lundi 22 octobre 2018 - par Franck ABED

Les secrets du Graal par Edina Bozoky

FRANCK ABED {PNG} Le Graal a toujours fait couler beaucoup d’encre. Ce plat, ou cette coupe, apparaît pour la première fois dans Percevalde Chrétien de Troyes au XIIème siècle. Il est alors porté en procession avec une lance qui saigne, devant le jeune Perceval au château du Roi Pêcheur. Le sens de cette scène et la fonction des objets restent énigmatiques. Tout ceci a donné lieu à de multiples interprétations, plausibles, farfelues mais également, et pour cause, contradictoires entre elles.

Commençons par le début et définissons le Graal. L’auteur, dès les premières lignes, explique que «  dans l’usage d’aujourd’hui, le Graal signifie un objet convoité, un prix, l’accomplissement ultime des efforts. Au Moyen Age, il désignait d’abord un plat de matière précieuse, rapidement identifié avec le plat de la Cène, dans lequel Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ crucifié ». Bozoky énonce le fait suivant : « dès la fin du XIIème siècle une littérature abondante se forme autour du Graal et de la lance qui saigne qui lui est étroitement associée. La production des romans du Graal est particulièrement florissante au cours du premier tiers du XIIIème siècle, mais se prolonge bien au-delà ». La légende arthurienne et les aventures des chevaliers de la Table ronde participent pleinement à la diffusion des écrits de type graalien.

Rapidement le Graal est vu, à tort ou à raison, comme une relique. Nombreux sont ceux qui veulent le découvrir et le posséder. Cependant l’auteur rappelle « que les chevaliers d’Arthur qui se lancent dans les aventures graaliennes ne cherchent point à acquérir ou posséder le Graal et la lance qui saigne, mais à connaître et comprendre leurs secrets, leur vérité, leur fonction, leur sens ». Tout le monde ne peut acquérir la connaissance ultime et les attributs qui lui sont attachés. Effectivement, «  ces secrets ne peuvent être dévoilés qu’au meilleur chevalier au prix d’une quête, constituée d’épreuves et de tests variés  ». 

Dès le départ, le Graal et la Lance sont christianisés : « à la fin du XIIème siècle, le Graal est identifié avec un récipient légendaire dans lequel Joseph d’Arimathie aurait recueilli le sang du Christ, et la lance, avec celle de Longin qui a transpercé le côté du Christ crucifié  ». Même en étant liés avec le christianisme, ces deux objets possèdent des propriétés et « des aspects ambigus voire magiques ». L’auteur précise donc à ce sujet : « le Graal produit de la nourriture et se déplace parfois sans être porté ; la lance est tour à tour un instrument de guérison et une arme menaçante et vengeresse ». Bozoky prend le soin de souligner « qu’au fur et à mesure du développement de la littérature du Graal, sa dimension spirituelle s’accentue ; dans le roman de la Quête du Graal, le héros principal, Galaad, qui achève les aventures graaliennes, est assimilé au Messie ».

Il est important de déterminer le contexte qui a grandement contribué à l’émergence des livres graaliens. En 1191, il y a « la découverte de la tombe d’Arthur et de Guenièvre dans l’abbaye de Glastonbury - peut-être sur l’instigation du roi Henri II - qui donne une preuve (pseudo-)historique à la légende arthurienne déjà connue  ». Un autre événement se déroulant à la même époque enrichit la mystique graalienne : « Saladin, gouverneur d’Egypte et de Syrie écrase les troupes franques à Hattin en 1187. Désormais la situation des principautés latines en Orient devient critique. La préoccupation des Occidentaux de reconquérir Jérusalem se reflète aussi dans la littérature, en particulier dans les romans du Graal du XIIIème siècle, dans lesquels certains épisodes ont lieu sur une Terre Sainte Imaginaire  ». La quête du Graal est-elle un outil de propagande ? Certains souscrivent à cette idée…

Comme chacun sait, les Temps Féodaux sont fortement imprégnés par le christianisme. De fait, ne soyons pas surpris que « la religiosité de cette période soit marquée aussi par l’essor des dévotions autour de la passion du Christ et de l’Eucharistie dont on trouve la transposition littéraire dans les romans du Graal ». Nous lisons avec intérêt que « la production la plus originale et la plus abondante vient de l’air culturelle française. Mais le thème du Graal inspire tôt le poète allemand Wolfram d’Eschenbach qui adapte et en même temps transforme le Perceval de Chrétien de Troyes sous le titre de Parzival au début du XIIIème siècle. C’est ce roman qui inspirera l’opéra de Wagner (Parsifal, 1882)  ». La légende et la quête du Graal traversent les frontières et les Européens y sont plus que sensibles.

Concrètement, le Moyen Age est par excellence « la période de la rédaction des romans de Graal. Elle correspond à la constitution et à l’épanouissement de la chevalerie comme corps social ainsi qu’à l’élaboration d’une idéologie chevaleresque ». De plus, nous devons égaler insister sur un point : « à l’époque de la rédaction des romans du Graal, le culte des reliques de la Passion connaît une grande effervescence, notamment au moment de la Première Croisade ».

Edina Bozoky est maître de conférences en histoire médiévale à l’Université de Poitiers. Elle s’intéresse en particulier aux légendes et croyances du Moyen Age. Avec cette synthèse originale, elle nous initie aux romans français médiévaux du Graal, étudie les personnages, les aventures et les objets merveilleux. Elle analyse également le contexte social et religieux de l’époque. Elle propose une réflexion des principales théories autour du Graal, destinée tout autant au grand public qu’aux spécialistes de la question. Ce livre permet de bien déflorer le sujet et de saisir que le Graal se montre en réalité… insaisissable pour la plupart d’entre nous.

Nous concluons notre chronique par une citation, tirée de Parsifal, qui résume à elle seule la quête et le sens profond du Graal : « Dire le Graal est vain, Vers lui ne s'ouvre aucun sentier, Et nul ne peut trouver la route, Qu’il n’ait lui-même dirigé son chemin  »… 

Franck Abed



7 réactions


  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 22 octobre 2018 11:03

    Nous n’avons aucune preuve historique de l’existence de « Jésus ». Alors, celle du « graal »...

  • Decouz 22 octobre 2018 11:33
    Il y a des preuves externes (juives rabbiniques et Flavius Josèphe pour l’existence historique de Jésus, romaines pour l’existence des chrétiens).
    Le Graal c’est un peu différent car c’est un objet légendaire et transhistorique qui déborde du champ strictement chrétien, peu importerait, à la limite, qu’il fut tangible ou imaginé par des écrivains,
    Je veux dire du point de vue de cette étude universitaire et aussi du point de vue de celui qui écoute Wagner, c’est le sens ou l’émotion esthétique qui importe.

  • Étirév 22 octobre 2018 12:45

    La Chevalerie, qui emprunte son rituel aux anciens Mystères, est une forme nouvelle de l’ancienne religion. Son origine est obscure.
    Quelques auteurs la font dériver d’un Ordre équestre de Rome. Déjà les équités (les chevaliers) formaient l’élite de la société gauloise (d’où équité).
    D’autres la font remonter à des tribus qui, sous le nom de Normands, ont envahi au IXe siècle l’Europe méridionale. Pinkerton, Mallet et Percy attribuent l’origine de la Chevalerie aux Scandinaves.
    Cette institution possédait un cérémonial très compliqué et très symbolique. Comme les anciennes sociétés secrètes, elle avait trois degrés :
    1°) Le Page (qui correspond à l’Apprenti Maçon) ;
    2°) L’Écuyer (qui correspond au Compagnon) ;
    3°) Le Chevalier (qui est le Maître).
    En 516, on fonda un Ordre nouveau, celui de la Table Ronde (Royale-Hache, 22ème degré, dans la hiérarchie moderne). Voici ce qu’on raconte :
    Le roi Arthus avait installé une table ronde pour tous les chevaliers, pour éviter le haut bout et le bas bout. Tous les chevaliers étaient égaux, ils avaient des qualités reconnues et portaient des armures que l’imagination populaire appela enchantées, parce que leur position élevée leur donnait un prestige surhumain. C’est ainsi que l’on disait que leurs lames aiguës étaient protégées par des fées ; les fées sont quelquefois appelées des nains.
    Les chevaliers étaient toujours aimés par une Dame, dont l’amour était un talisman. Aussi la chronique disait-elle qu’ils revenaient toujours victorieux.
    Ces récits font le sujet des légendes bretonnes. On y trouve des épopées courtoises se déroulant dans une société civilisée.
    Les chevaliers sont mondains, galants, dévoués aux idées de la Dame. C’est ce qui s’est perpétué dans le genre troubadour.
    Ils portent les couleurs de leur Dame. La galanterie de cette époque semble quelquefois exagérée dans les actions héroïques.
    La devise d’Arthus est : « Je maintiendrai  », d’où maintenant (celui qui maintient). Il maintient l’ancienne doctrine, la science antique, et nous allons voir jusqu’où va son audace.
    [...]
    Dans la légende de la Table Ronde, il y a un Chevalier noir.
    C’est le traître qui refuse de reconnaître la Déesse comme sa souveraine ; c’est le perfide, l’ennemi du Bon Principe ; c’est Satan. Il prend la première place, et c’est ainsi que le valet devient le roi.
    Personne ne peut rien contre lui. Quiconque l’a affronté sait qu’une puissance infernale le protège. Un ange seul pourrait lui arracher le terrible artifice qui le rend invulnérable aux coups les plus rudes. C’est le Principe du mal, la ruse et le mensonge.
    Le Chevalier noir vole la coupe d’or, la prend au milieu de la table avant que nul n’ait pu l’en empêcher, et dit : « Si quelqu’un ose me disputer cette coupe, qu’il me suive dans la clairière, je l’y attends.  »
    C’est la force qui s’affirme contre le droit.
    Les chevaliers stupéfaits de cette profanation disent : « Qui vengera l’opprobre qui pèse sur nous ?  »
    Viviane subit le sortilège du maudit. Elle est métamorphosée en source (c’est-à-dire cachée) ; elle est condamnée à pleurer dans la forêt, esclave du maléfice qui annihile tous ses charmes.
    Mais un jour viendra où un saint guerrier interrompra le sortilège par la vertu de sa miraculeuse pureté et nous délivrera, en triomphant du Chevalier noir. C’est le Prédestiné, celui qui doit venir en réparation remettre la Déesse sur le trône élevé de la Table Ronde. (Cette légende est celle que reproduit la Belle-au-bois dormant, éveillée par le Prince Charmant.) Dans la légende de la Table Ronde, ce rôle est donné à Parsifal. A moins que, pour nos ennemis, Parsifal ne signifie persifler.
    La Chevalerie, la Table Ronde et le Graal


  • Gollum Gollum 22 octobre 2018 17:14

    Ce livre permet de bien déflorer le sujet et de saisir que le Graal se montre en réalité… insaisissable pour la plupart d’entre nous.


    Parlez pour vous en effet. C’est là la frontière entre exotérisme (en gros ceux qui n’y comprennent rien) et les autres capables de pénétrer les forêts interdites.

    Un mot sur le Graal. Il s’agit de mythologie celtique qui a été christianisée.

    Le Graal n’est autre que le chaudron de Dagda, dieu celtique qui correspond à la classe sacerdotale. C’est un récipient qui assure l’immortalité. Son complémentaire est le dieu Lug, qui correspond à la caste royale. Son attribut est la lance, lance christianisée sous la forme de la lance de Longin.

    Le chaudron est féminin. La lance est masculine. Et est donc attribuée en toute logique à la caste guerrière.

    On en trouve une trace dans le Tarot sous la forme des lames de Coupe (lames qui correspondent à la classe sacerdotale) et lames d’épée (caste royale)

    Bien évidemment il y a un lien avec l’astrologie. La fête du dieu Lug a lieu début août sous le signe du Lion (Lugnasad), signe de la Lumière et de la Royauté. Le chaudron se retrouve dans le signe du Verseau qui est le signe d’en face, signe qui correspond à la fois, au sacerdotal, et à l’immortalité. L’emblème du Verseau est un homme jeune qui porte une cruche (équivalent du chaudron et donc du Graal) et en verse le contenu.

    Bien évidemment on retrouve ces castes sacerdotale et royale dans la saga de Tolkien. Les Elfes correspondent à la caste sacerdotale : ils sont immortels et guérisseurs. Les hommes correspondent à la caste guerrière dont surgira Aragorn le souverain.

    Bien évidemment les deux autres castes existent aussi (producteurs et serviteurs), en astrologie, en Tarot, comme chez Tolkien, mais je ne vais pas vous mâcher toute l’affaire... smiley

    Mon Préciiieeuuxxxxx...

    • Shaw-Shaw #Shawford 22 octobre 2018 17:28
      @Gollum

      L’exotérisme, c’est le lapsus de celui qui s’ignorait être en fait étranger à tout savoir ésotérique !? smiley smiley smiley

  • Mohammed MADJOUR (Dit Arezki MADJOUR) Mohammed MADJOUR 23 octobre 2018 12:30

    Faudrait peut-être refaire les Croisades... 


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