Macron le 12 mars : enfin ... !! … ??
Macron le 12 mars : … enfin la France ? … enfin l’Europe ?
La plupart des médias, au premier rang desquels les chaînes de télévision, avec leurs journalistes-animateurs, leurs spécialistes de toutes labellisations, n’ont retenu de l’intervention du président de la République du 12 mars 2020 (*), et pour l’essentiel, que la fermeture prochaine des crèches et des établissements scolaires et universitaires.
Et ont meublé avec les matches sportifs qui sont perturbés, les rayons des supermarchés, …. En élevant le niveau de la réflexion, comme à l’accoutumée, avec des micro-trottoirs.
Médiocrité ? manque de chroniqueurs intellectuellement capables de raisonner dans un autre sens ? attentisme ?
Ou (plus terrible encore) information, tenue des sphères dirigeantes, sur la portée réelle du discours du 12 mars et sur l’exploitation sélective que les animateurs, spécialistes, et autres invités choisis… sont priés d’en faire (1).
Dans les lignes qui suivent, nous nous attacherons à analyser le contenu de la déclaration du 12 mars et à en mesurer, toujours à partir du texte, la portée.
Pour autant qu’il ne s’agisse pas là d’une opération de manipulation mieux fabriquée que les autres (1). On verra à cet égard, si la lutte contre le virus, qui fait officiellement reporter la question de la vente de l’aéroport de Paris, fera également reporter les derniers votes sur la réforme des retraites. En attendant mieux et plus dans le domaine de la solidarité, dans celui de l’Etat providence, ou sur la prise en compte de la situation des plus faibles. Gens modestes que certaines lois n’ont pas épargnés. Y compris des lois initiées par l’équipe Macron. Lois qui, dans le cadre d’une France et d’une Europe plus démocratiques, tenant mieux en mains leurs destins, devraient logiquement être … abrogées. Et être remplacées par d’autres dans la logique du 12 mars.
Pris en eux-mêmes, les développements du chef de l’Etat (au delà de la rhétorique qu’on y trouve quand même et qui fait toujours penser à celle qu’on utilise habituellement dans les campagnes électorales), relèvent sur des questions de fond, peut-être pour la première fois diraient des esprits critiques ou suspicieux qui s’en étonneraient, de la trempe des messages émanant des rares hommes d’Etat que la France a comptés ces derniers siècles.
D’autres développements portent en germe un tournant fondamental dans la politique de la France et dans la pratique de la démocratie.
Le discours a enfin de nécessaires conséquences sur la structure et le comportement à venir de la classe politique.
I.
Sur le premier point, le président de la République s’est adressé aux Français, comme constituant une nation. Avec une âme, une histoire, un avenir commun. Pas / plus de discours adressé comme c’est / c’était la mode, aux communautés, aux states sociales, aux professions ! … : La France … les Français … la Nation : « Je compte sur vous pour faire Nation … pour réveiller ce qu’il y a de meilleur en nous .. ; pour révéler cette âme généreuse qui par le passé a permis à la France d’affronter les plus dures épreuves … le temps est à cette union sacrée qui consiste à suivre ensemble tous le même chemin et à retrouver cette force d’âme qui est la nôtre … »
II.
Sur le deuxième point, le chef de l’Etat a annoncé une France et une Europe fonctionnant nécessairement en rupture avec les règles actuelles.
A.
a) Indirectement en annonçant qu’il financerait la santé … « quoi qu’il en coûte » et qu’il aiderait financièrement les salariés et les entreprises … « quoi qu’il en coute ». Avec un système de financement de l’Etat par le système de prêt auprès des banques privées et des marchés financiers, système qui organise la création monétaire par la voie de l’emprunt, les dizaines de milliards nécessaires au respect des « quoi qu’il en coûte », ne peuvent être fournis que par la banque centrale. Dont le remboursement, n’est pas nécessaire (comme celui de la dette qui est émise par les financiers et qui est rachetée ensuite par les épargnant). Et dont les intérêts, (contrairement au système de la dette privée quand il est de l’intérêt des marchés financiers de les fixer à un taux élevé), ne sont alors pas supportés non plus par les contribuables. Par conséquent, c’est une disposition fondamentale de Maastricht (art 104) / Lisbonne (art 123) qui doit être abandonnée.
b) Et en évoquant le rôle potentiellement nocif des marchés financiers, et cette fois ci, non pour se les concilier, mais pour leur annoncer que leurs manœuvres seront combattues au nom de l’intérêt général : « je ne sais pas ce que donneront les marchés financiers dans les prochains jours. Mais je serai tout aussi clair. L’Europe réagira de manière organisée, massive, pour protéger son économie »
B.
a) Directement en annonçant, - contrairement aux mécanismes de Maastricht organisant le dépérissement de l’Etat censé fonctionner selon les lois non des parlements, mais de celle des marchés - , une « reprise » de « contrôle » … par des décisions « de rupture » : « il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies, et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de notre démocratie … … Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il y a des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation notre protection notre capacité à soigner notre cadre de vie, au fond, à d’autres, est une folie !Nous devons en reprendre le contrôle … Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai ».
b) Directement également contre l’idéologie et les règles de Maastricht, en posant que certains services demeureront des services publics ( = prestations ouvertes à tous, même à ceux qui n’ont pas les moyens suffisant de se les procurer). Précisément la santé, dès lors que selon le discours du chef de l’Etat elle doit demeurer gratuite, et accessible à tous. « … Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans conditions de revenus, de parcours, de profession, notre Etat providence ne sont pas des coûts ou des charges, mais des biens précieux, des atouts indispensables, quand le destin frappe ». Alors que dans l’idéologie de Maastricht, la santé est une activité marchande et qu’en France les gouvernements successifs s’étaient attelés à la déconstruire méthodiquement en tant que service public.
C.
Le discours du président de la République ouvre la voie à la poursuite de la coopération entre les pays européens, mais sur de nouvelles bases. Ce que les formules : "construire" la France et l’Europe "souveraines" et "tiennent leurs destins en mains" matérialisent nécessairement : « Construire plus encore que nous ne le faisons une France et une Europe souveraines. Une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en mains »
III. S’il ne s’agit pas d’une manœuvre (1) à l’approche des municipales, le discours d’Emmanuel Macron s’insèrerait dans un contexte politique qu’il ne pourrait que faire « bouger » :
A.
a) Le discours d’Emmanuel Macron prend à revers les opposants comme Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon. Celui-ci qui critique l’injustice des décisions économiques et sociales. Celle-là qui joue sur le concept de Nation. Mais qui, l’une et l’autre n’osent pas / n’osent plus, probablement par crainte des réactions de leur électorat (certes conditionné par les médias), mettre en cause les règles de Maastricht. Lesquelles nient la Nation. Lesquelles sont à l’origine du développement de la précarité et de l’appauvrissement des classes moyennes.
b) Le discours d’Emmanuel Macron prend potentiellement à contrepied la droite des affaires (LR) et la gauche du libéralisme conservateur et de l’atlantisme (PS).
c) Le discours d’Emmanuel Macron ne peut qu’inquiéter les milieux qui étaient les gagnants de la mise en œuvre de l’idéologie maastrichienne. Dont certains des membres ont activement contribué à « fabriquer » le candidat Macron aux élections présidentielles de 2017.
B.
Deux séries de questions se posent. (2) .
a) Dans l’ordre interne :
- Quelle serait l’attitude des leaders des partis politiques (compte tenu de leur intérêt de carrière, et compte tenu des mouvements potentiels de leurs électorats) ? Hors « la REM » dont les députés sont en nombre suffisant, (sauf dislocation) pour voter ce que le président leur demanderait de voter jusqu’à la fin de la législature.
- Que feraient les médias dominants, ceux-là même qui avaient contribué à sa victoire en 2017 et qui l’ont soutenu ensuite, alors qu’il incarnait l’autre conception de la société et qu’au cabinet de François Hollande et dans son poste de ministre, il avait donné des gages de ‘bonne’ conduite selon ladite conception ?
b) A l’extérieur :
Le chef de l’Etat arriverait-il, à la faveur de la pandémie, à mettre les dirigeants européens sur les mêmes positions que lui ? Dirigeants dont les pays ne sont pas dans la même situation économique que la France. Et qui ne se trouvent pas forcément dans le même jeu géopolitique.
A suivre … (3)
Marcel-M. MONIN
m. de conf. hon. des universités
(*) https://www.youtube.com/watch?v=uSZFA0xLQsQ
(1) Pour autant évidemment qu’il ne s’agisse pas de promesses et de déclarations propres aux meetings électoraux et que l’on ne respecte pas après l’installation dans les fonctions. Et qui dépasseraient, pour le coup, et en volume et en portée, - donc en « scélératesse » diraient certains-, les analyses de François Hollande et les déclarations électorales de ce dernier sur le système bancaire et la séparation des banques de dépôt et des banques d’investissement.
(2) Pour autant (hypothèse de la manipulation écartée dans le raisonnement) qu’un accident mortel ne frappe pas E. Macron, avant que son nom ait eu le temps d’être gravé dans l’histoire, et qui mette ce faisant un terme, au … bon moment, au train des « décisions de rupture ».
(3) S’il advient que le chef de l’Etat s’en tienne à ses déclarations et ne les mette pas en œuvre (donc les renie plus tard, par exemple une fois les élections municipales passées) leur contenu est là. Qui constitue un programme portant sur la réforme de l’Etat, les choix politico-économiques et financiers, une conception différente des relations de la France avec les pays tiers dans une Europe n’étant plus une simple zone financière et commerciale déréglementée. Avec cette particularité que ce programme porte le sceau d’un chef d’Etat en exercice. Conception paisible de la société, puisqu’elle émane d’un politique de haut rang, qui avait de bonnes relation avec les milieux d’affaires, et qui n’est pas le porte parole de ceux qui effraient : ni des « rouges », ni de "l’extrême" droite. Discours à effet secondaire alors imprévu, puisqu’ exploitable dans une entreprise pédagogique à destination des citoyens… et des électeurs. NB. Si l’on en juge par les premières réactions des médias, ce n’est pas à partir des chaînes de télévision que la pédagogie dont il s'agit se développera.