jeudi 26 avril 2007 - par Thomas Roussot

Mme Royal, Mr Sarkozy, refusez l’intolérable

Euthanasie est un mot dérivé du grec composé du préfixe « eu » qui signifie « bien » et du terme « thanatos » qui signifie « mort » et signifie bonne mort, c’est-à-dire mort dans de « bonnes conditions ».

J’ai vu comme des milliers d’autres à l’hôpital Dieu le mal nommé (?) ou bien ailleurs des proches mourir lentement sous mes yeux. Leurs cheveux tomber un à un, leurs dents également, leurs peaux passer du parme au verdâtre, leurs yeux se révulser sous les coups de boutoir de la souffrance pure, la bave s’écouler lentement au coin des commissures de lèvres qui n’en étaient plus et leur sang se déverser abominablement dans des cuvettes d’infortune. J’ai vu l’impuissance de la science moderne à réguler la désintégration du vivant. J’ai vu ces regards qui autrefois portaient la vie et l’espérance implorer à leurs visiteurs la fin qui ne venait pas. Le ballet du corps médical devenir fantomatique, éluder la responsabilité finale, celle d’abréger l’inutile. Il y avait bien de la morphine délivrée au compte-gouttes, comme un permis de ne pas souffrir accordé du bout des lèvres, comme à moitié, comme à contre-coeur. Un permis ne suffisant aucunement à abréger la barbarie désorganisée.

J’ai vu la lâcheté des vivants face à ceux qui ne parvenaient à mourir, face aux zombies reclus dans le déchirement d’eux-mêmes. Abandonnés à l’aberration d’une présence qui n’en était plus une. Il ne leur était plus accordé que des heures et des semaines de vomissements, de diarrhées, de tremblements convulsifs et de gémissements vains, perdus dans le silence opaque de couloirs vides et d’échos de téléviseurs ouverts en boucle sur l’inanité de tout. Il leur était désormais interdit de pouvoir communiquer, vivre quoi que ce soit de digne et de sensé. Interdit d’être à eux-mêmes et au monde. Interdits de décence, de sérénité, de paix psychique et corporelle.

Condamnés à la torture indicible et légalisée par une gigantesque hypocrisie collective.

J’ai entendu des sommités intellectuelles parler du respect du vivant, de la nécessité de laisser faire la nature, de ne pas violer les lois. Oui on parlait éthique et respect sur des plateaux de télévision, entre gens bien portants. J’ai entendu les responsables médicaux annoncer froidement qu’ils ne pouvaient plus rien, que l’on pouvait reprendre nos proches et les laisser mourir « en paix » chez eux, comme des chiens que l’on abandonne au coin d’un arbre, en bord d’autoroute.

Je pensais aussi mal qu’eux, bien à l’abri des faits incarnés et de l’odeur du sang et de l’urine incontrôlée que « l’éthique imposait la circonspection », « le principe de précaution », qu’il fallait éviter « les débordements », certains faits divers démontraient le danger d’une euthanasie incontrôlée. J’ai pensé l’impensable, théorisé sur du vent, me suis « masturbé » sur des principes creux, comme ces théoriciens désincarnés qui animent des pantomines irréelles. J’ai lu les interdits proférés par les religions, lu que l’homme ne dispose pas de sa vie, qu’elle est un don sacré et intouchable, inchangeable. Qu’il y a des pressions financières liées au coût élevé des soins, que cela pourrait discriminer une fois de plus entre les riches et les pauvres le traitement réservé à leurs proches. Qu’il pouvait exister des pressions morales de la part d’individus mal intentionnés. Que les patients pouvaient changer d’avis selon le degré de leur souffrance et parfois plonger dans l’indécidable de l’inconscience. Que les proches pouvaient projeter leur souffrance sur le malade et manquer d’objectivité quant à l’état réel du concerné.

Que l’on pouvait dissimuler un meurtre en acte compassionnel. Que la dérive vers l’eugénisme était ouverte béante sur l’arbitraire. Que la horde des héritiers rapaces profiterait d’une loi légalisant l’euthanasie pour accélérer le processus cynique de leurs désirs inavouables. Que les antidouleurs et les tranquillisants constituaient la chaîne parfaite des soins palliatifs rendant toute forme d’euthanasie caduque.

Mais ce verbiage a été balayé par ce que j’ai vu et senti, et comment j’ai vibré sous les coups de pieds et de tête donnés dans le vide, sur des lits d’abattoirs par des êtres que j’aimais. Alors j’ai compris qu’il fallait ouvrir les yeux sur l’intolérable et au nom de l’humain y mettre un terme. Un terme souverain et déterminé, dans l’assentiment lucide des concernés quand il est encore temps de trancher et sous le contrôle d’une loi qui se ferait enfin loyale et ouverte à la compassion, et véhiculant honorablement le refus catégorique de la cruauté pure. Celle de consentir à la lâche passivité devant le spectacle d’une désolation muette et inassumée. Indigeste et pourtant tolérée par l’aveuglement collectif. Aucun dogme religieux, aucun loi naturelle ne justifiera jamais les hurlements de condamnés qui se perdent dans la nuit des hôpitaux publics, dans des ressacs d’inhumanité au coeur du vingt et unième siècle.

Aucun politicien, aucun médecin, aucun philosophe en chambre, aucun responsable d’aucun ordre n’a la moindre légitimité pour tolérer cet intolérable là. Mme Royal, M. Sarkozy, que proposez-vous pour en finir avec la barbarie institutionnalisée pratiquée par ce pays que vous ambitionnez de diriger et qui se targue d’être le berceau des droits de l’homme ?



16 réactions


  • jak 26 avril 2007 11:29

    je partage entièrement votre opinion, il parait évident de légiférer le plus rapidement possible , afin d’autoriser la fin de vie assistée


  • Cris Wilkinson Cris Wilkinson 26 avril 2007 11:39

    D’un côté on en a qui crie au loup car Sarko a parlé de gènes qui prédisposeraient à des pathologie criminelle et vous qui venez parler de permettre à des gens de partir dignement.

    Dans les deux cas, on parle d’eugénisme.

    Quid de la question : y a t’il un eugénisme humain ?


  • Marcel Chapoutier Marcel Chapoutier 26 avril 2007 11:51

    A tout ceux(celles) qui ne sont pas convaincu(es) du bilan catastrophique du candidat Sarkosy comme ministre de l’intérieur, téléchargez le bouquin de Serge Portel « Ruptures » (interdit de publication avant le 2ème tour,mais après il sera trop tard) vive Internet et les médias citoyens,qui nous permettent de garder un semblant de démocratie...

    le lien : http://www.404brain.info/NEWExpression/ExpressionEnginePB/images/uploads/Se rge.Portelli.Ruptures.FRENCH.pdf


    • jak 26 avril 2007 12:00

      Hors sujet. Stop aux propagandistes de tous poils, nous savons que Sarko mange 1 enfant par jour et Ségolaine est maitresse dans un clandé smiley


  • sangliporc 26 avril 2007 12:20

    Je comprend et partage la douleur de ceux qui voient souffrir ceux qu’ils aiment. Je suis moi-même le père d’une petite fille de 3 ans, atteinte d’une maladie génétique rare et dont l’espérance de vie est aujourd’hui inférieure à une année. Je l’ai vue souffrir atrocement, avant, qu’avec les médecins, nous ne trouvions des dosages adaptés pour soulager cette douleur. Aujourd’hui, nous savons qu’elle va mourir prochainement, nous ne savons pas quand. Bien sûr, nous nous disons par moments qu’il serait bien que ça ne dure pas trop longtemps (pour elle comme pour nous, même si les raisons profondes sont parfois dures à identifier...) et en même temps elle (qui se bat pour vivre) comme nous, sommes heureux de partager ces jours dont nous savons qu’ils peuvent être les derniers.

    La souffrance est inacceptable, n’a pas de « valeur » en soi. Mais « il n’y a aucune douleur, aucune souffrance physique, que la médecine aujourd’hui ne puisse contrôler et apaiser. Je vous assure qu’une combinaison de soins locaux, de soins généraux et d’anti-dépresseurs permet au patient de ne pas souffrir » (Pr Lucien Israel - Professeur émérite de cancérologie). Simplement, en France, les médecins ne sont pas assez formés pour utiliser ces traitements d’une part et accompagner les personnes en fin de vie d’autre part. J’ai pu le constater moi-même au sujet de ma fille.

    L’euthanasie n’est pas une solution, mais une fuite. parce qu’on a parfois du mal à faire face à ce type de situation insoutenable, inhumaine, on préfère supprimer le problème plutôt que de l’assumer. Et dans ces cas précis, l’assumer veut dire continuer la recherche pour l’apaisement des douleurs, continuer la recherche pour apprendre à soigner des maladies qu’on ne sait pas soigner aujourd’hui, apprendre et se former à accompagner les personnes qui souffrent et qui sont en fin de vie...

    Une vie, même quand elle arrive à son terme, même quand elle est faite de souffrances terrible, même quand elle ne sert apparamment à rien, n’est jamais inutile ! La vie humaine est une valeur naturelle absolue et son respect envers et contre tout est l’un des signes les plus fort d’humanité. Une société qui dépénaliserait l’euthanasie, serait une société qui aurait perdue son humanité, qui ne serait plus au service de l’homme.


    • Bill Bill 26 avril 2007 13:10

      @ Sangliporc

      Merci pour ce témoignage, très émouvant. Cela ne doit pas être facile, et pourtant c’est magnifique ce temps que vous passez avec votre enfant, appréciant chaque jour de la vie avec elle.

      Je suis parfaitement d’accord avec votre conclusion !

      Bill


  • Pierre R. Chantelois Pierre R. - Montréal 26 avril 2007 13:36

    L’euthanasie est universelle et elle génère des analyses passionnelles. L’évoquer dans le cadre d’une élection est risqué car le débat risque de basculer dans un camp politique ou dans l’autre, blessant davantage ceux-là même qui doivent composer avec les décisions morales qu’elle impose.

    Le refus de la souffrance et le droit à la vie sont des thèmes chers qui reviennent invariablement au premier plan de la question de l’euthanasie. Qu’ils soient juridiques, religieux, laïcs, ces thèmes subiront toujours un clivage culturel propre à chacun de ceux ou de celles qui désirent voir l’euthanasie être un droit reconnu par l’État ou une interdiction également imposée par l’État.

    L’intolérable et insupportable destruction progressive de l’enveloppe corporelle est en elle-même une souffrance incommensurable pour les bien-portants au chevet d’un bien-aimé en phase terminale. Pourtant, dans le témoignage de sangliporc, ce piège d’une description par trop passionnelle a su être évité par des mots qui atteignent le lecteur dans leur plus grande simplicité. S’agissant d’un enfant, hommage doit être rendu à sangliporc pour son approche d’une très grande sobriété.

    L’auteur devrait s’en inspirer.

    Pierre R.

    Montréal (Québec)


  • Thomas Roussot Thomas Roussot 26 avril 2007 14:50

    Je ne condamne que la souffrance incurable et ingérable et elle existe.


  • tipaul 26 avril 2007 18:01

    « Je ne condamne que la souffrance incurable et ingérable ».

    Cela ressemble fort à un sophisme : citez moi 1 seule personne qui soit POUR la souffrance incurable et ingérable !!!

    Pour ce qui me concerne, je pense que la loi leonetti votée en 2005 est tout à fait celle qu’il nous faut. Elle ne dépénalise pas l’euthanasie, mais elle met en premier le soulagement de la souffrance. Les soins palliatifs sont vraie réponse digne au problème de la fin de vie. L’euthanasie n’est qu’une acceptation d’un échec.

    J’ajoute que des cas comme celui de vincent Humbert (qui n’avait pas besoin de traitement lourd pour survivre, hors la dépendance à 100% pour tous les gestes de la vie quotidienne) sont très rares. En tous cas nettement plus rares que le cas que vous décrivez ci-dessus. Et qui pourrait être soulagé par des soins palliatifs.

    Alors de grâce, ne mélangeons pas tout !!!

    PS : j’ai voté contre l’article, ce que je fais extrèmement rarement : je considère que faire passer une idée par l’intérmédiaire du pathos et de l’émotion n’est pas une méthode valide. Or je ne vois pas beaucoup d’argumentation dans votre article

    PS2 : pour en revenir à la question politique, les positions sont claires :
    - NS est pour le développement des soins palliatifs, qui lui semblent une meilleure réponse qu’une législation hasardeuse sur une éventuelle dépénalisation
    - SR est, « bien sûr », pour le soulagement des douleurs intolérables, et pour une loi encadrant, strictement, l’euthanasie (même si le mot n’est pas employé explicitement si je ne me trompe)


    • tipaul 26 avril 2007 18:03

      mmm... à la relecture, je me rends compte que l’on pourrait croire que la 1ere partie de mon commentaire n’est qu’un appel déguisé à voter NS. Désolé si certains pensent que c’est le cas. En fait, c’est plutôt parce que cette question m’intéresse que j’ai creusé ce que disent les candidats. Et je préfère nettement la position de NS, je suis d’accord avec vous (mais ca ne veut pas dire que ce sera une motivation suffisante pour voter pour lui)


  • Francis, agnotologue JL 26 avril 2007 18:50

    «  »Mme Royal, Mr Sarkozy, que proposez-vous ...«  »

    Mais vous mélangez les genres, désolé.

    La future présidente n’a pas à répondre à cette question, pas plus qu’à une question relatives aux hémorroïdes de mon voisin !

    De fait, la médecine moderne « vole » leur mort aux gens ! En même temps, elle est dans la situation d’une « poule qui a trouvé un couteau » : que faire de tous ces vieux !

    C’est son problème, pas celui des politiques.


    • tipaul 26 avril 2007 20:42

      Bien sur que si que c’est une question politique. Et émminemment politique, au sens noble du terme. A moins que vous ne vouliez signifier par votre commentaire qu’il ne faut pas laisser ces questions nobles à nos hommes politiques. Auquel cas, je me sens hélas « obligé » de vous autoriser à penser cela...


  • Thomas Roussot Thomas Roussot 26 avril 2007 19:14

    La médecine et ses orientations relèvent bien évidemment de la compétence du pouvoir politique.


  • Thomas Roussot Thomas Roussot 26 avril 2007 22:11

    Sarkozy vient de répondre très précisément sur ce point et tout en refusant le terme euthanasie, j’ai jugé sa position courageuse.


  • sabineservan 30 avril 2007 19:33

    C’est un sujet d’abord médical : la profession doit faire évoluer les moyens dont elle dispose ; ensuite c’est un sujet politique car l’accroissement des seniors, et celui de la durée de vie, contredisent l’évoution des capacités de développement des soins paliatifs.

    Mais c’est surtout un sujet de société car à l’heure où j’écris, on peut se demander combien d’entre nous, en pourcentage de la population , ont pris la peine de se former et de se mobiliser pour accompagner leurs agonisants ? Pour en avoir suivi six, avec une septiemme en route pour le bardo cette année, je constate qu’on en demande trop aux hospitaliers et pas assez aux entourages même bien intentionnés.

    Trop souvent les entourages vivent ce parcours de leurs proches comme une menace pour eux-mêmes, et la douleur qui résiste comme une agression personnelle. Ils s’insurgent au lieu de s’asseoir pour aimer. Et c’est vrai que c’est dur, mais ça aide beaucoup ceux qui passent et aussi ceux qui s’y attachent. Et en fait c’est toute une culture qu’il faut acquérir....


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