samedi 12 avril - par politzer

« Les tourments » un film chinois tourmentant !

Aperçu de Jeunesse (Les Tourments)

Jeunesse (Les Tourments) (2016), deuxième volet de la trilogie Jeunesse de Wang Bing, documente la vie de jeunes travailleurs migrants dans les ateliers textiles de Zhili, une ville à 150 km de Shanghai dédiée à la confection. Tourné entre 2014 et 2019, le film suit des personnages comme Fu Yun, Xu Wanxiang et Hu Siwen, originaires de provinces rurales, qui cousent des vêtements pour enfants (pantalons Mickey Mouse, anoraks) dans des conditions précaires. Travaillant de 8h à 23h, ils dorment dans des dortoirs insalubres au-dessus des machines, gagnent des salaires à la pièce souvent retardés, et affrontent des patrons exploitants. Le documentaire mêle leurs luttes quotidiennes – négociations sur des centimes, salaires impayés, rêves d’évasion – à des instants de camaraderie, d’amour et de révolte, révélant la dureté de leur existence au cœur de l’essor économique chinois.

Une résonance avec la perspective (cf. les luttes de classes en Chine)

Cette perspective défend un socialisme centré sur l’humanité des migrants, condamne le Hukou comme outil d’exploitation, et appelle à une lutte des classes pour contrer les dérives bourgeoises. Les Tourments illustre ces préoccupations de manière saisissante.

Exploitation et le système du Hukou

Le film met en lumière les travailleurs de Zhili comme des représentants des 250 millions de migrants piégés par le Hukou, qui les prive de droits urbains (santé, éducation, logement) et les confine à un labeur exténuant. Les ateliers, bruyants et mal éclairés, montrent des ouvriers comme Fu Yun cousant 15 heures par jour pour des salaires incertains (parfois 0,7 yuan par pièce, négociés à 0,9). Les dortoirs – exigus, moisis, avec des affaires entassées sous des lits superposés – incarnent l’inhumanité dénoncée par cette vision. Les patrons profitent du Hukou : les migrants, sans alternative, subissent des baisses de tarifs (Xu Wanxiang perd son registre de paie) ou des impayés quand un employeur disparaît. Cette exploitation reflète une trahison des idéaux socialistes, où une classe laborieuse est sacrifiée pour vaincre dans la compétition économique, défiant les simples valeurs humanistes que porte le communisme..

L’absence du Parti

La question « où est le Parti ? » résonne dans cette perspective, qui s’étonne de l’invisibilité du Parti communiste chinois (PCC), censé défendre les ouvriers. Dans Les Tourments, le PCC est inexistant. Aucun cadre n’apparaît dans les ateliers, aucun slogan socialiste ne s’affiche. Quand les ouvriers affrontent leurs patrons – comme dans une scène tendue où ils exigent un tarif équitable – ni soutien ni médiation ne viennent du Parti. La police, parfois évoquée, protège l’ordre, pas les travailleurs. La Fédération nationale des syndicats, sous contrôle du PCC, brille par son absence, laissant les ouvriers seuls face à l’exploitation. Cette déconnexion illustre une dérive : le Parti semble privilégier la croissance économique (les textiles de Zhili alimentent le marché mondial) au détriment de sa base prolétarienne.

Le besoin de syndicats indépendants

La proposition de syndicats « élus par et pour les ouvriers », indépendants du Parti, trouve une justification criante dans le film. Les travailleurs de Zhili résistent – ils bloquent un atelier, négocient âprement leurs salaires, ou évoquent les émeutes de 2011 à Zhili (déclenchées par des impayés, réprimées par la force) – mais leurs efforts restent désorganisés. Une séquence montre un groupe exigeant 0,9 yuan par pièce, mais sans structure, leur colère s’épuise ou se retourne contre eux-mêmes (Fu Yun critique un collègue moins rapide). Des syndicats autonomes auraient uni ces ouvriers, leur permettant de revendiquer des journées de 8 heures au lieu de 15, des salaires stables, ou des dortoirs décents. Contrairement aux syndicats officiels, inféodés au Parti, ces organisations incarneraient la lutte des classes prônée, donnant aux migrants un pouvoir réel face aux patrons.

Humanité plutôt qu’égalité

L’idée de « pas l’égalité, l’humanité » trouve un écho dans le double visage du film. Wang Bing saisit l’humanité des ouvriers : ils partagent des nouilles, rient dans les dortoirs, rêvent d’un avenir meilleur (Hu Siwen, enceinte, imagine un autre destin ; Xu Wanxiang veut épargner malgré les obstacles). Mais le système les déshumanise – cadences infernales, salaires volés, un patron frappant un travailleur (qui a perdu son livret de travail) réclamant son dû. Les réformes proposées (santé, éducation, logement) répondraient à cette humanité bafouée, offrant aux ouvriers de Zhili une vie digne sans viser une égalité absolue, en phase avec le message implicite du film pour une justice élémentaire.

Une critique du glissement socialiste

La perspective soutient que la lutte des classes doit perdurer sous le socialisme pour éviter corruption et privilèges. Les Tourments révèle ce glissement : les ateliers de Zhili fonctionnent comme des enclaves capitalistes, où les patrons, anciens migrants devenus petits bourgeois, exploitent sans frein. Le Hukou, soutenu par l’État, divise la classe ouvrière (migrants ruraux contre résidents urbains), empêchant une résistance unifiée. L’absence du Parti – alors que Xu reste sans salaire ou que Hu vit dans la misère – suggère un socialisme dévoyé, plus préoccupé par le PIB que par la dignité humaine. Des syndicats indépendants relanceraient cette lutte, obligeant le Parti à renouer avec ses racines ou à céder face à la pression ouvrière.

Impact émotionnel et politique

Du point de vue de cette perspective, Les Tourments est un choc, exposant le coût humain de la prospérité chinoise. Les scènes où les ouvriers négocient des centimes, dorment parmi les chutes de tissu, ou fuient un patron défaillant suscitent une indignation contre un système tolérant une telle injustice. Pourtant, les instants de résilience – repas partagés, éclats de défi – nourrissent l’espoir qu’une lutte organisée, via des syndicats autonomes, pourrait restaurer la promesse socialiste. L’absence du Parti est perçue comme une trahison, mais aussi comme un appel : la classe ouvrière, comme à Zhili, doit prendre en main son destin, comme le proposent ces réformes.

Conclusion

Jeunesse (Les Tourments) confirme la critique de l’exploitation des migrants sous le Hukou, montrant des jeunes ouvriers broyés par un système que le Parti ne remet pas en cause. Il met en évidence le besoin urgent de syndicats indépendants, élus par les ouvriers, pour revendiquer des heures réduites, la santé, l’éducation et le logement – des réformes alignées sur une vision d’humanité. La question « où est le Parti ? » exige un socialisme qui retourne à ses origines, porté par la lutte des classes et le pouvoir ouvrier, loin de la complaisance d’une élite.



10 réactions


  • Seth 12 avril 15:02

    https://www.youtube.com/watch?v=iegU1TUYiCw

    Imaginez que ce soient les Russes.  smiley


  • politzer politzer 12 avril 16:11

    bonjour

    J ai vécu en RDA et vu l urss : jamais les travailleurs n ont été traités comme les « Hukou » ni en 1968 ni en 1973. Je suis du côté du PCC mais je le critique du point de vue de la lutte des classes. Je ne connais pas la Russie in vivo , ce n est pas un PC qui la diirige . D après mes infos , ma position politique anti impérialiste me range de son côté cf mon article :« légitime défense ». Merci d avoir pris la peine de lire cette critique de film du point de vue de la lutte des classes .


    • Seth 12 avril 16:45

      @politzer

      Reste à savoir si la notion de classes fait partie de la culture chinoise.

      Il faut se méfier de la transposition d’une vision occidentale qui n’est valable que localement mais qu’on a à cœur de transposer sur le monde entier un peu comme autrefois le sabre et le goupillon « amenait la civilisation » chez les « arriérés » colonisés.

      L’occidentalisation à tout prix finit rarement bien mais c’est une manie dont on ne se défait pas facilement parce qu’elle est toujours perçue comme « humaniste » d’une manière ou d’une autre.

      Peut être suis-je un peu hors-sujet...  smiley


    • sylvain sylvain 12 avril 17:22

      @Seth
      La notion de classe vient avec l’industrie moderne. Elle est arrive en occident et en chine de la même maniere, avec seulement quelques annees d’ecart


    • politzer politzer 12 avril 20:19

      @Seth question de sciences . La théorie de l évolution naturelle est exposée dans « l origine des espèces » la théorie de l’évolution sociale, dans le « Manifeste »
      et dans le Capital voire plus accessible dans « Misère de la philosophie » . Quand on apprend que les Français lisent peu , on se dit qu’il y a du boulot pour les faire accéder à un minimum de culture scientifique ! Comme disait V.HUgo :« ces choses là sont rudes, il faut pour les comprendre, avoir fait des études » !


    • La Bête du Gévaudan 13 avril 19:22

      @Seth

      Reste à savoir si la notion de classes fait partie de la culture chinoise. Il faut se méfier de la transposition d’une vision occidentale qui n’est valable que localement mais qu’on a à cœur de transposer sur le monde entier un peu comme autrefois le sabre et le goupillon « amenait la civilisation » chez les « arriérés » colonisés.

      Faudrait savoir ! ... à la base le marxisme se prétend « scientifique », à savoir que la lutte des classes un de ses concepts centraux, et directement lié à sa conception de la valeur est donc supposé être scientifique et expliquer même l’histoire mondiale...

      Donc, en fait, vous avouez implicitement que le marxisme est et en effet il l’est une faribole. Et comme tout bon gauchiste, vous critiquez ici « l’insupportable dictature de la démocratie bourgeoise » tout en avalisant là-bas les despotismes exotiques les plus invraisemblables.

      En leur temps, bons gauchistes, Diderot et Voltaire conspuaient « l’absolutisme insupportable de Louis XV » tout en allant se vautrer auprès des « despotes éclairés » Catherine de Russie et Frédéric de Prusse... Ca critique « le sabre et le goupillon » tout en acclamant le HAMAS ! Quelle hypocrisie !


  • sylvain sylvain 12 avril 17:23

    Touts les puissances nationales se sont crees sur l’exploitation de l’humain. Plus grande a ete la puissance, plus grande a ete l’exploitation, et la chine est la plus grande puissance industrielle mondiale


  • Eric F Eric F 13 avril 11:25

    L’industrie chinoise est tournée vers l’exportation, il y a certes une catégorie sociale intermédiaire qui décolle, mais la classe laborieuse reste dans une situation proche d’il y a 150 ans chez nous, ils n’en sont pas à la consommation intérieure de masse des produits qu’ils fabriquent (hors basiques). Cela est vrai également dans les pays voisins comme Vietnam ou Cambodge, qui deviennent aussi des pays-usines pour les pays développés.
    Le PCC est en fait devenu un parti nationaliste dirigiste.

    Le « rééquilibrage » des échanges internationaux passe nécessairement par la réorientation des pays émergents ou plutôt ’’émergés’’ vers la consommation intérieure, en parallèle à une certaine relocalisation dans nos pays désindustrialisés.


    • Seth 13 avril 16:06

      @Eric F

      Qu’est ce que c’est une « catégorie sociale qui décolle » et plus simplement qu’est ce que c’est qu’une « catégorie sociale » ?


  • La Bête du Gévaudan 13 avril 19:33

    Le socialo-communisme est inévitablement une dictature exploiteuse... D’ailleurs, où qu’il ait été mis en oeuvre, il a débouché sur le même spectacle déplorable et sanguinaire. 

    D’une part, il repose sur une doctrine économique erronée. Ce qui entraîne des conceptions et des préceptes erronés. 

    En outre, l’asservissement de la propriété au pouvoir, qui est au fond de la doctrine socialo-communiste, conduit nécessairement à l’esclavage, à la dictature et à l’exploitation. Ce n’est pas possible autrement, puisque vous soumettez le fruit du travail de chacun à l’assentiment distributif du pouvoir politique. 

    Par ailleurs, les sociétés humaines complexes et la division du travail renforcent cette dynamique, et exigent inéluctablement la constitution d’une classe dirigeante et encadrante exploiteuse.


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