Les errements « formateurs » de Sigmund Freud
Nous avions vu que, dans une note ajoutée ultérieurement, Sigmund Freud avait émis le regret de n’avoir pas poussé ses investigations sur la question de ce que pouvaient bien « symboliser » les animaux apparus dans les hallucinations d’Emmy von N…
Il s’agit là, effectivement, d’une étonnante négligence… qui s’explique moins encore lorsque nous constatons l’insistance avec laquelle ce thème a pu se manifester au fil des séances d’hypnose. Nous voici pendant l’hypnose matinale du 10 mai :
« Je demande aujourd’hui ce que signifient les phrases : « ne bougez pas, etc. » Elle explique qu’elle craint, lorsqu’elle a des pensées angoissantes, d’en voir interrompre le cours, parce que alors tout s’embrouille et qu’elle se sent encore plus mal. Le « ne bougez pas » se rapporte au fait que les figures d’animaux semblent entrer en mouvement et se précipiter sur elle dès que quelqu’un remue […]. » (page 903 du PDF)
L’analyse du second élément de la formule incantatoire nous fait pénétrer dans un univers différent – celui des humains :
« […] enfin l’imploration « ne me touchez pas » se rapporte aux incidents suivants : son frère, rendu très malade par la grande quantité de morphine qu’il prenait à 19 ans, l’empoignait souvent tout à coup, dans ses terribles accès. » (Idem, pages 903-904)
Bien ancré, alors, dans la ligne thérapeutique d’Hippolyte Bernheim, Freud s’empresse de faire disparaître sans plus de façon sous le tapis tout ce qui paraît devoir déranger sa patiente :
« Ayant remarqué que la formule de protection est destinée à empêcher le retour d’incidents semblables, j’utilise la suggestion pour lui enlever cette crainte, et, de fait, je ne l’entends plus prononcer les paroles en question. » (Idem, page 904)
Passons maintenant à l’hypnose du soir de ce même 10 mai 1889 :
« La voyant disposée à me fournir des renseignements, je lui demande s’il y a encore d’autres événements qui l’ont effrayée au cours de son existence, au point d’en avoir conservé un souvenir vivace. » (Idem, page 905)
Elle revient sur ce frère malade qui avait la fâcheuse tendance de l’« empoigner » par surprise, mais surprise qui pouvait ne pas être de son seul fait…
« […] à l’époque où elle soignait son frère, elle vit un jour, tout à coup, apparaître le pâle visage de sa tante, au-dessus du paravent. La tante était venue pour convertir le malade à la foi catholique. » (Idem, page 906)
Mais pourquoi cet effroi ? Qu’aura donc eu à « surprendre » cette tante « missionnaire » ? Freud ne se fait pas faute de s’étonner lui aussi des sous-entendus qui travaillent sa patiente…
« Je remarque qu’ici, j’arrive au cœur même de sa peur constante des surprises et lui demande en quelles circonstances elle en a eu d’autres encore. » (Idem, page 906)
Voici la suite immédiate :
« Elle raconte comment ils avaient chez eux un ami qui aimait à s’introduire en catimini dans la pièce et à se dresser brusquement devant elle […]. » (Idem, page 906)
Quelle pièce ? Que peut vouloir dire qu’il se soit « dressé brusquement » devant elle ? En a-t-elle rien dit à son vieux mari ? N’est-ce pas la même image qui se précise discrètement, alors qu’elle rapporte…
« […] comment, tombée malade après la mort de sa mère, elle alla se soigner dans une ville d’eaux ; là un fou pénétra plusieurs fois, par erreur, dans sa chambre et s’avança jusqu’à son lit […]. » (Idem, page 906)
« Plusieurs fois »… N’est-ce pas quelques fois de trop ?… Faudrait-il vraiment qu’il s’agisse d’un fou à lier ?… Encore n’y eut-il pas que lui à donner dans une répétition tout à fait extravagante :
« […] enfin comment, pendant son trajet de retour d’Abbazia, un étranger ouvrit quatre fois inopinément la portière de son compartiment, la dévisageant chaque fois fixement. Elle eut si peur qu’elle appela le contrôleur. » (Idem, page 906)
Imperturbable, Sigmund Freud ne sortira pas du sillon que nous lui connaissons trop bien désormais :
« J’efface ces souvenirs, la réveille et lui certifie qu’elle dormira bien cette nuit, mais en omettant de lui faire cette suggestion à l’état d’hypnose. » (Idem, pages 906-907)
Heureux les innocents !… Freud tout le premier…
« Une remarque qu’elle fait prouve l’amélioration de son état : elle déclare, en effet, n’avoir rien lu aujourd’hui, tant elle vivait dans un rêve heureux, elle qui, perpétuellement agitée intérieurement, ne pouvait jamais rester inoccupée. » (Idem, page 907)
Notons, par avance, qu’il saura nous dire, plus tard, comment il avait fini par apprendre jusqu’à quel point on se jouait de lui.
NB. Pour comprendre dans quel contexte politique de fond se situe ce travail inscrit dans la problématique générale de l'amour courtois...
https://freudlacanpsy.wordpress.com/a-propos/