lundi 7 février 2011 - par Henri Diacono

Les premiers pas de la Liberté Tunisienne

  Plus de trois semaines déjà. Trois mémorables semaines que la planète entière – et principalement le monde arabe, premier concerné – a admiré puis envié un soulèvement populaire exemplaire. Trois semaines au cours desquelles la Tunisie forte de sa révolte spontanée a commencé à construire sa révolution et planter « sa » démocratie.

 Les élites où la politique était une denrée rare, se sont retroussé les manches s’attelant tout d’abord à la tâche énorme de sécuriser le pays, puis relancer son administration en renouvelant ses cadres, avant d’entamer le redémarrage de l’économie et le difficile labeur de préparer des élections libres.

 Au niveau de la sécurité assurée depuis plus d’un mois par une armée très efficace dans ce rôle nouveau pour elle, celui d’habitude dévolu à la police, les services de police justement ont été épurés de tous ses directeurs, trente-quatre au total, nommés par l’ancien régime. Ensuite, comme il a été déjà annoncé, le salaire des policiers a été augmenté (une barrière contre la corruption) et un syndicat est en cours de création au Ministère de l’Intérieur. La Garde Nationale – équivalent de la gendarmerie française – a bénéficié d’un traitement identique.

 Ceci n’a pourtant pas empêché samedi d’enregistrer samedi en province une tragique bavure au Kef où l’attitude irresponsable du chef de la police (emprisonné depuis) a provoqué la mort de quatre personnes.

 Sur le plan administratif, les vingt-quatre gouverneurs en place à la tête des régions de la nation il y a un mois encore ont été tous remplacés. Mais si dix-neuf d’entre eux ont été « acceptés » par le peuple, les cinq derniers resteraient, à son goût, trop proches du « passé ». 

Dans les services douaniers, administration parmi les plus importantes du pays, au sein de laquelle l’ancien dictateur et le clan de son épouse comptaient de nombreux amis, le ménage a débuté. Enfin, l’Education Nationale fortement perturbée par de nombreux arrêts de travail doit retrouver son rythme normal dans la semaine du 7 au 15 février. En outre, la censure a complètement disparu. Tous les journaux et magazines d’opinion ont retrouvé leurs places à la devanture des kiosques ou librairies et, pour la première fois depuis plus de vingt ans, des livres alors interdits ont réapparu.

 Paradoxalement dans ce laps de temps fait de tâtonnements et de craintes, dans une économie reprenant un peu de vigueur après avoir été constellée de grèves aussi inattendues qu’inutiles en cette période (demandes d’augmentations de salaires, meilleures conditions de travail), le marché immobilier se porte à merveille. Plutôt celui de la construction. Et, stupeur, le ciment commence à manquer.

 D’un seul coup, d’un seul, partout, les murs surgissent et grimpent très vite, les toits sont déployés en un temps record. Une véritable tornade de la truelle. Surtout dans les villes de petite ou moyenne importance, là où justement les services répressifs des municipalités sont en sommeil. Vive la liberté. On bâtit sans aucune autorisation. Plus de permis de construire et aussi plus de « dessous de table » destiné, en cas d’infraction, à rendre aveugle la police municipale.

 Cette frénésie, visible à chaque coin de rue dans bien des cités de la Tunisie « profonde », tout comme le sont les étalages sauvages de légumes, de fruits ou bimbeloterie au gré des trottoirs, laisse apparaître au grand jour les difficultés immédiates qui se présentent à la Nation nouvelle. Un travail titanesque. Faire de son peuple un peuple de citoyens. Lui faire comprendre que le mot Liberté ne signifiait d’aucune manière « liberté de faire tout et n’importe quoi ».

 Lui faire admettre qu’il est le propriétaire de son pays et non plus un simple locataire, comme il l’a été depuis des lustres, bien avant même son indépendance, en 1956. Lui faire voir que principalement dans cette période transitoire, il lui faut de la retenue, de la responsabilité et du civisme, des mots qu’hélas il n’a jamais « fréquenté ». Ou si peu.

 Qu’on le veuille ou non, malgré l’éducation et la maturité d’une très large frange de sa population, le tunisien pourtant l’un des plus évolués, sinon le plus évolué, du monde arabe, n’a pour l’instant très peu, voire aucune culture politique et à fortiori la notion de citoyenneté. Le vote électoral lui a toujours été inconnu, notamment lors des élections présidentielles ou législatives dont il s’est toujours détourné, en contradiction avec les taux anormalement hauts de participation, car frauduleux, que publiait le pouvoir. Dans ses écoles ou même ses universités, dans son théâtre, son cinéma (deux activités embryonnaires) et surtout sa télévision peu ou pas de place pour un quelconque éveil citoyen. Généreux, accueillant, ce tunisien n’a peut-être pas encore le sens des règles encadrant la communauté.

 Après y être né, y avoir vécu ma jeunesse, puis y être retourné une fois arrivé dans l’antichambre de la vieillesse, je suis obligé de constater qu’en Tunisie comme partout dans le monde arabo-musulman que j’ai sillonné, fleurissait une belle ignorance des principaux fondements de la démocratie, irriguée bien souvent hélas par une mauvaise lecture de l’Islam.

 Débarrassée de son couard de dictateur (1) et sa clique, la Tunisie, promontoire de l’Afrique qui partage la Méditerranée en deux bassins, habituée de par son histoire aux mutations, prendra malgré tout sans trop d’encombres les différents chemins d’une démocratie qui lui sera propre. Sans l’aide de quiconque.

 Car la plus petite peut-être des nations arabes est la plus riche en cerveaux. Elle peut compter en outre sur la maturité de ses exilés, diaspora d’au moins un million d’individus éparpillés en France, surtout, mais également en Belgique, Italie, Allemagne et Canada.

 

(1) Ben Ali, par nature, ne brillait pas par le courage et avait de ce fait la hantise de l’attentat contre sa personne.

 Ainsi, si l’on en croit un gradé de la sécurité les « bains de foule » étaient soigneusement mis au point. Primo les gens était triés sur le volet et il n’était pas rare de la transporter, encadrés par des membres de la garde présidentielle, à bord de cars sur les lieux où devait se « produire » le président. En outre il était convenu que le « peuple destiné à crier sa joie » jamais très fourni, se déplaçait en fonction de la marche du « raïs » afin d’être toujours sous le feu des caméras. 

  Le Président dans cet exercice était toujours encadré de deux gardes du corps dont l’un était toujours muni d’une mallette qui une fois ouverte, dans le cas d’une agression, lâchait des fumigènes rendant invisible le chef d’Etat. Si par malheur ce dernier était blessé, il était aussitôt embarqué dans une ambulance personnelle et très bien équipée qui le suivait dans tous ses déplacements. 




Réagir