jeudi 21 novembre 2019 - par karl eychenne

Monnaie et prière

La monnaie et la prière entretiennent des liens surprenants. Tous deux semblent capables de transcender les foules, mais aussi de lasser les fidèles. Dans ce dernier cas, les montagnes de sermons, de liquidité ou de dette deviennent alors inefficaces.

 

  • Qu’est ce qui ne s’use pas si l’on s’en sert ?
  • Qu’est ce qui ne fonctionne que si l’on y croit ?
  • Qu’est ce que qui peut tout faire à partir de rien ?
     
    La monnaie ou la prière, les deux fonctionnent. Mieux encore, plus il y en a, plus grand sera l’effet : en quantité illimitée, prières et monnaie pourraient ainsi déplacer des montagnes.
     
    Alors puisque les deux font la paire, voyons jusqu’où nous mène l’analogie. Peut – être y décèlera - t - on quelque indice pour comprendre l’énigme de notre époque : pourquoi les quantités invraisemblables de monnaie déversées n’ont – elles plus aucun effet sur les fidèles ? 

     

Confessions

Il est possible d’expier ses péchés par la prière, c’est bien connu : d’ailleurs plus grande est la faute, et plus longue sera la prière. En fait, cela fonctionne aussi pour la monnaie. En effet, la monnaie est une forme de treuil expiatoire qui absout de tout, à condition de l’utiliser pour consommer : cartes de crédit, chèques, billets ou pièces peuvent ainsi être considérés comme des objets de dévotion. Toutefois, en associant la monnaie au pardon, on est alors confronté à un problème : sans monnaie comment expier ses pêchés ? Toujours aussi sérieux : les montagnes de liquidité et de dette que nous déployons sont-elles le témoignage que nos économies ont commis de très grandes fautes ? Finalement posons la question : le centre commercial a-t-il les mêmes vertus que le confessionnal ?

 

Mort à crédit

S’il y a une certitude, c’est que le commun des mortels passera la plus grande partie de sa vie à crédit. Autrement dit, il financera son présent par du futur incertain et de plus en plus lointain. En poussant le raisonnement à l’extrême, il pourra même acheter à sa mort à crédit (possibilité que Céline avait déjà entre-aperçu), si on lui en donne les moyens : par exemple si on lui propose d’avoir accès à une quantité illimitée de monnaie grâce à une politique monétaire et une dette publique adéquates. Mais il y a aussi un autre moyen d’acheter sa mort à crédit, pas au sens propre mais au sens figuré : il suffit de prier. En effet, la prière est aussi une manière de préparer le terrain pour demain, la vie éternelle, la réincarnation, ou autre, c’est selon : en tordant un peu l’idée, il s’agit donc de donner une certaine valeur à sa mort. 

Requiem ou Gospel

Monnaie et prière s’adressent aux mélomanes ; il faut pouvoir être sensibles aux chants des sirènes, d’où qu’elles viennent. Toutefois, être réceptif peut impliquer que l’on soit alors sélectif ; ainsi, la musique dite sacrée séduit deux types de publics : ceux du Miserere ou du When The Saints Go Marching in. La prière sera d’autant plus efficace qu’elle est habitée par la musique qui parle à nos sens. Jusqu’à présent, ni les Banques Centrales ni les gouvernements n’ont jamais mis en œuvre leur politique en musique. Quelle occasion manquée ! La musique console ou rassure ; et pour s’en convaincre il suffit d’imaginer qu’elle s’arrête pour imaginer le pire, comme dans la célèbre scène du film Margin Call où le big boss réalise que la crise va bientôt arriver : « si je vous comprends bien, vous me dites que la musique va bientôt s’arrêter ».

 

Monothéiste ou Polythéiste

Une même monnaie signifie une même croyance : « si je ne crois pas en ta monnaie, je n’ai aucune raison d’échanger avec toi quelque bien ou service ». Ainsi, l’euro, le dollar, le yen définissent des croyances différentes, mais qui peuvent se parler : on appelle cela le taux de change. Remarquons que contrairement à la prière, la pratique d’une monnaie est un peu plus contraignante d’un point de vue géographique : toutefois, en théorie rien n’empêche un pays d’adopter la monnaie d’un autre pays ; d’ailleurs on y est presque puisque certains pays choisissent de d’endetter dans une autre monnaie que la leur. De même, on pourrait très bien imaginer un agent économique payé en euros, plaçant son argent en dollars, et s’endettant en yens… Ainsi, le polythéisme monétaire n’est pas interdit, mais moins pratique que le monothéisme. F.Hayek en son temps avait même imaginé une forme de panthéisme, où dieu monétaire était partout : c’était l’idée d’organismes émettant chacun leur propre monnaie, et la concurrence ferait le reste.  

 

Omnisciente ou spectatrice

La monnaie telle que nous la pratiquons est plutôt spectatrice : les Banques Centrales, les gouvernements proposent, et l’agent économique dispose. Mais, récemment l’idée d’une monnaie plus « engagée » a fait son chemin : voir la tentative avortée ou reportée de Facebook de lancer son Libra, une monnaie que l’on - a jamais su vraiment définir : crypto ? unité de compte ? réserve de valeur ? intermédiaire des échanges ? Par contre, les scénarios à risque ont très rapidement été identifiés : l’idée d’une monnaie mondiale « chapotée » par une seule entité, qui par ailleurs a la main sur (une partie) de nos faits, gestes, et désirs, en temps réel, a pu faire grincer quelques dents. Le Libra aurait pu alors prétendre au statut de monnaie omnisciente, ou monnaie panoptique (J.Bentham). Notons que les prières, elles aussi, peuvent s’adresser à des entités omniscientes ou spectatrices, c’est selon : tout dépend de l’idée que l’on se fait du libre arbitre.

Explicite ou implicite

On peut tout demander avec la monnaie ou la prière : de véritables couteaux-suisse. Par exemple, avec un même billet de 20 euros, vous pouvez vous payer un bon repas ou aller au cinéma. De même, avec une prière, vous pouvez demander à expier vos pêchers ou bien la réussite d’un projet. On pourra dire alors que monnaie comme prière sont du domaine de l’implicite : ils impliquent tout un tas de possibilités ; comme certains mots pouvant signifier plusieurs choses différentes selon l’utilisation que l’on en fait. A l’inverse de la monnaie, le troc était plutôt du domaine de l’explicite, ce qui était plus contraignant : « tu veux m’échanger ta vache contre mon blé, mais je n’ai pas besoin de vache, alors finalement je garde mon blé »

Intrication

L’un ne va pas sans l’autre : « si vous croyez au pouvoir de la prière, vous devez croire au pouvoir de la monnaie, et inversement ». Imaginons que cette affirmation soit vraie, alors elle peut se révéler très utile. En effet, imaginons que les fidèles pratiquent de moins en moins leurs prières quotidiennes, alors il faudra en déduire que la monnaie devrait aussi perdre quelques croyants. Curieusement, on retrouve ce type de relation ambigüe dans les sciences dures : par exemple, en physique la plus célèbre expérience de pensée d’Einstein (E.P.R. : 1935) accoucha finalement d’un résultat négatif (A. Aspect : 1980), nous apprenant que deux particules ayant interagi restent « en contact » par la suite, même si on les éloigne ! Autrement dit, « vous ne pouvez pas en bouger une sans bouger l’autre », contrairement au vieil adage.

Anagramme

Un peu provoquant, mais tellement surprenant : il se trouve qu’il existe une anagramme et une seule à monnaies, il s’agit du mot onanisme.



3 réactions


  • Laconique Laconique 22 novembre 2019 15:01

    Très bon article.


  • Attila Attila 23 novembre 2019 22:51

    « la musique dite sacrée séduit deux types de publics : ceux du Miserere »

    Autre version, celle d’A sei voci

    .


  • Attila Attila 23 novembre 2019 22:53

    " La prière sera d’autant plus efficace qu’elle est habitée par la musique qui parle à nos sens. Jusqu’à présent, ni les Banques Centrales ni les gouvernements n’ont jamais mis en œuvre leur politique en musique "

    Si, si, un certain ministre.

    .


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