Les primaires sont-elles réellement un plus pour la démocratie ?
En France, « primaires ouvertes » ou « primaires fermées » se sont imposées depuis 1995 comme nouvel usage pour la désignation d’un(e) candidat(e) à l’élection présidentielle. Malgré les toilettages successifs de la Constitution, cette disposition n’y figure pas et tous les candidat(e)s président(e)s n’y ont pas recours. Mais est-ce réellement un plus pour la démocratie ?
Quand des Européens et les Français tentent d’imiter les Américains
Alors que les primaires ont plus d'un siècle d'existence aux Etats-Unis et sont devenues incontournables dans le paysage politique américain, le système des primaires a commencé à s'imposer progressivement en Europe avec la Grèce, le Royaume-Uni, l’Espagne, l’Italie, le Portugal et la France. Celles-ci peuvent apparaître comme une solution possible à la crise que traversent les grands partis en permettant de renouveler les formes de participation et en suscitant un nouvel intérêt pour les citoyens. On les dit, « Ouvertes » quand il s’agit d’une concurrence entre candidat(e)s d’un ou de plusieurs partis politiques et que sous certaines conditions, chaque citoyen(ne) peut y participer. Elles sont « fermées » quand la concurrence se fait entre candidat(e)s à l’intérieur d’un parti où seuls les adhérents peuvent s’exprimer.
Les primaires européennes s'adaptent aux régimes politiques de chaque pays, mais ont peu de choses en commun avec leurs homologues américaines. En France, le recours aux primaires se fait avant tout dans le cadre de l’élection présidentielle. Elles créent ainsi partiellement une sorte d’élection à trois tours.
Les primaires ne sont pas prévues par la Constitution et ce n’est que depuis 1995 que fut introduit ce nouvel usage pour désigner un(e) candidat(e) présidentiel(le)
Malgré tous les toilettages successifs de la Constitution, les primaires pour sélectionner un(e) candidat(e) à la fonction présidentielle n’ y ont pas été inscrites.
En 1993, Édouard Balladur, nouveau Premier ministre, avait envisagé avec son ministre de l’Intérieur Charles Pasqua, à l’instar des États-Unis, qu’une primaire pour les élections présidentielles soit organisée par les pouvoirs publics. L’État prendrait en charge cette opération, prévue le même jour, pour tous les partis qui le souhaitent. Pour diverses raisons, à peu près l’ensemble des partis politiques s’y sont déclarés opposé. Au RPR, notamment, Jacques Chirac craignait que le premier ministre, très populaire dans les sondages, y trouve une opportunité pour le marginaliser. L’idée est abandonnée.
Avant 1993, des primaires avaient été évoquées au PS
Déjà, Fin 1980, au PS, Michel Rocard qui, selon les sondages, semblait mieux positionné que François Mitterrand pour l’emporter avait osé annoncer sa candidature mais en précisant qu’il se retirerait si François Mitterrand faisait valoir la sienne, ce qu’il fit.
Lors de l’élection présidentielle 1981, une forme particulière de primaires eut lieu chez les écologistes où Brice Lalonde l’emporta contre le professeur Philippe Lebreton. En 1988 après la création des « Verts » une primaire « fermée » fut mise en place. A l’issue de cette sélection, c’est Antoine Waechter qui l’emporta devant Yves Cochet et le Dr. Jean Brière. La primaire est désormais la règle chez les Verts (EELV) à chaque élection présidentielle.
La première vrai primaire en France aura lieu en 1995. Il s’agit d’une primaire « fermée » au sein du PS où Lionel Jospin l’emporta contre Henri Emmanuelli. Cette élection ne concernait que les adhérents du PS à jour de cotisation. En 2006, la primaire du PS était semi-ouverte (limitée aux adhérents mais avec possibilité d’adhérer pour l’occasion).
Les premières primaires « ouvertes » ont eu lieu en 2011
Ce n’est qu’en 2011, pour l’élection présidentielle de 2012 que la primaire organisée par EELV et le PS était « ouverte » à tous les électeurs qui le souhaitaient, sous réserve de signer une charte et d’acquitter 2 euros pour le PS et 10 euros pour EELV. En 2017, LR entra dans la danse avec le résultat final que l’on sait, à cause de « l’affaire Fillon »…
Pour 2022 : EELV a choisi la formule d’une primaire « ouverte » avec des candidatures extérieures ( Delphine Batho de GE, Jean Marc Governatori de l’AEI). Pour le PS c’est finalement le choix d’une primaire « fermée » qui s’est imposée. LR a également opté pour une primaire « fermée » où seuls les adhérent(e)s pourront voter. Le PC avec Fabien Roussel, la FI avec Jean-luc Mélenchon, le RN avec Marine Le Pen qui seront candidat(e) ne sont pas passés par des primaires. Arnaud Montebourg et Eric Zemmour ( pas déclaré officiellement) Antoine Waechter MEI et Nathalie Artaud de LO, sont candidat(e)s, sans passer également par des primaires.
Qu’il s’agisse d’une primaire « ouverte » ou « fermée », le ou la candidat(e) retenu(e) est celle ou celui qui a su tisser le plus de liens au sein du parti politique dominant
Avec l’introduction des primaires, comme nouvel usage pour » sélectionner » une candidature à l’élection Présidentielle, quelle que soit la formule choisie, « ouverte » ou « fermée », à gauche ou à droite, celui ou celle qui aura en final les « préférences » de l’électorat concerné, sera généralement celle ou celui qui a obtenu le plus de soutien au sein du parti, grâce, notamment à certains lobbys et les médias les plus influents. De même, avec le parti dominant, lorsque plusieurs formations politique y sont associées.
Lors des premières consultations par des « primaires ouvertes » qui furent organisées par Europe Ecologie Les Verts (EELV), ainsi que par le Parti Socialiste en 2011 pour les élections Présidentielles de 2012, la victoire d’Eva JOLY avec les Verts dominants au sein de EELV contre Nicolas HULOT, ou celle de François HOLLANDE qui fut numéro un du PS contre Martine AUBRY avec les Socialistes, confirment cette réalité. Nul doute que le même scénario se reproduira si l’on ne change pas les règles, ce qui s’avérera difficile, sinon impossible. Le problème c’est le risque accru de confier les clés d’un pouvoir politique « puissant », que confère la Constitution de la Ve République, à une personne sans envergure et dont les convictions politiques se résumeraient à un opportunisme de circonstance. Ou pire, avec les difficultés que rencontre le pays l’arrivée d’un populiste auquel l’électorat peut s’identifier par son discours y compris avec des aspects ségrégatifs.
Primaires ou pas, avec ou sans parti, depuis plusieurs élections présidentielles il y a une personnalité qui émerge
En 2007, c’est François Bayrou qui obtient 6 820 119 voix ( 18, 57%) et se classe troisième. En 2012 c’est au tour de Marine Le Pen de créer la surprise avec 18,5 %, elle est troisième. En 2017 c’est Emmanuel Macron, profitant des problèmes de la droite avec Fillon qui créait la surprise en obtenant la première place avec 24,01 des suffrages au premier tour et gagnera largement au second tour face à marine Le Pen. Pour 2022 la surprise semble être créée par le populiste situé très à droite Eric Zemmour qui tourne autour des 17 % d’intention de vote, voire parfois plus...
Les primaires apparaîssent comme un outil de mobilisation électorale et civique et permettent de mieux distinguer les différences entre candidat(e)s
Si les primaires semblent un progrès pour contribuer à des prises de conscience politique, 7 millions de citoyens se sont exprimés dans les urnes des diverses primaires en 2016, soit 15 % du corps électoral français, elles mettent en évidence la faiblesse des partis politique au sein desquels il a un réel déficit de leaders naturels. Les débats télévisés ont connu de fortes audiences, sur des programmes très techniques. Dommage toutefois que d’une primaire à l’autre, comme d’une présidentielle à l’autre, des grands enjeux de notre temps notre temps ne soient pas débattus : Démographie, révolution numérique avec ses avantages et ses inconvénients, mais surtout, à terme, ses impacts culturels, économiques, sociétaux et environnementaux.
Les primaires permettent aussi de mieux saisir les différences entre les candidats au sein de chaque camp et encore plus entre gauche et droite. C’est donc un outil de mobilisation électorale, pour choisir l’élu présidentiel. Les primaires compensent souvent le déficit de discussion d’idées au sein des partis politiques qui sont réduits à un rôle « d’écurie présidentielle ». Cela permet aussi à ces partis de retrouver retrouve sous une forme médiatisée large, ce qui n’est pas le cas dans les réunions militantes.
Les primaires comportent toutefois des limites et leurs pratiques n’ont pas que des avantages
Il est souvent difficile de « réussir » l’exercice. Il faut convaincre un nombre important de personnes de s’y exprimer mais il faut aussi essayer de donner l’image d’une famille politique disciplinée, fière de son identité, défendant des propositions voisines, les candidats ne se distinguant que sur des aspects limités. De ce point de vue, les fortes tensions actuelles, encore plus à gauche qu’à droite, ont laissé voir des partis de gouvernement très divisés et même conduire à l’implosion, ce qui est le cas du Parti Socialiste.
Les campagnes pré-électorales se situent plus sur une année que sur six mois. Pendant ce temps, on ne peut plus vraiment poursuivre des réformes, cependant indispensables. Les primaires contribuent également à la personnalisation médiatisée de la vie politique et accroissent les inégalités de médiatisation entre candidats dont on parlera beaucoup dans les médias pour celles et ceux qui auront réussi à les séduire et obtenu des soutiens de lobbies...
Le ou la candidat(e) qui gagne la primaire ne bénéficiera pas forcément du soutien des battu(e)s
Comment peut-on imaginer, au-delà des discours de façade, par exemple qu’au sein de EELV, la très à gauche militante féministe Sandrine Rousseau se range fidèlement avec son électorat derrière Yannick Jadot, quand on sait qu’elle n’a cessé d’exprimer de la sympathie à l’égard de Jean-Luc Mélenchon.
Au PS c’est plus clair et sans discours de façade, après la victoire d’Anne Hidalgo, son désormais ex-adversaire à la primaire interne du PS, Stéphane Le Foll ne la soutiendra pas. Candidat malheureux à l'investiture après la victoire de la première édile de la capitale, qui avait obtenu 72% des suffrages, le maire du Mans (Sarthe) a annoncé vendredi 15 octobre 2021 qu'il ne rejoindrai[ pas Anne Hidalgo. L’ancien ministre de l’agriculture a d’ailleurs déclaré au micro de France Bleu Maine « J'ai dit les choses très claires sur les divergences que j'avais. Maintenant, les militants ont choisi. D'ici la fin de l'année, je n'ai pas à interférer dans cette campagne et je n'ai pas à y participer »
Les primaires permettent davantage de régler les problèmes internes des partis politiques que d’en démocratiser le choix d’un(e) candidat(e) à la présidentielle
Au fond, les primaires constituent bien davantage un moyen de régler les problèmes des partis que d’en démocratiser la sélection. Il s’agit plus d’une affaire d’élites au sein des partis politiques que d’une affaire démocratique.
Par ailleurs, un candidat investi lors d’une primaire se retrouve in fine battu à l'élection présidentielle, les partis vont commencer à réfléchir à deux fois. Et ce n’est pas parce qu’un(e) candidat(e) remporte l’élection présidentielle que cela signifie pas que ce succès est un phénomène durable et structurel. La désignation de François Hollande en 2011, qui a ensuite remporté l’élection présidentielle en est un exemple…
Pour conclure
A l’évidence, au-delà des effets d’annonce et d’un semblant de démocratie, les primaires servent plus à masquer la faiblesse des partis, lesquels n’ont plus assez militants et ne sont plus suffisamment ancrés dans la société. Par l’organisation des primaires, ils veulent ainsi conserver leur monopole sur le jeu politique. Les primaires pour les partis politiques qui y ont recours sont plus une stratégie de survie de et relégitimation, notamment, grâce à la médiatisation, que de référence démocratique.