Les mésaventures de « droit dans ses bottes II » volume 1
Premier opus évoquant les prémices de ce qui pourrait bien devenir un conflit majeur pour le gouvernement...
Décidément l’histoire repasse souvent les plats… Cette semaine je me croyais revenu en 1995 lorsque Juppé " droit dans ses bottes " décida de s’attaquer aux retraites des cheminots et à la sécu… Sauf que là c’est son " héritier spirituel " qui s’y est collé, avec bien sur, le même dédain et la même morgue que son mentor. Allant même jusqu’à assener :
« … Mais si certains sujets s’enlisent, si certains tentent de pervertir les discussions, d'en faire un débat idéologique, alors le gouvernement prendra ses responsabilités… »
Question numéro 1
… Le fait de défendre le service public ferroviaire sera-t-il considéré comme une " idéologie " par " droit dans ses bottes II " ???
Question numéro 2
…Que signifie l’expression fourre-tout « le gouvernement prendra ses responsabilités » . D’aucuns y voient une allusion à un recours aux ordonnances, mais rien n’indique que " droit dans ses bottes II " ne tentera pas d’aller plus loin….
Quoi qu’il en soit certains ont déjà choisi leur camp… Les éditorialistes des émissions politiques du paysage audiovisuel, ainsi qu’une grande partie de leurs invités sont tous vent debout en faveur de la réforme proposée (à l’exception notoire d’Eric Zemmour et j’avoue que je me demande bien pourquoi ???).
Toutes les émissions se ressemblent : un aréopage de chantres de l’ultralibéralisme experts autoproclamés es affaires ferroviaires s’acharnent sur l’irresponsable bolchevique de service, à savoir un syndicaliste pourtant bien poli et respectueux… Le tout "arbitré " par un folliculaire qui décline le substantif "privilégié " sous toutes ses formes, nonobstant celle qui consisterait à évoquer l’ abattement d’impôt de 7650€ dont il bénéficie chaque année pour son salaire mensuel à 5 chiffres…
Et bien sûr, pour appuyer leurs argumentations oiseuses nos experts débitent une quantité de conneries astronomiques sur la SNCF et en particulier sur le métier de conducteur de train… Ayant exercé cette profession durant près de 30 ans, ainsi qu’un mandat syndical national, je vais tenter de rétablir quelques vérités sur ces sujets.
La dette :
Commençons par le commencement tout le monde est d’accord pour dire que la dette de la SNCF est non seulement originelle (elle est née avec elle et même par elle puisque sa création était destinée à éponger les 37 milliards de francs des 5 principales compagnies) mais aussi systémique puisque, si ce sont les gouvernements qui décident de la construction de nouvelles lignes, la SNCF est sollicitée financièrement pour tout ou partie du coût. Par exemple, la ligne nouvelle Paris-Bordeaux a coûté 4.8milliards d’Euros à SNCF réseau et 3 aux collectivités.
Alors, bien sûr, au cours des années, ça commence à faire lourd, surtout quand viennent se greffer là-dessus, en plus des constructions de lignes et pour ce qui concerne SNCF mobilités, des achats superfétatoires de matériels, décidés uniquement par la tutelle et dont l’entreprise ne sait que faire. Ce n’est pas nouveau, puisqu’à ma connaissance, dans les années 60 la SNCF dut faire l’acquisition de catastrophiques trapanelles (les BB71000) sur ordre du gouvernement pour aider le constructeur CFD alors en difficulté, et ça continue de nos jours puisqu’en 2016, ce furent pas moins de 21 rames TGV et 20 locomotives diesel que le gouvernement obligea la SNCF à acheter afin de sauver les usines Alstom…Tout ceci inutilement d’ailleurs puisque Macron refila Alstom aux allemands de Siemens un an plus tard
Il est donc évident, que cette dette n’est pas un simple trou financier (comme par exemple comme celui que le gouvernement compensa gentiment pour les banques après la crise des subprimes), c’est effectivement une dette, mais une dette appuyée sur ce que l’on peut appeler des actifs immobiliers (les lignes TGV) ou matériels (les locomotives et TGV). Pour preuve, le fait que SNCF réseau ait pu en juin 2015 emprunter 25 millions d’Euros sur 100 ans, ce qui constitue un fait assez rare et significatif de la confiance faite à l’emprunteur.
Lors du conflit de juin 2016, le gouvernement avait envisagé de reprendre une partie de la dette à son compte. Cependant, il se désavoua en septembre en s’apercevant que le fait de reprendre seulement 10 Milliards d’€uros ferait augmenter le déficit public de 0.5 points de PIB…
Au moment où le gouvernement s’apprête à casser l’EPIC SNCF, trop déresponsabilisant à son goût (ils ne manquent pas de toupet quand même, vu les informations ci-dessus) la SNCF publie son bilan qui peut se traduire ainsi :
-4 milliards 6 de marge opérationnelle
-679 millions de benef (donc la différence, c’est les impôts et les intérêts de la dette)
-Et surtout 830 millions de gains de productivité…
Et à votre avis, ladies and gentlemen, ils viennent d’où les gains de productivité ????
De l’harassant labeur des queues de peloton des grandes écoles que Peppy et sa clique embauchent à pleine porte ou du travail de ceux qu’on désigne sous le vocable "d’opérationnels " ; c’est-à-dire, ceux qui conduisent des trains, qui les régulent, qui sont en contact avec le public ou qui réparent en urgence engins moteurs et voies ?… En gros ceux qui méritent réellement l’appellation de cheminots, qui subissent tous les jours l’incroyable gabegie imposée par les gouvernements successifs et cautionnée par l’encadrement. A ce sujet, voici l’édifiant état des effectifs pour 2016, ce qui a changé depuis, c’est la suppression de 1200 postes en 2017 et bien sûr, pas chez les cadres lien :
-Fonctionnaires supérieurs : 1462 (ça c’est Florence Parly et ses 52000€ mensuels)
-Cadres : 25230
-Maîtrise : 41517
-Exécution : 45464
-Roulants conduite : 13878
-Roulants trains (contrôleurs) : 6670
Dans une société de transport ferroviaire, il y a deux fois plus de cadres que de conducteurs, Cherchez l’erreur !!!
Alors, vous comprendrez que lorsque « droit dans ses bottes II » explique benoîtement que l’EPIC Sncf réseau sera transformé en société anonyme et que si elle fait des bénéfices conséquents (c’est-à-dire, bien entendu, si la productivité des purotins augmente conséquemment) l’état aidera l’entreprise à rembourser sa dette, les agents vecteurs de la productivité de l’entreprise se méfient un tantinet…
Et attention, c’est "droit dans ses bottes II " qui l’affirme :
"les actions de la future société anonyme seront incessibles, ce qui évitera tout risque de privatisation… "
Ouais mon gars… comme pour les autoroutes…"
De toutes façons, ne nous y trompons pas, critères de Maastricht obligent, l’état n’a aucune possibilité de reprendre tout ou partie de la dette (on frôlerait les 2.5 points de PIB en moins pour la totalité)… Et si les taux d’intérêts doivent remonter, ce sera encore pire… Sa seule monnaie d’échange après l’entrée en service de la concurrence sur les grandes lignes sera d’augmenter le coût des péages à SNCF réseau (donc augmentation des tarifs), voire de vendre le matériel TGV aux sociétés privées entrant sur le marché.
Les réactions aux rodomontades de « droit dans ses bottes II » n’ont pas traîné, l’agence de notation Fitch annonce :
« Qu’elle a placé mercredi la note de SNCF Mobilités, l'entité chargée de la circulation des trains, sous surveillance négative en vue d'une éventuelle dégradation »,
Et la raison en est simple :
" Fitch considère que l'évolution vers le statut de société anonyme pour SNCF Mobilités, envisagée dans la réforme du groupe public, "est une indication d'un relâchement potentiel des liens de SNCF Mobilités avec l'Etat…"
Malgré le risque de voir les intérêts de la dette de SNCF réseau s’envoler, le gouvernement persistera-t-il ? Si oui, c’est la mort annoncée de la SNCF service public.
Quant aux lignes secondaires, est-il sérieux d’envisager leur maintien, alors qu’on sait très bien que les « philanthropes » dirigeants des nouveaux entrants ferroviaires vont se ruer sur tout ce qui est rentable (banlieue des grandes villes, liaisons entre villes de moyenne importance) en priorité et qu’une fréquentation journalière de moins de 1000 voyageurs ne les intéresse pas ? Une chose est sûre, ce n’est pas la SNCF qui les reprendra puisque ruinée par le poids des intérêts à payer augmentés par la dégradation de la note par Fitch, elle essaiera, elle aussi, de se refaire la cerise avec le plus rentable…
Mais « droit dans ses bottes II » a au moins raison sur un point, ce n’est pas son gouvernement qui décidera de Paris de la fermeture des lignes secondaires, mais bien les Conseils Régionaux placés par son inconséquence et son irresponsabilité devant une situation ingérable
Pour terminer cette partie, parlons un peu du coût et de la qualité des transports en France. Selon une étude (la seule que j’ai pu trouver), au niveau de la qualité, la France se classerait cinquième sur le plan mondial derrière les intouchables Suisse et Japon, et deux « confettis » Hongkong et Singapour, autrement dit elle serait au 3éme rang des pays dotés d’un réseau conséquent, j’avoue que cette étude m’a laissé un peu dubitatif… Cependant, après réflexion, il faut aussi considérer que si le TGV génère un énorme poids financier, il représente aussi (heureusement) un atout important lors de l’évaluation de la qualité d’un réseau, puisqu’il et un des plus étendus en Europe (2800km de ligne) et surtout le plus rapide (320 km/h), ce qui pourrait justifier ce classement. L’ICE allemand, par exemple, est loin de posséder les performances et la fiabilité des « nez pointus ».
Au niveau des tarifs pratiqués, une étude Go Euro conclut que :
« malgré les apparences la France bénéficie de prix de transports assez raisonnables » .
Elle situe le prix du transport ferroviaire aux 100kms en France à 17.59€, et la classe au 5éme rang européen derrière la Suisse , le Royaume-Uni, les Pays-bas et la Belgique, mais devant l’Espagne (13.74€)et l’Allemagne (12.59€). Mais là encore, ne faut-il pas considérer le prix plus important des déplacements en TGV ?
Voici donc terminé le volume 1 des aventures de « droit dans ses bottes II » et les cheminots, j’ambitionne prochainement de publier, si les modérateurs m’y autorisent, un opus numéro 2 qui traitera plus particulièrement du statut de cheminot et du métier d’Agent de conduite.