Mouvement économique et idées « libérales »
La Dérégulation Néolibérale : Une Réponse Contrainte à la Baisse Tendancielle du Taux de Profit
La dérégulation, pilier des politiques néolibérales des années 1970-1980, est souvent présentée comme une libéralisation économique visant à stimuler la croissance. Cependant, une analyse matérialiste révèle qu’elle découle de contraintes structurelles du capitalisme, en particulier la baisse tendantielle du taux de profit, et qu’elle a exacerbé la lutte des classes pour le partage de la plus-value. Ce processus, loin d’être neutre, a engendré des conséquences humaines dramatiques, notamment des milliers de morts en Amérique du Sud et des pertes tragiques en Irlande.
La Baisse Tendancielle du Taux de Profit : Une Contrainte Systémique
Théorisée par Karl Marx, la baisse tendantielle du taux de profit résulte de l’accumulation croissante de capital fixe (machines, technologies) par rapport au travail vivant, seule source de plus-value. Dans les années 1960-1970, cette dynamique s’est manifestée par une chute des marges bénéficiaires dans les économies industrialisées. Aux États-Unis, le taux de profit des entreprises est passé d’environ 20 % dans les années 1960 à 12 % dans les années 1970, tandis que l’Europe connaissait une stagnation similaire. Cette crise, aggravée par la stagflation (inflation combinée à la stagnation), a poussé les capitalistes à chercher des solutions pour restaurer leur rentabilité.
Face à cette contrainte, la dérégulation est devenue un outil clé. En réduisant les "entraves" étatiques (réglementations, syndicats, taxes), elle visait à maximiser la plus-value en compressant les coûts salariaux, en ouvrant de nouveaux marchés et en facilitant la financiarisation. Cependant, cette réponse n’était pas un choix libre : les capitalistes, en compétition permanente, étaient contraints d’adopter ces mesures sous peine de faillite.
La Dérégulation comme Arme de la Lutte des Classes
La dérégulation s’inscrit dans la lutte pour le partage de la plus-value, essence de la lutte des classes. Les capitalistes, pour maintenir leurs profits, ont intensifié l’exploitation des travailleurs, tandis que les États, sous pression des élites économiques et des marchés mondiaux, ont facilité ce processus. Les conséquences humaines ont été dévastatrices, notamment en Amérique du Sud et en Irlande.
Amérique du Sud : Répression et Dérégulation sous Pinochet
Au Chili, sous la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), la dérégulation a été imposée avec une brutalité extrême. Soutenu par les États-Unis et conseillé par les économistes de l’École de Chicago (les "Chicago Boys"), Pinochet a privatisé les retraites, l’éducation et les services publics, tout en dérégulant le marché du travail. Ces réformes, destinées à attirer les capitaux étrangers et à relancer les profits, ont profité aux multinationales et aux élites locales, mais au prix d’une répression féroce. Plus de 3 000 personnes ont été tuées ou portées disparues, et des dizaines de milliers ont été torturées ou emprisonnées pour écraser toute opposition, notamment syndicale et socialiste. Cette violence illustre comment la dérégulation, loin d’être un simple ajustement économique, a servi à consolider le pouvoir du capital face aux travailleurs.
Irlande : Thatcher et les Grèves de la Faim
Au Royaume-Uni, sous Margaret Thatcher (1979-1990), la dérégulation s’est traduite par la casse des syndicats, la privatisation des industries nationales et la flexibilisation du travail. Ces politiques, visant à restaurer la rentabilité du capital britannique, ont exacerbé les tensions sociales, particulièrement en Irlande du Nord. En 1981, dix prisonniers républicains, dont Bobby Sands, sont morts lors d’une grève de la faim pour protester contre leur statut de prisonniers politiques. La gestion inflexible de Thatcher, perçue comme une répression des aspirations irlandaises, a cristallisé les antagonismes. Ces morts, bien que moins nombreux qu’en Amérique du Sud, ont marqué un épisode tragique de la lutte des classes, où la dérégulation s’accompagnait d’une marginalisation des voix dissidentes.
Les Acteurs Contraints par le Système
La dérégulation révèle les contraintes pesant sur tous les acteurs du capitalisme :
Les capitalistes sont forcés de comprimer les coûts et d’exploiter davantage pour survivre à la concurrence mondiale. Ne pas le faire, c’est risquer l’élimination par des rivaux plus agressifs.
Les travailleurs, privés de protections par la dérégulation, doivent soit accepter des conditions dégradées (salaires en baisse, précarité), soit lutter, souvent au péril de leur vie, comme au Chili ou en Irlande.
Les États, sous la pression des marchés et des élites, adoptent des politiques pro-capital pour attirer les investissements, même au prix de la répression ou de l’abandon des acquis sociaux.
Conséquences Matérielles : Un Transfert de la Plus-Value
La dérégulation a systématiquement biaisé le partage de la plus-value en faveur du capital. Depuis les années 1980, la part des salaires dans le PIB des pays de l’OCDE a chuté de 65 % à environ 55 %, tandis que les profits financiers ont explosé (aux États-Unis, la finance représente 40 % des profits contre 10 % en 1980). Ces chiffres traduisent un transfert massif de richesse des travailleurs vers les capitalistes, amplifiant les inégalités et alimentant les conflits sociaux.
Conclusion : Une Logique Matérielle Implacable
La dérégulation néolibérale, loin d’être un projet idéologique spontané, est une réponse contrainte à la baisse tendantielle du taux de profit, ancrée dans la lutte pour la plus-value. Cette dynamique matérielle a forcé les capitalistes à intensifier l’exploitation, les travailleurs à résister ou à subir, et les États à soutenir le capital, souvent par la violence. Les milliers de morts en Amérique du Sud et les pertes tragiques en Irlande témoignent du coût humain de ce processus. Loin d’être anecdotiques, ces drames révèlent la brutalité d’un système où les impératifs économiques dictent les rapports de force, confirmant que la lutte des classes reste le moteur profond des transformations capitalistes.
Dans la théorie marxiste, le taux de profit (( p )) est défini comme le rapport entre la plus-value (( s )) et le capital total avancé (
C + V
), où :
-
( s ) = plus-value (survaleur extraite du travail),
-
( C ) = capital constant (investi dans les moyens de production, comme les machines),
- ( V ) = capital variable (investi dans les salaires des travailleurs).
la formule est donc P=S/C+V