lundi 13 janvier 2020 - par Coeur de la Beauce

Nicolas Offenstadt et la RDA retrouvée : Enfer ou paradis socialiste ?

Nicolas Offenstadt est docteur en Histoire contemporaine. Issu (comme votre narrateur) de l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, il vient d'étudier les vestiges "archéologiques" de l'ex-Allemagne de l'est, ses usines, ses logements et ses maisons de la culture abandonnés. Il en a tiré un superbe bouquin de 300 pages intitulé "Urbex RDA", qui permet de reconstituer, loin des clichés "répression/stasi/pénuries", la société socialiste des années 1980, avant que tout ne s'arrête en 1990 et l'annexion de cet état fondé en 1949 par la RFA et ses trusts industriels.

J'ai d'abord hésité à acquérir cet ouvrage un peu coûteux (34 euros), mais je ne regrette pas cette acquisition. De belles photos, des commentaires éclairés et pertinents, Urbex RDA confirme ce que le quidam constate lors de ses séjours à Berlin, cette "ostalgie" du bon vieux temps de l'Allemagne communiste, la prise en charge par l'état de la vie du citoyen, la sécurité de l'emploi, le logement garanti et bon marché etc. Il ne manque qu'un chapitre sur le répression, la police politique, ses prisons (visitables à Berlin), la privation de voyager : mais la littérature et les articles du web abondent sur le sujet. Offenstadt a préféré aborder la sociologie de l'ex-RDA, et il a raison : on comprend toujours mieux les choses en allant sur place, en dialoguant avec les témoins, en observant.

Souvenez-vous de 1989-1990, le battage médiatique des chaines TV privées (TF1, la 5) sur la chute du mur de Berlin. L'apologie du capitalisme triomphant, le début des privatisations et des délocalisations d'entreprises. Une période bien morose pour les jeunes (1990-1995) avec les portes qui se refermaient et un discours à sens unique contre l'état, la fonction publique, le social. En France, on devait supporter les Madelin et les Balladur. Ceux qui conservaient leur lucidité allaient vers l'ultra-gauche ou le nationalisme, pour réfléchir et s'aérer l'esprit. Vingt-cinq ans après, on constate les dégats de l'ultra-libéralisme dans nos sociétés occidentales, à nous faire regretter le collectivisme.

Il est donc utile de parcourir des bouquins comme Urbex RDA. On y découvre les restes d'une société industrielle avec ses monopoles, ses petites voitures difficiles à obtenir, ses usines à briques rouges. Avec, aussi, ses maisons de la culture (gratuite), les affiches pour ses artistes de variétés (ainsi que ceux de l'ouest, et même un poster de Rocky Balboa !), ses installations sportives, ses cantines d'entreprise, ses écoles et ses logements sociaux. On y découvre des ruines pittoresques sur lesquelles il faut s'attarder deux minutes :

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Cette photo a été prise à Francfort sur Oder. Aujourd'hui, personne ne voudrait habiter dans ces cages à lapins. On oublie qu'il y a cinquante ans, ces barres HLM (imitées en France avec l'histoire que l'on sait) représentaient un progrès : logements spacieux, bon marché, avec électricité et eau courante. La promiscuité était acceptée par la bonne éducation des gens et le soucis du respect des autres. Evidemment, ces principes n'ont plus cours dans une société libérale du chacun pour soi.

Quelques détails du bouquin sont pittoresques. Offenstadt constate la diversité du courrier des lecteurs d'une revue féminine, manifestement peu censuré. Il parle d'un groupe de rock néo-nazi dissous par la stasi : comme quoi il était malgré tout possible, durant un temps, envisageable de faire autre chose que le scoutisme des jeunesses communistes (la FDJ) et qu'il y avait une "diversité" de la pensée ! L'art alternatif est aussi abordé, ainsi que les activités culturelles proposées aux ouvriers sur leur lieu de travail.

Bref, comme dans le cochon, tout n'était pas mauvais dans l'ex-RDA. Il est intéressant de montrer que d'autres sociétés ont été possibles, et auraient pu s'épanouir, hors du capitalisme et du chacun pour soi. S'il y avait une police politique agressive, il n'y avait pas de SDF dans ce pays et les jeunes avaient un travail à la sortie de leurs études. C'était aussi une société de loisirs (gratuits) où les citoyens étaient éduqués et formés au collectif. La sécurité socialiste ou la liberté capitaliste... C'est l'éternel débat depuis la révolution industrielle.

Le livre de Nicolas Offenstadt est finalement assez rafraichissant. Il ne manque qu'un chapitre sur les retraites des citoyens est-allemands : 60 ans pour les hommes, 55 ans pour les femmes... Ce sont d'ailleurs ces acquis sociaux qui ont choqué notre classe politico-médiatique, davantage que les prisons pour opposants. Il est probable que si tout était à refaire, les est-allemands auraient été moins nombreux à grimper sur le mur de Berlin en 1989...

Nicolas Offenstadt, Urbex Rda, ed.Albin Michel, 2019, 34 euros en librairie

 



8 réactions


  • nemo3637 nemo3637 14 janvier 2020 00:32

    Les Souverainistes aiment jouer les nécrophores en louangeant la Russie de Poutine. Ils n’évoquent pas encore vraiment l’Urss de Staline mais ça viendra.

    Et l’Espagne de Franco ? Quelle c... allez-vous nous en dire ?


    • CN46400 CN46400 14 janvier 2020 08:10

      @nemo3637
      L’Espagne franquiste, contrairement à l’URSS, n’a inventé, ni promu, aucune avancée sociale. Par contre les avancées sociales (retraites en France par exemple) doivent beaucoup à la frayeur que provoquait, sur les capitalistes occidentaux, l’URSS, mais rien, absolument rien, aux franquistes.
       La vrai question serait de se demander pourquoi il existe de la nostalgie sociale en RDA, 30 ans après, et pas en Espagne ?


  • Laulau Laulau 14 janvier 2020 09:56

    Il ne manque qu’un chapitre sur le répression, la police politique, ses prisons (visitables à Berlin), la privation de voyager.

    Les états capitalistes faisaient une guerre impitoyable et permanente aux états socialistes dont il voulaient la destruction. Dans ces conditions comment imaginer que la RDA puisse accepter des échanges mortifères avec l’Ouest ?


    • CN46400 CN46400 14 janvier 2020 12:58

      @Laulau
      Certes, la guerre froide était une réalité, mais l’autarcie du « socialisme dans un seul pays » choisie par Staline en 1927, et poursuivie jusqu’en 89, n’était pas la bonne solution. Elle a conduit aux pénuries de produit manufacturés et c’est cela qui explique aussi bien les pb politiques que la chute finale.


  • xana 14 janvier 2020 19:34

    Ca me fait penser au film « Good bye Lenine ».

    Les Allemands de l’Est croyaient que leur pays était un enfer.

    Ce n’est qu’en découvrant le capitalisme qu’ils ont compris leur erreur...


    • CN46400 CN46400 14 janvier 2020 20:17

      @xana
      Exact, un jeune ukrainien, à Kiev, était sidéré que mes enfants ne chaussent pas des « knikers », chaussures très vantées sur radio-amérique.. Les illusions sur l’Occident étaient souvent effarantes, conséquence de l’enfermement et de la perte de crédibilité des médias... Il n’y avait pas de bidonville à Moscou, donc il ne pouvait en exister à Paris...


  • toma 15 janvier 2020 22:00

    Ouais, entre temps Berlin, le loyer est de 12-13€ le M2, contre 4-5€ avant 1990, même a l’est. Les salaires explosent, les niveaux diminuent. Avant interdiction de voyager, maintenant pas d’argent ou trop de CO2.

    Avant sécurité sociale a TOUS les étages, là aucune

    Excellence dans les arts et la culture générale et la scolarité. Actuellement abetissement à l’entertainement.

    Un respect certain de la police, mais bon, j’ai des histoires de discussions avec ses VoPo, comme un pote qui va à l’Ambassade US et sort avec des disques de musique indienne. Se fait arrêter par les VoPo et dit « c’est pour écouter la musique de ce peuple assassiné par le capital ». Après ce qui avait sur les disques.... Personne a vérifié.

    Je vis quotidiennement a Berlin avec des vrais allemands. C’était pas la pénurie et la police, uniquement. Sous Macron c’est pas mieux je pense.

    Les gens étaient heureux, faisaient des gosses, bossaient, fêtaient Noël, se bourraient la gueule, partaient a la mer Baltique ou ski en Tchéquie. Visitaient Petersburg, visites politiques payées par le conglomérat. Allaient acheter des chaussures Bata, des affaires pour la rentrée scolaire a Prague car meilleur qualité ou sur le Balaton.

    Enfin... C’était une vie pas mal.


    • CN46400 CN46400 16 janvier 2020 01:41

      @toma
      « C’était une vie pas mal. »
      Ouais, mais de l’autre coté, apparemment, c’était tellement mieux. Et, dans pas mal de domaines, c’était vrai, même si la différence était plutôt dans les chromes et les enjoliveurs, que dans le service concret.
      Que valaient les trabants, ou les skodas ou une « lada gigouli » par rapport à une coccinelle ou une deuch ou une 4L ? Dans les années 50 les oranges étaient quasi-rationnées en France, mais c’était encore vrai en 89 en RDA...
       C’est ce retard, et surtout sa perception, aggravée par l’autarcie forcée, 70 ans après 1917, qui explique la chute...


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