jeudi 5 août 2010 - par Damien Personnaz

Les îles éparpillées

Quelques pensées éparses autour d’îles éparpillées, d’un été mou et de l’archipel des Kerguelen. Sans oublier quelques bribes sur le désœuvrement.

Hier soir, dans ma solitude de la nuit, je lis « l’arche des Kerguelen ». Jean-Paul Kauffman écrit : « Je suis ici pour me désoler. Faire solitude, repeupler ce qui a été détruit  ».

Le livre décrit le voyage que l’ancien journaliste pris en otage au Liban entreprend parmi la sauvagerie de cet archipel français perdu dans le sud de l’océan Indien. Le climat y est rude, le vent omniprésent, le paysage indéfinissable, et les pensées de l’auteur mélancoliques et moroses.

Tout me rappelle mon périple dans les îles Chatham. Je devrais donc me sentir concerné. Aux Chatham, je mélancolisais, je me battais contre le vent et mes humeurs grises, j’étais tout aussi content d’en partir que d’y être allé. Bien écrit, "l’arche des Kerguelen" ne me parle guère. Trop austère, sans doute. Mais je suis content de l’avoir lu.

Hier, le parc national de l’île de la Réunion a été inscrit au patrimoine de l’UNESCO. La télévision nous montre des images spectaculaires de cette île spectaculaire, cerclée de trois cirques majestueux (Mafate, Salazie et Cilaos) à côté d’un volcan ombrageux.

Le prix est mérité. Mais…

Autant le centre de l’île est dépeuplé et grandiose, autant sa périphérie est moche et encombrée de routes et de zones pas très franches. La circulation y est intense, l’air pollué, l’espace surpeuplé et brouillon. Le prix va attirer les touristes, se réjouissent les insulaires. Le prix va attiser les spéculations, me dis-je. Le futur va nous donner raison.

Deux jours avant, l’UNESCO décrétait que les îles Galápagos étaient retirées de sa liste des « espaces en danger ». Une décision prématurée, indique l’Union Internationale de Protection de la Nature, une organisation vénérable et molle, basée en Suisse. Les touristes et les migrants venus du continent, estime cette dernière, menace toujours la faune unique de cet archipel darwinien où les tortues géantes et les iguanes séculaires clignent des yeux devant les flashs des photographes, sur fond de rochers glissants et de vagues puissantes.

Bien loin de la Réunion, des Galápagos ou des Kerguelen, je trouve que cet été est mou. Le ciel est en dents de scie, mon humeur aussi. Les nouvelles parlent d’athlétisme et de catastrophes naturelles en Russie, en Chine, au Pakistan. Je lis sans passion et écris sans direction.

Pendant une averse, je commence la lecture des « Naufragés de l’île Tromelin », d’Irène Frain. Une histoire d’île, avec esclaves, naufragés, soleil, soif et maladie. L’île Tromelin fait partie des îles Eparses.

Eparses. Tel est le mot qui résume bien mes pensées du moment.

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Durant ce passager désœuvrement estival, je guette les signes. J’attends que quelque chose se passe. J’aimerais être au diapason du temps qu’il fait : un soleil franc suivi d’une période de pluie bénéfique pour la plate-bande de l’écriture.

Dans ma tête, c’est dimanche après-midi depuis une semaine. Ce n’est pas désagréable, mais l’alizé et l’’horizon me manquent, et l’inspiration joue à cache-cache dans un labyrinthe. Pourtant, le désœuvrement passager devrait avoir — je le sens plus que je ne le sais — un aspect fécond. 

« Plus que la souffrance, le désœuvrement n’est-il pas l’épreuve suprême ? Qui sait combler le vide de l’âme quand plus rien ne l’absorbe est tiré d’affaire (…) La douleur occupe ; l’être souffrant se contemple dans son tourment. L’ennui ne connait ni la nuance, ni la satiété », écrit Jean-Paul Kauffmann.

Rien de tel qu’un austère comme Jean-Paul Kauffmann pour immédiatement me dire que je ne le suis pas dans cette voie. J’apprécie plus l’albatros et son ciel que la taupe et ses galeries sombres.

Ceci dit, je l’aurais bien suivi aux Kerguelen. D’autant plus que pour y aller, il faut partir de l’île de la Réunion et suivre le sillage des albatros, plein sud, vers le frais. 

Et durant la longue traversée dans ce navire cabossé qui se nomme le Marion-Dufresne, nous aurions pu causer désœuvrement et ennui. Sans nuance, à satiété. Mais surtout, nous aurions pu deviser sur ce qui nous pousse à toujours aller vers ces îles lointaines, solitaires et différentes, battues par les vents et érodées par une Histoire inachevée et une géographie insensée.



17 réactions


  • Fergus Fergus 5 août 2010 11:07

    Beau périple, Damien.

    Savez-vous qu’il est possible d’embarquer sur le Marion-Dufresne ? Un an après être allée au Groenland, l’une de mes ex-collègues l’a fait, seule « touriste » sur ce navire de l’armée où avaient pris place, outre les militaires, quelques rares scientifiques et Isabelle Autissier en mission. La collègue a pu ainsi visiter les Kerguelen et les Crozet, allant en compagnie d’Autissier se poser avec l’hélicoptère du bord au voisinage des prodigieuses colonies de manchots. Superbe, mais malheureusement très coûteux !

    Bonne journée.


    • Damien Personnaz 6 août 2010 09:37

      Fergus : Merci de votre commentaire. Oui, je connais le Marion-Dufresne de nom. Il part de la Réunion pour un périple d’un mois qui passe par Crozet, Kerguelen et Saint-Paul et Amsterdam. Coûteux ? Probablement. Mais c’est le voyage d’une vie, il me semble, moins cher que l’achat d’une voiture haut de gamme et de sa cohorte de frais collatéraux. Une question de priorité, une fois de plus. 


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 5 août 2010 11:40

    Bonjour, beau voyage, mais pas un mot sur les hôtels et les plages...

    Magnifique passage " Plus que la souffrance, le désœuvrement n’est-il pas l’épreuve suprême ? Qui sait combler le vide de l’âme quand plus rien ne l’absorbe, est tiré d’affaire ..." quand je pense que Nicolas le hongrois pourrait y être poussé à l’ex île (°) et pas que pour vacances, il ferait bien de méditer là dessus avant de se trouver face à lui-même, car, lampe au néon, Aigues Mortes, acétylène...

     


    • Damien Personnaz 6 août 2010 09:42

      Lisa SION 2. Ce passage est tiré du livre de Jean-Paul Kauffmann, l’arche des Kerguelen, paru en 1993. Les plages ici (ou là-bas) sont de galets glissants, jonchées de bois, parsemées d’algues visqueuses. Le vent est le Prince de ce royaume républicain français, ses sujets sont les éléphants de mer, des manchots et les majestueux albatros. Nicolas pourrait s’y sentir un peu...déconcerté, devant cette société civile imperméable au bling-bling.


  • Bulgroz 5 août 2010 14:13

    Concernant les îles éparses, il faut signaler qu’en Juin 2010, la France et Maurice ont signé un accord de cogestion de Tromelin.

    Or on sait que le seul intérêt des Mauriciens dans cette ile réside dans les redevances de pêche Coréennes et Chinoises.

    Cet accord voulu par Nicolas Sarkozy vise les Britanniques et leur gestion calamiteuse des îles Chagos dont le peuple a été déporté à Maurice et qui y vit misérablement. 



    • Damien Personnaz 6 août 2010 09:44

      Bulgroz : Merci pour le lien et l’information (que je ne connaissais pas), sachant tout de même que Maurice revendique Tromelin depuis des lustres. Quant aux îles Chagos et du drame peu connu de ses habitants, j’en parlerai dans un de mes prochains billets, étant en relation épistolaire avec l’avocat des Chagossiens.


  • Waldgänger 5 août 2010 14:16

    Joli article. Il est bizarre d’y trouver les Kerguelen, car l’imaginaire que l’on y associe est très différent de celui des îles tropicales. A la place de la langueur, on y voit plus un monde de quête et d’exploration active, comme le furent les explorations polaires, climat antarctique que les Kerguelen anticipent avec leurs glaciers plus grands que ceux des Alpes et leurs vents perpétuels. L’idée globale est que ces paysages désolés, austères et hostiles, à la végétation réduite, sont un lieu qui sert à la recherche de soi, comme en alpinisme. Ce lieu est celui du surhumain quelque part, contrairement à l’image rieuse des îles à sucre.

    Peut-être aussi que cette différence est due au fait que les Kerguelen seront traitées dans un prochain article, ce que je souhaite, car j’ai apprécié celui-ci.

    PS : une petite image de la calotte glaciaire Cook, ou du mont Ross auraient pu montrer aux lecteurs non avertis les paysages étonnants mais peu hospitaliers des Kerguelen. Là encore, j’espère que le voyage au sud va se poursuivre, et pourquoi pas jusqu’au « continent antipode » ?


    • Damien Personnaz 6 août 2010 09:33

      Waldgänger : Je suis un adorateur des îles isolées. Celles qui sentent les embruns, rythmées par les marées sur lesquelles vivent des communautés soudées et solitaires. Je les aime toutes, les bleues, les grises et les austères, pourvu qu’elles soient « lointaines ». Merci de votre commentaire. Hélas, le voyage vers le sud s’arrête — pour le moment — ici. Je vous invite à partager quelques moments « insulaires » sur mon blog : http://ileslointaines.blogs.courrierinternational.com . L’article ci-dessus en a été tiré par l’équipe d’Agora vox.


  • Plus robert que Redford 5 août 2010 16:33

    A l’austérité des Kerguelen et de Kauffman, laissez moi préférer la douceur de Rodrigue avec JMG Le Clézio (Le Chercheur d’Or)... un peu utopique, mais tellement plus rassurant !


  • Fergus Fergus 5 août 2010 17:11

    Et pour aller plus loin encore dans notre voyage vers les îles lointaines, ne pas oublier de lire ou relire le superbe livre de Bazin « Les bienheureux de la Désolation » qui retrace le peuplement de la très austère Tristan da Cunha, et le non moins superbe roman de Robert Merle « L’île » qui évoque les révoltés du Bounty et leur vie dans une île d’Océanie.


    • Damien Personnaz 6 août 2010 09:56

      Merci Fergus : Il me semble que le livre retrace l’histoire des habitants de Tristan da Cunha après la terrible éruption volcanique qui les a contraint de fuir leur île, de s’installer dans une Grande-Bretagne inconnue et de leur retour sur leur île perdue dans l’Atlantique sud. L’île de Robert Merle est un roman merveilleux, qui reprend l’histoire des mutinés du Bounty et de leur installation épique sur l’île de Pitcairn.


  • Nord 6 août 2010 07:56

    Quel plaisir que de vous lire.


  • Damien Personnaz 6 août 2010 09:56

    Merci Nord ! Quel plaisir de lire ce commentaire.


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