Misère effrayante et vacuité du Slim cuir
Bien avant le confinement, le perron de l’Elysée offrait parfois de cruels contrastes avec la rue : sous le soleil, les tenues griffées et slim cuir de Brigitte M ; sous les néons, la pauvreté de gens qui ne seraient rien, un peu dégriffés. Brigitte M a mal vécu le confinement et la presse s’en est émue. Les nuits de la première dame auraient été agitées. Le slim cuir, c’est peut-être chic et tendance mais ça ne fait pas tout. Il y a même comme une impression de vacuité…
Les malheurs d’une certaine Brigitte M
Brigitte M a mal vécu le confinement au Palais de l’Elysée. Une certaine presse, comme une bonne fée, s’est penchée sur le rocking chair de la première dame pour l’écouter et lui donner un petit coup de baguette magique, histoire de relifter et de repulper son moral. Les 11 179 m2 de l'Elysée et l’hectare et demi du parc du Palais devaient être source d’angoisse dans le silence effrayant de leur immensité. Il se raconte que Brigitte M aurait eu des nuits particulièrement agitées, et même hantées par de terribles cauchemars. Ces cauchemars auraient un lien avec les lectures de dame Brigitte : un recueil de nouvelles d’Edgar Allan Poe, intitulé Le masque de la mort rouge. Selon les fées, Brigitte M aurait eu des sueurs froides. Le peuple est ému ; les histoires de masques ne le laissent pas indifférent. Les larmes coulent déjà sur les visages des mères de famille qui, pendant le confinement, se levaient aux aurores pour prendre le RER et venir faire le ménage dans des locaux spacieux du 8ème arrondissement, sans masques évidemment.
La presse se trompe : Edgar Allan Poe est innocent. Brigitte M a eu des sueurs froides à cause du projet de confinement longue durée, réservé aux plus de 65 ans ! Pauvre première dame privée du Touquet, des couturiers et des sorties entre copines. Si Brigitte M étincelle, c’est bien en tant que porte-vêtement des créateurs de mode. Comme le mot couturier rime avec vacuité, rime pauvre je vous l’accorde, il est difficile de ne pas de ne pas sentir injuriés, rime moins pauvre, avec ces histoires de malheurs de Brigitte M alors que tant de personnes sont dans la misère.
Aux esprits naïfs qui s'étonneraient que l'on puisse faire un rapprochement entre Brigitte M et la misère de certaines personnes, il est bon de rappeler que la première dame a désormais un rôle public dans le pays, dispose d'un secrétariat et de deux conseillers financés par nos impôts. Par ailleurs, la juxtaposition de la misère existant dans ce pays et des comportements de Brigitte M et la façon dont la presse en parle, révèle la superficialité et la vacuité qui gangrènent les lieux de pouvoir. Enfin, en endossant un rôle public, alors qu'elle n'a pas été élue par le peuple Français, Brigitte M représente un pouvoir politique dont les décisions contribuent à l'appauvrissement de certains.
La souffrance des dégriffés, juste avant le confinement
Venir à Paris, pour une personne qui a perdu l’habitude de la Capitale, est une expérience éprouvante. L’épreuve n’est pas de subir les embouteillages causés par les nouveaux plans de circulation et les multiples travaux. La difficulté n’est pas de survivre aux trottinettes et aux cyclistes inconscients qui ignorent que le code de la route s’applique à eux et que les passants sont fragiles. Le défi n’est pas de surmonter la pollution du métro et son trop plein de passagers. L’expérience éprouvante est de croiser une misère humaine épouvantable sur les trottoirs et surtout dans les stations et les rames du métro.
Sur le quai de la ligne 4, station Gare du Nord, un homme, sans doute la trentaine, est en caleçon. A ses pieds des vêtements déchirés, sales, malodorants et rongés par des bestioles dont j’ignore le nom. Cet homme est contourné par les voyageurs. Il est quasiment nu et ses pieds sont enflés, la chair est décolorée, les orteils presque méconnaissables.
Dans une autre station, sur le quai opposé au mien, une femme est assise, visage blafard, cheveux gras, une bouteille à la main. Son corps est déformé par des boursouflures. De cette masse de chair souffreteuse, une voix rauque tente de s’élever et laisse deviner une phrase confuse et déstructurée.
Dans une rame de la ligne 5, archibondée, un petit espace dépeuplé surprend dans ce trop plein de voyageurs. Au centre de cet espace, une banquette sur laquelle un vieil homme est à demi couché. A son bras droit, le reste d’un tube en plastique est fiché dans sa peau et indique que récemment, un cathéter veineux a été implanté dans ce corps. Au poignet gauche, un bracelet d’hôpital confirme un passage récent dans une unité de soin. Le vieil homme est demi-nu. La peau de son ventre et de son dos est parsemée d’auréoles. La vision de ce corps qui se délite est effrayante. L’indifférence des voyageurs est stupéfiante. Ces hommes et ces femmes qui m’entourent paraissent blasés par cette vision, et sans doute tétanisés, au fond d’eux-mêmes, à l’idée que demain, c’est peut-être eux qui seront avachis sur cette banquette.
Je n’avais pas le souvenir d’une misère humaine aussi visible et répandue dans Paris. Je ne crois pas avoir déjà vu une telle concentration d’êtres en sursis, de corps aussi meurtris, salis, et dévorés par la vermine.
La vacuité et l’infortune de l’ignorance
La veille même de ce passage sur Paris, la presse diffusait une photo de Brigitte M, parfaitement maquillée et superbement vêtue. La première dame avait reçu Olivier Rousteing, directeur artistique de la maison Balmain, à l’Elysée. Le temps d'un déjeuner, le couturier aurait parlé de sujets essentiels avec la première dame : mode et cinéma. Le 14 novembre 2019, en prenant la pose sur le perron de l'Elysée avec Olivier Rousteing, Brigitte M en a profité pour renouer avec une de ses pièces mode rock fétiches : le slim en cuir.
Le lendemain de cette escapade parisienne, j’ai appris que France 2 a diffusé un reportage sur les entreprises qui gagnent des millions grâce au crédit d’impôt recherche. Il semblerait, d’après les journalistes, que ce dispositif permet aux entreprises d’alléger leurs impôts et d’augmenter leurs bénéfices. On apprend aussi qu’une commission du Sénat s’est rendu compte du problème mais que, par un vote de justesse (10 contre 8 pour le contenu du rapport), le rapport de la commission a été mis de côté et finalement détruit. Le ministre de l’économie de l’époque aurait envoyé un télégramme de félicitations à l’un des sénateurs qui a voté contre, permettant aux entreprises cette « optimisation fiscale ». Ce ministre était Emmanuel Macron.
Dans le métro parisien, l’air est parfois saturé d’odeurs insoutenables de corps à l’abandon. Sur le perron élyséen, où s’exhibent les toilettes de Brigitte M, flotte un relent insupportable d’indécence face à cette misère humaine toute proche.
Il paraît que le président aurait découvert la réalité de certaines banlieues grâce au film Les Misérables de Ladj Ly. Le chef de l’Etat aurait demandé au Gouvernement de faire quelque chose pour améliorer la situation.
Il paraît que le président pourrait découvrir que des gens qui ne sont rien vivent dans d’épouvantables conditions et se meurent de façon misérable. Pour cela, il faudrait un film ou alors un couturier inspiré qui étofferait les manches de ses manteaux branchés de restes de cathéter et de bracelets d’hôpital. Un petit geste pourrait alors être demandé au Gouvernement pour améliorer les choses, au moins dans le métro parisien…
Quel espoir pour demain ?
Le confinement est passé par là. Brigitte M a mal vécu son enfermement dans le palais élyséen. Demain, la première dame va jeter un œil attentif sur la vente aux enchères de quelques pièces de notre patrimoine par le Mobilier National. La vente est décidée pour la bonne cause : au profit de la Fondation Hôpitaux de Paris - Hôpitaux de France. Une bonne cause et sans doute un moment jet set en perspective.
La misère que j’ai vue avant le confinement devrait continuer à prospérer après le confinement. Que de faillites en perspective, que de gens abandonnés à eux-mêmes, que de sollicitations supplémentaires pour des aides nécessaires. Les parisiens qui détournaient la tête du vieil homme avachi dans le métro avaient raison de craindre pour eux, de s’angoisser à l’idée que cette vision d’horreur soit un signe annonçant leur prochaine déchéance.
Nous sommes ce vieil homme en devenir. Notre seul espoir de changement serait-il donc que le président découvre notre vie au détour d’un film, d’un spectacle ?
Il paraît que le président vient de découvrir l’état déplorable des hôpitaux et les conditions de travail dégradées des personnels hospitaliers grâce au Covid-19 et à une visite sur le terrain. Notre président a du mal à voir son pays sans une aide extérieure. Il faut lui ouvrir les yeux pour qu’il découvre la vie, la vraie et la pauvreté de millions de Français. L’espoir d’un peuple est-il d’attendre une prochaine crise qui, comme un stimulus, pourrait réveiller le président ? L’espoir est-il de se résigner à l’injection prochaine d’un soin palliatif et expéditif ? Dans ce pays, l’espoir d’un changement avec ce président, sans nouvelle catastrophe, est-il illusoire ?
Brigitte M est soulagée. Les magasins ouvrent de nouveau leur porte. Les cauchemars c’est du passé, du démodé. C’est si bon de s’acheter quelques nouvelles fringues pour afficher son style rebelle dont a si besoin la politique !
Régis DESMARAIS