festival « Créavenir » pour l’éducation et l’enfance. Christelle en parle, ainsi que de l’école dans une interview qu’elle a donnée sur Fréquence Luz  au printemps 19.

7 critères toujours présents

On ne les reconnait pas à leurs statuts. Elles peuvent être publiques, privées confessionnelles ou associatives. On les reconnait à plusieurs critères ces écoles nouvelles qui se créent en France. Il y a toujours la bienveillance qui est évoquée quand on parle de ces écoles qui savent en général poser un cadre très clair pour les enfants, on ne veut plus de la contrainte de principe imposée à l’enfant, si répandue dans les systèmes éducatifs traditionels. Par définition l’école ne peut pas être coercitive. Il y a le mouvement, parce que l’enfant a un besoin vital de bouger, les humains ne sont pas faits pour rester assis sur une chaise des heures durant et encore moins les enfants. Il y a la coopération, parce qu’elle est naturelle, nous sommes des êtres doués pour l’échange. Le travail personnel pourrait bien être l’exception plus que la règle dans l’école de demain. S’entraider ce n’est pas tricher c’est vivre. Il y a la nature et même de plus en plus de nature. Les enseignantes savent de façon intuitive mais aussi parce qu’au fil des expériences elles le vérifient, la fréquentation quotidienne de la nature fait le plus grand bien aux enfants, elle apparait même comme indispensable. Il y a la créativité parce que les enfants aiment autant les histoires qu’on leur raconte que celles qu’ils créent et que pour la transition tous les territoires ont besoin de citoyens créatifs et aptes à prendre des initiatives – c’est l’urgence -. Il y a le multi âge parce qu’un groupe composé d’enfants de tous les âges est plus vivant, qu’il fonctionne mieux et que chacun y apprend plus facilement. Enfin il y a la démocratie, les lois qu’on se donne et la façon de fonctionner en groupe, il y a à l’école créative un bâton de parole qui sert souvent quand ensemble c’est l’heure de se mettre d’accord sur certaines choses. Il y en a d’autres bien sûr des critères, le rôle des parents comme piliers de l’école par exemple.

Une affaire qui nous concerne toutes et tous

En 2015, Antonella Verdiani présidente alors du Printemps de l’éducation avait réuni les principaux acteurs français de ces pédagogies nouvelles (On peut toujours les appeler comme ça même si elles ont bien 100 ans aujourd’hui) : Freinet, Montessori, Steiner… , des associations nationales liées à l’éducation comme l’OCCE, ATD Quart Monde ou le Réseau Ecole et Nature et des responsables d’écoles toutes nouvelles, comme l’école du Colibri aux Amanins, ainsi que la CARDIE de l’académie de Lyon était là aussi. J’ai eu la chance de vivre plusieurs journées très riches avec ce groupe convivial et créatif. Le texte « Ce qui nous réunit » en est sorti, il a donné lieu à une lecture publique par la plupart des protagonistes de son écriture lors du rassemblement du Printemps de l’éducation en 2015, cette vidéo en témoigne. On sait donc bien un peu où l’on va toutes et tous, ce qui pour nous est fondamental se trouve dans ce texte.

Des enseignantes qui ont la vocation et qui innovent

« Nous sommes des éducateurs chercheurs » dit Christelle qui a ouvert l’Ecole Créative la première année chez elle dans son garage. L’école créative était adhérente à l’EUDEC la première année ce qui l’a aidé et ses trois enseignantes ne cessent de se former à la CNV, aux méthodes des écoles démocratiques, à la connexion à la nature… C’est la même chose dans l’enseignement public et dans le privé, des enseignantes et des enseignants innovent, ouvrent de nouvelles voies, elles et ils rénovent l’école. Progressivement c’est le territoire lui-même qui s’investi dans l’innovation pédagogique, comme à La Bussière dans la Vienne ou la commune crée son école hors contrat. Comme on le voit pour la nourriture avec les AMAP et les cantines bio, l’urgence de la transition amène les habitants dans les territoires à se réapproprier le fait éducatif. C’est pour des enfants heureux à l’école, des enfants vivants et créatifs, des enfants connectés à la nature que cela est mis en œuvre. La transition se présente comme un défi immense et inédit pour le genre humain, favoriser ce genre d’écoles qui participent de la construction de personne libres, reliées aux autres et à la nature, créatives, aptes à l’action collective, c’est se donner plus de chance de pouvoir le relever.

A suivre.

RG

Les photos sont de l'école créative et de l'auteur



7 réactions


  • foufouille foufouille 9 septembre 2019 10:23

    « « Je suis largement en dessous du seuil de pauvreté et ma fille est scolarisée ici » dit une maman présente au moment de l’entretien. Elle ajoute qu’elle « mange à 95% bio » »

    impossible sans un grand jardin et proprio ou méga coup de bol sans taudis.


  • foufouille foufouille 9 septembre 2019 10:50

    https://www.helloasso.com/associations/creative/evenements/decouvrez-votre-nature

    220€ les 2 jours mais c’est pas pour les riches .........


    • Un des P'tite Goutte un des p’tite goutte 9 septembre 2019 13:57

      @foufouille Bonjour, Oh la, C une aparté mais je vois de + en + ce « helloasso », jeune et branché qui s’immisce entre des assocs. etc. et mon porte-monnaie, qd je donne, avec des marges...> à 5% par exemple, je sais pas vous mais je me méfie, et puis y’a une odeur de monopole.. Si un pote, une pote commentateur-rice avait des infos... Merci, et merci foufouille. Maintenant, concernant l’article, on a vite fait d’aimer les gamins, sans mérite, ce qui pousse certains à se donner à donf pour créer de telles écoles. Je pense qu’a priori il y en a moins que des boîtes à fric, mais de là à voir le mal partout...Qui dit gamin dit avenir, notre avenir. Is’nt it ?


    • foufouille foufouille 9 septembre 2019 14:07

      @un des p’tite goutte

      le pourboire n’est pas obligatoire sur wiki.

      ce lien sent juste un peu le truc à bobo avec 110 à 135€ par jour.


    • Un des P'tite Goutte un des p’tite goutte 9 septembre 2019 14:21

      @foufouille

      Merci


  • Désintox Désintox 9 septembre 2019 18:10

    Intéressant.

    Ce qu’il faudrait expliquer, c’est pourquoi les pédagogies innovantes n’ont jamais « pris ». Il semble même qu’il y ait beaucoup moins d’écoles Freinet qu’il y a 50 ans.


  • gorguetto gorguetto 10 septembre 2019 07:37

    Rabelais avait déjà imaginé ce type d’éducation avec son utopiste Abbaye de Thélème. Son grand principe : Fais ce que voudra. Qui n’a pas disserté sur ce merveilleux sujet ? Gargantua avait connu des applications en Allemagne avec l’école Summerhill en 1921, antiautoritaire et autogérée. Ces écoles de la transition sont une application, une mise en pratique d’une belle utopie parfaitement réalisable. Et cette évolution avec la nature est essentielle. Je comprends et je ressens l’enthousiasme des éducateurs et des parents pour cette éducation.


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