jeudi 26 juin - par Alain Marshal

New York Times : le programme nucléaire iranien n’a été retardé que de quelques mois

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Les premières conclusions d’un rapport classifié du renseignement américain, confirmées par des responsables de la défense israéliens, indiquent que l’attaque a scellé les entrées de deux sites, sans faire effondrer leurs infrastructures souterraines. Un démenti cinglant aux affirmations péremptoires de l'administration Trump, qui prétend avoir « anéanti » les capacités nucléaires iraniennes.

Par Julian E. Barnes, Helene Cooper, Eric Schmitt, Ronen Bergman, Maggie Haberman et Jonathan Swan, depuis Washington

New York Times, 24 juin 2025

Traduction Alain Marshal 

Un rapport préliminaire classifié des États-Unis indique que les bombardements américains contre trois sites nucléaires iraniens n’ont retardé le programme nucléaire du pays que de quelques mois, selon des responsables informés de ses conclusions.

Les frappes ont bloqué les accès à deux des installations, mais n’ont pas provoqué l’effondrement de leurs structures souterraines, selon ces responsables s’appuyant sur les premiers éléments du rapport.

Avant l’attaque, les services de renseignement américains estimaient qu’en cas de tentative accélérée de fabrication d’une arme nucléaire, l’Iran mettrait environ trois mois. Après les frappes américaines, suivies de plusieurs jours de bombardements par l’armée de l’air israélienne, l’Agence du renseignement de la défense a conclu que le programme avait bien été ralenti, mais de moins de six mois.

Le rapport ajoute que l’essentiel des stocks d’uranium enrichi de l’Iran avait été déplacé avant les frappes, lesquelles n’ont détruit qu’une petite quantité de matière nucléaire. Une partie de ces stocks aurait été transférée vers des sites secrets.

Certains responsables israéliens estiment également que Téhéran maintient des installations d’enrichissement clandestines de moindre envergure, conçues pour assurer la continuité du programme en cas d’attaque contre les sites principaux.

D’autres responsables ont souligné que le rapport faisait état de dégâts modérés à importants sur les trois sites visés — Fordo, Natanz et Ispahan —, Natanz étant le plus endommagé. Il reste incertain si l’Iran cherchera à reconstruire ces installations.

D’anciens responsables ont rappelé que si l’Iran s’efforçait de produire rapidement une bombe, il s’agirait d’un engin rudimentaire et de petite taille. En revanche, la fabrication d’une ogive miniaturisée serait bien plus complexe, et l’ampleur des dommages infligés aux travaux de recherche avancée dans ce domaine reste floue.

Des responsables militaires, actuels comme anciens, avaient averti avant l’opération que détruire le site de Fordo — enfoui à plus de 75 mètres sous une montagne — nécessiterait probablement plusieurs vagues de frappes aériennes, étalées sur plusieurs jours, voire semaines, au même endroit.

Les avions américains ont d’ailleurs frappé les mêmes cibles au moins deux fois samedi. Des B-2 ont largué 12 bombes GBU-57 Massive Ordnance Penetrator — communément appelées « perce-bunkers » — sur Fordo, formant six cratères visibles en surface, selon Brian Carter, analyste du Moyen-Orient à l’American Enterprise Institute.

Mais de nombreux experts militaires estiment qu’une seule journée de frappes ne suffit pas pour atteindre les objectifs fixés.

L’évaluation initiale des dégâts suggère que l’affirmation du président Trump, selon laquelle les installations nucléaires iraniennes auraient été « anéanties », est exagérée. Le Congrès devait être informé du résultat des frappes mardi, et les législateurs devaient poser des questions sur les conclusions, mais la session a été reportée. Les sénateurs doivent désormais être informés jeudi, les représentants vendredi.

Depuis les frappes, M. Trump n’a cessé de se plaindre auprès de ses conseillers des articles de presse remettant en cause l’ampleur des destructions, selon plusieurs sources. Il aurait également suivi de près les déclarations publiques d’autres responsables interrogés sur les dommages causés aux installations.

Dans une déclaration faite mardi, le secrétaire à la Défense Pete Hegseth a réaffirmé l’évaluation initiale du président Trump : « D’après tout ce que nous avons vu — et j’ai tout vu — notre campagne de bombardements a anéanti la capacité de l’Iran à fabriquer une arme nucléaire. Nos bombes massives ont frappé exactement au bon endroit sur chaque cible et ont parfaitement fonctionné. »

Des responsables invitent à la vigilance en précisant que le rapport classifié de cinq pages n’est qu’une première évaluation, et qu’elle sera suivie d’autres analyses, à mesure que davantage d’informations seront recueillies et que l’Iran inspectera les trois sites. Un responsable a indiqué que les éléments transmis à l’administration étaient « contrastés », et que de nouvelles évaluations restaient à venir.

Mais selon le rapport de l’Agence du renseignement de la défense, les sites n’ont pas subi autant de dégâts que certains membres de l’administration l’espéraient. L’Iran conserve la quasi-totalité de ses matières nucléaires, ce qui signifie que, s’il décidait de fabriquer une arme, il pourrait encore y parvenir relativement rapidement.

Les responsables interrogés dans le cadre de cet article ont requis l’anonymat, les conclusions du rapport restant classifiées.

La Maison-Blanche a contesté ces évaluations. Karoline Leavitt, porte-parole de la présidence, a déclaré que les conclusions du rapport étaient « totalement erronées ».

« La fuite de cette prétendue évaluation est une tentative manifeste de discréditer le président Trump et de dénigrer les courageux pilotes de chasse qui ont mené à bien une mission parfaitement exécutée visant à anéantir le programme nucléaire iranien », a-t-elle déclaré dans un communiqué. « Tout le monde sait ce qu’il se passe lorsqu’on largue quatorze bombes de 15 tonnes avec une précision parfaite sur leurs cibles : une destruction totale. »

Certains éléments du rapport des services de renseignement avaient déjà été rapportés par CNN.

Les frappes ont gravement endommagé le système électrique du site de Fordo, ont indiqué des responsables. On ignore encore combien de temps il faudra à l’Iran pour rétablir l’accès aux installations souterraines, réparer les systèmes électriques et réinstaller les équipements déplacés.

Il ne fait aucun doute que la campagne de bombardements a « gravement, très gravement endommagé » les trois sites, a déclaré M. Carter.

Mais les premières évaluations israéliennes des dégâts ont également soulevé des doutes quant à l’efficacité des frappes. Des responsables de la défense israéliens ont affirmé disposer de preuves indiquant que les installations souterraines de Fordo n’avaient pas été détruites.

Avant l’attaque, l’armée américaine avait présenté aux responsables une série de scénarios concernant l’impact potentiel de l’opération sur le programme iranien — avec des projections allant de quelques mois de retard dans le meilleur des cas, à plusieurs années dans le scénario le plus optimiste.

Certains responsables ont toutefois averti que ces estimations étaient approximatives et qu’il était impossible de prévoir avec exactitude le temps qu’il faudrait à l’Iran pour reconstruire, s’il choisissait de le faire.

Malgré les affirmations de M. Trump et de M. Hegseth selon lesquelles les sites auraient été détruits, le général Dan Caine, président du Comité des chefs d’état-major, s’est montré plus mesuré quant aux effets réels de l’opération.

« Cette opération a été conçue pour dégrader de manière significative l’infrastructure nucléaire iranienne », a déclaré le général Caine lors de la conférence de presse de dimanche.

L’évaluation finale des dommages infligés par l’opération militaire contre l’Iran, a-t-il précisé ce jour-là, debout aux côtés de M. Hegseth, n’était pas encore disponible. Il a indiqué que l’analyse initiale montrait que les trois sites avaient « subi des dommages et des destructions importants ».

Le général Caine a ajouté qu’il était « bien trop tôt » pour déterminer ce qu’il restait du programme nucléaire iranien.

Le général Joseph L. Votel, ancien commandant du Commandement central des États-Unis, a déclaré lors d’un entretien qu’il avait « une grande confiance dans les systèmes d’armes utilisés ». Il a toutefois ajouté : « Je ne suis pas surpris que certains éléments aient survécu. C’est précisément pour cela qu’on procède à des évaluations des dégâts après une opération : même si tout se déroule comme prévu, il y a toujours d'autre facteurs. »

Lors d’une audition au Sénat mardi, les démocrates ont également adopté un ton plus prudent.

« Nous attendons encore les évaluations finales des dégâts causés par l’opération », a déclaré le sénateur Jack Reed, de Rhode Island, principal élu démocrate du Comité des forces armées.

Des responsables militaires avaient déclaré que pour infliger des dommages plus significatifs aux installations souterraines, il aurait fallu procéder à des frappes répétées. Mais M. Trump a annoncé la fin des opérations après avoir autorisé la première vague.

Avant les frappes, les agences de renseignement américaines avaient conclu que l’Iran n’avait pas encore pris la décision de fabriquer une arme nucléaire, mais disposait d’assez d’uranium enrichi pour pouvoir le faire relativement rapidement s’il en faisait le choix.

Si les services de renseignement avaient averti qu’une frappe américaine contre Fordo ou d’autres sites nucléaires pourrait inciter l’Iran à produire une bombe, les responsables américains ont déclaré qu’ils ignoraient encore si Téhéran allait franchir ce cap.

Les représentants de l’Agence de renseignement de la défense n’ont pas donné suite aux demandes de commentaires.

Julian E. Barnes couvre les agences de renseignement américaines et les questions de sécurité internationale pour le New York Times. Il écrit sur les enjeux de sécurité depuis plus de vingt ans.

Helene Cooper est correspondante au Pentagone pour le NY Times. Elle a auparavant été rédactrice en chef, correspondante diplomatique, puis correspondante à la Maison Blanche.

Eric Schmitt est correspondant aux affaires de sécurité nationale pour le NY Times. Il couvre les questions militaires américaines et la lutte contre le terrorisme depuis plus de trente ans.

Ronen Bergman est journaliste au New York Times Magazine, basé à Tel-Aviv.

Maggie Haberman est correspondante à la Maison Blanche pour le NY Times, où elle suit l’actualité du président Trump.

Jonathan Swan est journaliste à la Maison Blanche pour le NY Times, chargé de la couverture de l’administration de Donald J. Trump.

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