vendredi 28 janvier 2022 - par GHEDIA Aziz

Ma rencontre avec Camus (3)

JPEG 1984. Rien à voir avec l’écrivain britannique George Orwell et sa fameuse œuvre de science-fiction.

Mais une date très importante pour moi.

C’était le début de mon internat en médecine et mon deuxième voyage, en été, dans les ex pays de l’Est. Avec un ami, nous avions entamé ce voyage à partir de Prague avant de suivre l’itinéraire du Danube de Bratislava jusqu’à la capitale hongroise : Budapest.

Lors de notre très court séjour à Prague, nous avions rencontré, dans l’un des cafés les plus réputés de la ville, pas loin de la gare centrale, un français. Il était Prof de français dans un lycée de Marseille. Il était seul, assis en face de nous, sirotant tranquillement son café, mais, apparemment, il s’ennuyait. Il nous regardait et, de temps en temps, nous souriait. On avait l’impression qu’il attendait un signe de notre part pour se joindre à nous. Il avait besoin de contact, de parler à quelqu’un. De discuter tout simplement. Nous parlions, mon ami et moi, en français, ce qui l’incita à, finalement, s’approcher de nous et de nous demander si nous étions Maghrébins. Cela se voyait, de toute façon, facilement sur notre faciès. Personnellement, j’étais bronzé, j’avais le teint basané et les cheveux frisés. Un look complètement débrayé avec un jean coupé aux genoux, un teeshirt et des baskets montantes genre Converse. Impossible donc pour un méditerranéen de se tromper sur mes origines. Mon ami, par contre, était plus présentable que moi si j’ose dire. Il portait des vêtements classiques et des lunettes dont la monture noire et des verres carrés allaient à merveille avec son visage tout aussi carré et au teint clair. C’était le genre « étudiant en droit », droit dans ses bottes et dont le rêve n’est autre que de devenir, un jour, Garde des sceaux de la République ou à la rigueur magistrat.

- Nous sommes algériens, d’Alger plus précisément, lui répondit mon ami.

Une fois les présentations faites, le contact noué, la discussion devint de plus en plus animée. Notre ami devait, sans doute, être très heureux d’avoir cassé la monotonie de la journée. On avait abordé beaucoup de sujets ; la vie dans les campus universitaires à Alger, l’enseignement en Algérie d’une manière générale, la coopération technique avec les pays de l’Est dans le domaine de l’enseignement, le système de santé et la gratuité des soins, etc. Et puis, de fil en aiguille, la discussion s’est orientée vers la littérature d’expression française en Algérie. Et, c’est à ce moment-là que notre ami dont la profession, devrai-je le rappeler encore ?, est enseignant de littérature, nous parla de certains écrivains algériens dont Albert Camus. A cette époque-là, j’en avais quand même une petite idée, cet auteur ne m’était pas inconnu, et j’ai pu tenir la conversation avec ce prof de littérature.

Avant de nous quitter, nous nous échangeâmes nos coordonnées. A l’époque, nous ne disposions pas de téléphones cellulaires et nos correspondances se faisaient par courrier. L’ami français, Michel, tel était son prénom, nous avait promis de nous écrire dès qu’il rentrera chez lui à Marseille. Il devait rentrer le lendemain alors que pour nous, le voyage ne faisait que commencer… Budapest, le lac Balaton, Siófok étaient encore loin…

Et effectivement, comme le dit l’adage populaire « chose promise, chose due », à mon retour à Alger, une dizaine de jours plus tard, je découvris dans ma boite aux lettres, une lettre de Michel. Dans cette première missive, il nous remerciait beaucoup pour l’agréable après-midi qu’il avait passé en notre compagnie. Et il disait aussi qu’il avait hâte de venir nous rendre visite à Alger et d’aller en pèlerinage à Tipasa, sur les traces de Camus, sentir « l’odeur des absinthes », faisant référence à « Noces à Tipasa ». Cela remonte à bien longtemps. Et comme je ne suis pas du genre à garder dans mes documents les lettres de correspondance, je ne peux vous en dire plus. Et puis qui aurait pensé qu’un jour j’exhumerais toute cette histoire pour la mettre noir sur blanc ? Qui aurait pensé qu’un jour, un chirurgien de campagne tel que votre interlocuteur serait amené à disserter sur des sujets littéraires et à évoquer, ne serait-ce que brièvement, l’un des Nobel français de littérature : Albert Camus ? C’est donc le seul souvenir qui me revient bien que personnellement je souffre d’une anosmie congénitale et que, de ce fait, « l’odeur des absinthes » m’est complètement inconnue.

De son côté aussi, mon ami, était destinataire d’une lettre. Aux mêmes propos. A quelques phrases près. Cette correspondance avait duré plusieurs mois. Et puis, un beau jour, Michel nous annonça qu’il envisageait sérieusement de venir en Algérie et qu’il comptait sur nous pour l’accompagner à Tipasa. Nous n’avions aucune objection à faire. Bien au contraire, nous étions tous les deux ravis de le recevoir et de lui servir de « guides touristiques ». Seul inconvénient : étant tous les deux de conditions sociales modestes, nous n’étions pas véhiculés et nos maigres bourses d’étudiants suffisaient à peine à couvrir nos dépenses mensuelles. Et, à chaque fin de mois, nous nous retrouvions à « rouler sur la jante » pour reprendre une expression si répandue à l’époque dans le milieu universitaire.



2 réactions


  • Coeur de la Beauce Jean de Beauce 28 janvier 2022 08:56

    Albert Camus est l’intellectuel français le plus lucide du XXème siècle. Il aurait été écouté sur le triste sort des berbères, peut-être que l’histoire aurait été autre que le fiasco de 1962.


  • Pauline pas Bismutée 29 janvier 2022 11:52

    Être chirurgien « de campagne » n’est pas une mince affaire. Je n’ai aucune idée de vos conditions de travail, en Algérie (peut-être pourriez vous écrire sur ça ?).

    En tout cas, c’est frais de s’éloigner de politique et de l’autre machin..


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