lundi 14 novembre 2022 - par Desmaretz Gérard

Lille : un mort dans l’effondrement d’un immeuble

Samedi 12 novembre 2022, un étudiant rentrant chez lui à 3 heures du matin a son attention attirée par une déformation importante du mur porteur dans l'entrée de l'immeuble situé au 42 rue Pierre Mauroy (ancienne rue de Paris), déformation qui était absente lors de sa sortie vers 20 heures. Présentant un danger, il consulte ses deux colocataires et décident d'un commun accord d'alerter les sapeurs-pompiers. Les occupants sont évacués à 5 heures ; l'immeuble s'effondre à 9H15 entraînant dans sa chute l'immeuble mitoyen (immeubles en rangée). Le corps d'un médecin sera retrouvé le lendemain par les sapeurs-pompiers dans les décombres de l'immeuble voisin non évacué...

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Un détail au niveau de la façade du rez-de-chaussée attire l'attention, le non alignement des murs porteurs verticaux. Si l'on observe les immeubles alentours, les fenêtres (ouvrants) en façade sont alignées les unes au-dessus des autres, leur partie supérieure surmontée d'un linteau (élément horizontal porteur), ouvrants encadrés de part et d'autre par les murs porteurs verticaux ou « gros murs ». Ces derniers doivent supporter la masse des murs (masse volumique de la brique, environ 2 000kg/m3) - les planchers des étages supérieurs - les charges d'exploitation - le poids de la toiture - les charges climatiques.

 

Au 42 et 44 de la rue, les deux locaux commerciaux disposaient de larges vitrines d'où un report de charge important du linteau sur les jambages (pieds droits). Les contraintes sont énormes. La partie portante inférieure contribue : à la stabilité de l'immeuble - s'oppose aux infiltrations - limite les déformations - protège le bâtiment contre les sollicitations exceptionnelles (choc, explosion, secousses telluriques, vents violents). Les deux immeubles construits vers la fin XVII° du siècle, sur quatre niveaux, partageaient-ils le même mur porteur, ou l'éffondrement du mur a-t-il cisaillé l'autre à sa base ?

 

Le foncier de la vieille ville de Lille présente différentes particularités : terrains meubles gagnés sur d'anciens marécages - immeubles construits en briques ou pierres pour lutter contre les incendies - construction en profondeur (surface au sol de 374 m2) - hauteur en fonction de la largeur de la rue (épannelage) - appartements offrant de belles surfaces - dispositif fiscal avantageux (loi Malraux). « Des propriétaires privés rachètent l'ensemble de l'immeuble, occupent le rendez-de-chaussé pour faire des commerces et délaissent parfois l'entretien des étages supérieurs ou alors les mettent en location sans les mettre complétement aux normes. C'est une véritable problématique, endémique. (...) La vacance, c'est la problématique des quartiers centraux des métropoles européennes. (...) La grande difficulté, c'est d'agir auprès des propriétaires privés de ces immeubles. Car si la mise en péril n'est pas avérée, la puissance publique est en difficulté d'agir de façon rapide. Ce qui n'est pas simple » (Marc Dumont, directeur adjoint de l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de Lille).

 

Modifier un élément structurel n'est jamais sans risques : « Il y a modification de structure dès que l'on " touche " aux éléments porteurs ». Un immeuble n'est pas simplement un assemblage de matériaux de construction composés d'éléments indépendants les uns des autres. Modifier un de ces éléments c'est parfois s'attaquer, sans le savoir, à toute la structure du bâtiment. Rien de plus facile à première vue que de changer de place la cuisine, la salle de bain, un WC, abattre une cloison pour augmenter la surface d'un magasin ou disposer d'un open space, percer une ouverture dans le plancher pour relier deux appartements (duplex) ou permettre le passage d'un ascenseur personnel, etc. Un bâtiment évolue dans le temps parfois jusqu'à atteindre une ligne de moindre résistance et une cloison devenir « porteuse » ! Autre scénario, le propriétaire qui confond un mur de refend avec une cloison ! Un mur de refend solidarise les façades aux murs intérieurs et participe à la stabilité horizontale (planchers) et verticale (murs porteurs) de la structure. Lorsqu'un mur porteur s'affaisse, cela entraîne la désolidarisation des éléments porteurs horizontaux (planchers/plafonds) et les étages de s'affaisser les uns sur les autres.

 

Dans les grandes villes, la demande est forte pour les locations et des propriétaires bailleurs soucieux de rentabiliser au maximum leur bien immobilier (Rue Pierre Mauroy le prix au mètre carré varie entre 4.511 et 5.987 euros) entreprennent des modifications sans consulter un architecte, le syndic d'immeuble ni le Conseil syndical avec tous les aléas que cela comporte. Des travaux sans accord de Assemblée générale et/ou en contradiction avec les textes de loi semblent s'amplifier à chaque changement de propriétaire. Des acquéreurs oublient que si l'appartement est composé d'éléments indépendants : plomberie, électricité, maçonnerie, etc. Modifier un de ces éléments est parfois contraire à la législation : division de l'espace, ajouts de toilettes, saignées dans le sol (partie commune) pour y faire passer canalisations, réseau électrique, douche à l'italienne, WC broyeur raccordé à une canalisation des eaux usées : baignoire, lavabo, évier (tout WC se doit d'être raccordé sur les « eaux vannes » exclusivement), « tranchées » dans les sols pour accueillir de nouvelles cloisons, liste non exhaustive.

 

Chaque copropriétaire a l'obligation de respecter l'affectation de leur lot fixée par le règlement de copropriété et son état descriptif des parties privatives (habitation, activités professionnelles, de commerces, usage de caves, greniers). L'article 9, alinéa 1 de la loi de 1965 dispose que : « Chaque copropriétaire dispose des parties privatives comprises dans son lot ; il use et jouit librement des parties privatives et des parties communes sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l'immeuble ». Le tribunal a condamné un copropriétaire pour avoir déporté la cuisine d'origine qui ne respectait plus la disposition verticale des cuisines au sein de l'immeuble. Et il a été jugé que des copropriétaires ayant transformé un appartement en studios aménagés et loués à quatre personnes distinctes était contraire au règlement de copropriété

 

Au 44 rue Pierre Mauroy (l'immeuble a été rénové en 1985), une cloison en « placo » semble avoir contribué à dissimuler la déformation du mur de briques. Celle-ci a probablement été précédée par une « fissure », un désalignement ou un flambage qui aurait alerté les occupants sur la menace à venir. Sans la réaction salutaire des trois colocataires, la catastrophe aurait fait une dizaine de victimes. Les signes annonciateurs d'un risques grave sont : lézarde (fissure supérieure à 2 mm et 20 centimètres de longueur) - fissure traversante - fissures au niveau de poutres reposant sur un mur porteur - plancher incliné - vantail qui force à l'ouverture ou à la fermeture - marches d'escalier désolidarisées - ferme (charpente) endommagée.

 

Le Parquet lillois a ouvert une enquête pour : mise en danger de la vie d'autrui et homicide involontaire qui devra déterminer : « les causes à l'origine de l'effondrement, les responsabilités sur l'état du bâtiment et la connaissance que pouvait en avoir les propriétaires ». Huit immeubles voisins ont été ensuite évacués par mesure de précaution.

 

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