vendredi 23 février 2018 - par Alain Roumestand

Les tweets liberticides

Sam Steiner :"Citrons Citrons Citrons Citrons Citrons"

Sam Steiner {JPEG} Les tweets de Donald Trump inondent les médias américains. Les politiques réagissent à l'actualité ou la provoquent par leurs tweets. La famille Hallyday se déchire par tweets interposés sur l'héritage de l'artiste et les amis s'en mêlent.

La messagerie par tweets bat des records d'influence. Tweets amoureux, tweets de journalistes, tweets de cadres, tweets racistes...Les populations équipées de smartphones ont pris l'habitude de formuler en 140 caractères puis depuis peu en 280 caractères.

Un top 20 sélectionne les meilleurs tweets de la semaine. Tweet anglais, tuit espagnol, tsuito japonais, pour ne citer que quelques-uns, ont envahi depuis 2006, avec la création de l'entreprise Twitter, l'espace public, la vie quotidienne de l'humanité connectée. On est très loin du "gazouillis" initial de la signification du mot anglais.

Notre monde en 2018 implique le buzz des mots ; les petites phrases doivent occuper les esprits ; le commentaire est permis à tous, sur tous les sujets.

 

Et si on imaginait le vote d'une loi du silence par un parlement improbable (?) imposant une limite quotidienne, à l'instar de Twitter, de 140 mots à utiliser par personne et par jour, les mots étant comptés, pour corseter les esprits sans doute.

C'est le thème de la pièce "Citrons Citrons Citrons Citrons Citrons" de Sam steiner, jouée au "Funambule" de Montmartre par deux comédiens de talent Camille de Preissac et Sébastien Corona qui l'a traduite et mise en scène.

Bernadette jeune avocate qui accepte le droit, Olivier jeune musicien qui aime s'opposer, se rencontrent dans un cimetière pour chats. En couple d'amoureux transis, terriblement prompts à s'embrasser, ils vont être amenés à intégrer la nouvelle loi dans leur vie quotidienne, en essayant par tous les moyens de communiquer l'essentiel, en tentant de s'exprimer autrement.

Peut-on dire "t'aime" à la place de "je t'aime" ? Peut-on accepter sans sourciller d'être contraint à limiter sa parole ? Peut-on passer de la liberté d'expression à un comptage des mots prononcés ? Que faire quand la pensée de chacun se rabougrit ? Que faire face à la frustration ?

Il ne peut qu'y avoir de la révolte contre l'arbitraire même si l'obligation d'en dire peu accélère la créativité des êtres. On respire librement dans un premier temps, avant la loi et on risque de suffoquer avec la nouvelle règle dans un second temps.

La censure ne peut être acceptée mais la règle insidieusement s'insinue et risque peu à peu de devenir naturelle, sans qu'il y ait colère ou ressentiment. Plus généralement c'est la règle en toute société qui est en jeu, que l'on doit pouvoir discuter, aménager, refuser si nécessaire à la vie. Car limiter le nombre de mots c'est nier l'humain pourvu du langage.

 

L'auteur Sam Steiner dramaturge anglais est très jeune. Fondateur d'une compagnie théâtrale il est accueilli actuellement par la National Film and Television School. Sa pièce a été jouée depuis 2015 dans plusieurs théâtres anglais, écossais, au Festival d'Avignon, à Paris...

Et cette histoire d'amour qui s'ouvre à la question essentielle de la liberté d'expression, ne manque pas d'interpeller jeunes et moins jeunes. Dans une pièce que la presse d'outre-Manche ou hexagonale a qualifié de "tonique, acide, fluide, intense".

Le "Funambule" petit théâtre de quartier a longtemps été un bar-restaurant au coeur de Montmartre. Il a été repris par un jeune couple d'artistes qui l'a transformé en une salle agréable de 120 spectateurs. Il accueille pour "Citrons Citrons..." la "Compagnie des pieds nus assis par terre" et Sébastien Corona qui s'est formé en Australie, qui s'est déjà "frotté" à Maxime Gorki, Jean-Claude Grumberg, Oscar Wilde et à la série télévisée "Versailles". Sa traduction intelligente de la pièce a ravi Steiner, car il conserve le ton enjoué, le style aérien de l'original.

Camille de Preissac en toute complicité lui donne la réplique, formée au Lucernaire, au Conservatoire d'Art dramatique de Paris, formée au burlesque, ayant mis en scène "Angela et Marina" de Nancy Huston, ayant joué Julio Cortazar à Avignon, à la fois comédienne, violoniste, professeure, réalisatrice de court-métrage.

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5 réactions


  • JBL1960 JBL1960 23 février 2018 18:50

    Il y a un moyen simple de ne pas faire gazouiller l’oiseau bleu...
    Comme de ne pas Fesse Bouquer...

    On ne peut que constater actuellement, il est vrai, combien cet oiseau bleu à une mémoire sélective, rattrapant, judicieusement, une apprentie chanteuse pour des gazouillis complotiste. Tandis que Jean-Pierre Raffarin, lui, tweet directement à Dieu « Délivre-nous du mal » le 15 juillet 2016. Pourtant on pourrait lui remettre sous le nez, qu’il a fort gros...
    Mais non ! Lui il a le droit !


  • Le421... Refuznik !! Le421 23 février 2018 20:03

    Quel plaisir d’avoir un certain âge et de ne rester qu’utilisateur et non pas dépendant de tous ces moyens de communication...


  • izarn izarn 24 février 2018 13:23

    Facebook c’est le mur public du net.
    Tweeter c’est le mur public des téléphones.
    C’est pas plus compliqué que ça.
    Alors il y en a qui font pipi dedans et d’autres qui font de beaux dessins.
    Comme c’est un vecteur de com, tous les politicards s’en servent...
    Comme jadis, les affichages de trombines sur les murs...
    Asselineau ne devrait pas imprimer des affiches, mais tweeter !
     smiley


  • eddofr eddofr 26 février 2018 17:07

    Moi, ce qui me sidère ... 


    C’est quand la télévison (non y’a pas de faute) nous raconte que tel ou tel truc est un scandale planétaire .... 

    Parce que 5 000 crétins ont relayé un tweet ...

    7 milliards d’humains ... 
    5000 tweets ... 
    0,00007%

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