jeudi 30 juin 2016 - par Saltz

Les mystères de Lille : putain de vie

Place du Rihour, Grand-Place, et maintenant devant la gare de Lille Flandre.

La voiture s'est arrêtée. Des hommes avec des gilets fluorescents en descendent avec des sacs en papier.

Au bout de la rue qui mène à l'Opéra, donc en plein centre ville, des SDF qui n'attendent pas Godot stagnent en petits groupes.

Les gilets arrivent, les appellent par leurs prénoms et leur distribuent les sacs.

Voilà un repas équilibré, même s'il est froid et s'il tient plus du pique-nique que du repas offert par l'état aux autorités européennes lors des rencontres censées résoudre la crise économique. Si on échangeait les repas, vous ne croyez pas que la crise serait résolue plus rapidement ?

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Lille Grand-Place

 

L'un est vieux et seul, mais comment donner un âge quand la rue appose sur les traits une année pour quelques mois de vécu ?

Ceux-là vont par deux. Ils sont nés sous une étoile filante. Entendez par là une étoile qui filait un mauvais coton et ils se tiennent compagnie à coucher sans lit à la bonne étoile. Ils vont nulle part, mais ils y vont à deux. Le non-sens de leur vie est occulté par le fait que chacun suit les pas de l'autre.

Et ces retardataires ! Le stock de sacs est épuisé. Eux aussi. Mais ils restent d'une courtoise fatalité. Reste-t-il une boisson chaude ? Un café, une soupe. Ca satisfera leur bonheur, à défaut de contenter leur estomac.

Et puis, il y a elle. Elle a moins de quarante ans, mais sa silhouette courbée lui en accorde plus, et son visage ne lui en retire aucun.

Elle n'y arrive plus. Ses parents ne lui ont pas fait cadeau de la vie. Ils lui en ont fait un fardeau.

Elle a deux gosses autour de dix ans dont elle n'arrivent plus à maitriser la trajectoire. Leurs paroles, leurs gestes, leurs actions, ce n'est pas l'éducation qu'elle leur a donnée. Et le petit suit l'ainé en prenant de l'avance. Leur père est parti et ne veut pas s'en occuper. Il leur manque une autorité masculine pour dissuader ces pauvres papillons d'être éblouïs par des camarades qui ne sont pas des lumières. Ils vont dans une école de quartier. Tout est dit.

Le père de ses enfants s'est drogué et a séjourné en prison. Depuis sa sortie, il a un travail dans une administration. De quelle sorte ? Sous quel statut ? On ne saura pas. Ce qu'on sait, c'est qu'il ne veut pas les prendre en charge. Juste quelques week-ends.

Avec 400 euros, elle n'arrive pas à acheter à manger. Alors il lui arrive de voler.

Elle est prête à tout pour obtenir un billet. Mais quand elle en aura, elle n'ira pas s'approvisionner dans le centre commercial, entre les deux gares, restauré par je ne sais plus qui et inauguré par la maire. C'est trop cher.

Ces traces à la main ? Souvenir d'une colère qu'elle a voulu extraire d'un coup de poing contre le mur. Le mur ne s'en souvient pas.

Non personne ne l'a frappé. L'autre jour elle s'est battu contre son frère. Ce n'est pas son frère qui l'a battue. Il ne supportait pas le dernier moyen qu'elle use pour trouver quelques billets. Qu'elle vole. Qu'elle trafique. Mais ce métier. C'est déshonorant. Il a frappé. Elle avait besoin de sous, pas de coups. Mais comme il ne travaille pas, il n'a pas le sou.

Et sa famille ? Ce sont des sans-dents, sans-argent, sans-avenir, sans réconfort à apporter.

Elle est française. Mais elle n'ira pas brandir le drapeau tricolore si le pays gagne. Elle ne sait même pas quelle équipe joue ce soir.

Son CAP de coiffure semble bien frêle pour la maintenir au dessus de la ligne de flottaison. Pas de travail. Drôle de famille. Drôle de famine.

Les gilets se séparent. Ils ont fini leur soirée. Ils ont un travail la journée. Et la nuit, ils enlèvent leur costume, garde la chemise de cadre qu'ils recouvrent d'un gilet fluo, et s'en viennent distribuer un repas, des chaussettes et quelques habits.

 

Il n'y pas que leur soupe et leur café qui réchauffent ces personnages d'Eugène Sue.



8 réactions


  • 59jeannot 30 juin 2016 11:03

    pas de boulot pour tout le monde, mais tout le monde a besoin d’un revenu ; c’est l’équation à résoudre ; réfléchissons au « revenu de base »


    • Saltz Saltz 30 juin 2016 18:46

      @59jeannot

      Vous avez raison.
      Ce qui compte, ce n’est pas le nombre de personnes qui travaillent, ni ceux qui sont au chomage, mais c’est la richesse produite, y compris par les usines automatisées.
      Il faut donc penser à la redistribution de la richesse créée en fonction des besoins des individus.


  • jean-marc D jean-marc D 30 juin 2016 20:23

    Bonsoir,

    Sur le fond, rien à redire hormis qu’il s’agit d’une simple description d’une vie de tous les jours que chacun d’entre nous connait, sans apporter d’idée(s) neuve(s) sur la façon d’y remédier.
    Sur la forme :
    1) pas place du Rihour, mais place Rihour tout court (on aurait du l’appeler placette plutôt d’ailleurs eu égard à sa taille ridicule),
    2) le rue qui mène à l’Opéra depuis la gare Lille Flandres est la rue Faidherbe, où il vaut mieux éviter la faune de préférence à partir de 19 heures à moins de se faire agresser à tout coup pour un porte-feuile, une montre ou un portable,l’altruisme a quand même ses limites,
    3) le centre commercial entre les deux gares (Flandres et Europe) n’a pas été restauré hormis un simple réaménagement des cellules commerciales en 2015 mais construit sur une partie de l’ancienne place des Buisses et une vulgaire friche, militaire si ma mémoire est bonne,
    4) « Ils vont dans une école de quartier. Tout est dit »:est-ce une tare que d’y aller ? de la façon dont vous présentez les choses, çà me semble mal venu et surtout désolant pour une école publique qui n’est pas si mauvaise qu’on ne dit,
    5) il n’y a pas qu’à Lille que ce que vous décrivez existe ! Etait il besoin de faire allusion à une ville en particulier ? Le contenu de votre texte était amplement suffisant.
    Sans rancune, je suis Lillois, fier de l’être et de défendre ma ville qui n’est pas pire que d’autres.

    Bien à vous,


    • Saltz Saltz 1er juillet 2016 00:32

      @jean-marc D

      1) pas place du Rihour, mais place Rihour tout court . Vous avez raison.

      2) le rue qui mène à l’Opéra depuis la gare Lille Flandres est la rue Faidherbe, où il vaut mieux éviter la faune de préférence à partir de 19 heures à moins de se faire agresser à tout coup pour un porte-feuile, une montre ou un portable,l’altruisme a quand même ses limites,
      Il m’arrive de passer vers minuit dans ces rues et je n’ai pas été agressé. Est-ce de la chance ?
      Par contre dans la journée, souvent quelqu’un s’approche de moi comme s’il voulait demandé son chemin, et il demande de l’argent.

      3) le centre commercial entre les deux gares (Flandres et Europe) n’a pas été restauré hormis un simple réaménagement des cellules commerciales en 2015 mais construit sur une partie de l’ancienne place des Buisses et une vulgaire friche, militaire si ma mémoire est bonne,

      Il s’agit du centre Euralille, qui pour ses 20 ans a reçu un cadeau de près de 50 millions d’euros pour se refaire une beauté.
      J’y suis passé au moment d’une cérémonie qui ressemblait fort à une inauguration.
      J’y ai croisé le maire, Madame Aubry, je l’ai prise en photo tandis qu’une jeune femme se prenait en selfie avec elle, et j’ai touché quelques mots à une dame qui semblait être son responsable de communication.
      C’était en juin 2015
      http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/martine-fait-ses-courses-a-168490

      4) « Ils vont dans une école de quartier. Tout est dit »:est-ce une tare que d’y aller ? de la façon dont vous présentez les choses, çà me semble mal venu et surtout désolant pour une école publique qui n’est pas si mauvaise qu’on ne dit,
      C’est un fait que beaucoup de parents mettent leurs enfants dans l’école privée parce qu’ils sont mécontents de l’école publique.
      Et beaucoup d’autres ne le font pas parce qu’ils n’ont pas les moyens.
      Cela dit, je ne pense pas que la faute en revienne aux enseignants de l’école publique, mais je pense que les responsabilités se situent dans la bureaucratie.

      5) il n’y a pas qu’à Lille que ce que vous décrivez existe ! Etait il besoin de faire allusion à une ville en particulier ? Le contenu de votre texte était amplement suffisant.

      Je travaille dans l’agglomération lilloise et je loge à Lille.
      Il ne s’agit pas de supposition ni d’imagination, mais simplement d’un peu de présence avec des bénévoles qui apportent ce qu’ils peuvent pour soulager la misère.
      Rien n’est inventé.
      Ni les SDF qui repartent le ventre vide sans dire un mot plus haut que l’autre.
      Ni la femme dont j’ai retranscrits les propos.

      A part ça, je n’ai rien contre les Lillois de souche.
      Je les trouve sympathiques, et quand je demande à des collègues installés depuis quelques temps, ils sont du même avis.


    • Saltz Saltz 1er juillet 2016 11:33

      @jean-marc D

      il vaut mieux éviter la faune

      Monsieur, vous me peinez et je vous engage à vous rapprocher de l’une des équipes qui viennent en aide à ces gens.
      Vous verrez que ces équipes traitent ce gens comme des personnes et non comme des animaux d’une faune urbaine.


    • jean-marc D jean-marc D 1er juillet 2016 19:11

      @Saltz
      Bonjour,

      Non seulement vous ne comprenez rien au sens de mon intervention, que je vous ai précisée il y a un an (vous semblez aimer les anniversaires, il me semble), à savoir que j’ai horreur, à titre personnel, qu’on stigmatise la région du nord et la ville de Lille en particulier - ça n’est pas parce que vous y habitez et y travaillez qu’il faut tourner les tourner en ridicule en les comparant à une époque révolue digne de Zola, on en chialerait presque...... Nantes, Paris, Lyon, Marseille, pour ne citer que ces grandes villes seraient-elles différentes de Lille ? Tous les Agoravoxiens ne sont pas censés connaître Lille et vous donnez de cette dernière une bien piètre image de miséreux et de sans-dents, dépendants tout comme dans Germinal des miettes d’une société ventrue et nantie (cf. vos dires « Ils ont un travail la journée. Et la nuit, ils enlèvent leur costume, garde la chemise de cadre qu’ils recouvrent d’un gilet fluo »).
      Devenez bénévole à votre tour comme je l’ai fait par le passé et arrêtez d’écrire des inepties en vous limitant aux apparences, vous comprendrez bien vite que l’idée de départ d’altruisme et de dévouement envers son prochain s’efface bien vite au profit d’un développement personnel et politique couvert par des organisations créées pour ce faire et bénéficiant bien souvent de subsides publics, et ne sont désormais que des paravents médiatiques, rien de plus. La misère sociale, bien souvent cachée ne vous en déplaise - on pourrait faire un bouquin afin de faire le tri entre misère réelle et affichée - elles s’en fichent royalement, croyez moi bien, et n’est que le cadet de leurs soucis. Mais il faut bien faire semblant pour tromper le badaud et ainsi étaler une belle vitrine d’apparat.......
      Par ailleurs, je n’ai jamais dit que vous affabuliez, je vous ai affirmé que votre article ne faisait que rapporter des faits connus de tous partout en France et en Navarre, en les commentant d’une manière fausse et surtout, le pire, caricaturale. Déjà le titre de votre article donne le ton général de son orientation.
      Sachez qu’en outre vous confondez :
      - délinquance avec mendicité, la mendicité n’est pas interdite, la délinquance si. Demandez aux riverains de la rue Faidherbe s’ils apprécient cette dernière, que vous n’avez pas encore expérimentée, heureusement pour vous,
      - en 2015, Euralille n’a pas été restaurée pour 50 millions d’euros (regardez la définition de restaurer dans un dictionnaire, c’est remettre en l’état primitif, si vous ne voyez pas la différence, mettez des lunettes mon cher) mais transformée pour 48 millions, Martine Aubry n’à jamais inauguré quoi que ce soit à Euralille, elle s’est simplement rendue sur place pour se targuer et surtout se pavaner publiquement comme tout bon politique de l’investissement réalisé par la ville et la région, donc sur le dos du contribuable qui n’a pas eu son mot à dire pour une grande partie, afin de réorienter la viabilité du centre, qui est d’ailleurs toujours à ce jour déficitaire, mais qui doit survivre à des fins politiques quoiqu’il en coûte (Euralille n’est pas que le centre commercial, mais un gigantesque centre d’affaires créé pour en faire une plateforme européenne d’échanges),
      - le problème n’est pas d’avoir le choix, forcé ou non, de mettre ses gosses à l’école publique, c’est d’insérer l’école de quartier juste avant l’affirmation « tout est dit » une fois que vous avez tracé la déplorable condition de votre modèle.
      Désolé de vous avoir peiné,
      Bien à vous.

    • Trelawney 2 juillet 2016 08:47

      @jean-marc D
      Si Lille vous passionne fendez vous d’un article et donnez votre point de vu. Ca intéressera beaucoup d’entre nous à commencer par moi


  • Saltz Saltz 8 juillet 2016 16:01

    Émilie était la maman de deux jeunes enfants, un garçon de 8 ans et une fille de 6 ans atteinte de trisomie. Elle vivait à Armentières, dans le Nord. Elle a mis fin à ses jours dimanche.

    Pour s’occuper de ses enfants, elle avait cessé de travailler. Elle touchait alors le RSA et l’allocation pour enfant handicapé en France.

    Son ex-compagnon, le père de ses enfants, est belge et travaille outre-Quiévrain. L’allocation pour enfant handicapé était désormais versée par le pays voisin. 

    Ce qui a compliqué le dossier de la jeune maman auprès de la Caf :

    • « On m’a coupé le RSA. Je suis passée de 1 125 euros d’allocations à 690. Je ne m’en sors plus du tout. En plus, ils me demandent de rembourser ce que j’ai perçu au RSA depuis deux ans. C’est dingue »,

    expliquait-elle à La Voix du Nord.

    • « Je n’ai plus rien »

    La situation ne s’est jamais débloquée :

    • « À part me dire que je dois demander une pension alimentaire au papa de mes enfants, je n’ai rien de plus. La Caf m’a même supprimé mon APL »

    indiquait-elle en juin à La Voix du Nord.

    Les services de la ville connaissaient cette jeune maman :

    • «  Elle avait été accompagnée à trois reprises dans ses demandes de logement en fonction de l’agrandissement de sa famille, explique Émilie Decarne, le dernier changement remontait à avril 2011, après un rendez-vous avec le maire en janvier : elle avait pu obtenir une maison T 4 avec jardin rue du Général-Mangin.  »

    En mai, Émilie Loridan avait contacté le centre communal d’action sociale, où elle avait été reçue.

    • «  Un travailleur social la suivait, poursuit Émilie Decarne, elle avait pu être inscrite tout de suite à l’épicerie solidaire. Des bons en urgence lui avaient également été donnés pour répondre à sa situation immédiate  ».
    Il lui avait également été conseillé d’aller au Point d’accès au droit, ce qu’elle avait fait : elle avait pris contact avec le défenseur des droits. Mais plus récemment, les services sociaux de la ville n’avaient pas réussi à avoir de contact avec elle. La jeune maman ne s’était pas présentée au dernier rendez-vous, en juin.
    • «  Le travailleur social lui a laissé plusieurs messages. Elle n’avait pas rappelé. La ville l’a aidée dans tous ses champs de compétence. Ce qui est arrivé est dramatique  »,
    conclut la DGS adjointe.

    Dimanche, elle a mis fin à ses jours.


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