Nouvelle carte des ZEP : logique économique ou pédagogie ?

Trente ans après la mise en place des zones d'éducation prioritaire par le gouvernement Mauroy, une ministre se réclamant du "socialisme" entreprend une réforme de la carte des ZEP, en créant au passage des "REP" et des "REP+" (R pour réseau) selon le degré de décrépitude du groupe scolaire labellisé.
Sur le papier, il n'y a rien d'illogique à cette démarche. Si le concept de ZEP est toujours décrié, pour son côté "ghéttoisation" de certaines écoles, c'est souvent pour de mauvaises raisons associées à une triste logique économique. Dans un quartier où les écoles sont classées ZEP, les prix de l'immobilier s'effondrent, parait-il. Et les classes moyennes ont tendance à déménager, ou à expédier leur progéniture dans le privé. Toutefois les crédits supplémentaires affectés aux écoles ont permis de réduire les effectifs d'élèves par classe, de renforcer les RASED (réseaux d'aide aux élèves en difficulté), de favoriser l'émergeance de quelques équipes pédagogiques stables avec la prime ZEP (95 euros par mois), juste récompense pour des conditions d'exercice plus difficiles qu'ailleurs. Enfants désocialisés, agités et nerveux, parents souvent immatures à faible niveau culturel, cela nécessite une force de caractère pour tenir le coup en ZEP, j'ai sais quelque chose.
Or ce sont les critères flous de classement en "REP" qui interrogent, car manifestement il n'y a pas que la sociologie des quartiers qui est prise en compte. Dans certaines académies, c'est le taux d'élèves en difficulté à l'entrée en 6ème qui est pris en considération. Et cela pose un problème. Prenez le cas d'une école où l'équipe enseignante est soudée, a monté des projets innovants, des groupes de lecture par exemple. Grâce à ce travail de missionnaires les instits' ont amené leurs élèves à un niveau correct à l'entrée au collège. Et bien les nouveaux critères, basés sur les seules performances scolaires, retirerait le label "ZEP" à l'école en question. Donc plus d'élèves par classe et des salaires à la baisse pour les braves maîtresses d'écoles en récompense des efforts fournis (!)... absurdité à la française ? La question s'est en tout cas posée pour un groupe scolaire d'une cité HLM de Chartres (Eure-et-Loir), où une mobilisation des parents et des syndicats, relayée par la presse locale et par France 3, a permis d'obliger l'académie à faire marche-arrière...
Après la pédagogie il y a encore et toujours les intérêts financiers. L'école chartraine est située à la limite de la cité HLM, sur la route d'Orléans, elle borde un secteur pavillonnaire récent où peu de résidents scolarisent leurs enfants dans le public. Retirer le label ZEP ne changera rien à cette situation, mais permettra de redynamiser les prix de l'immobilier du secteur, inférieurs de moitié à ceux du centre-ville(!)... on remarquera que certains n'éprouveraient aucune gêne à parquer des gosses de pauvres à trente par classe pour pouvoir mieux revendre leur baraque ou encaisser de meilleurs taxes sur les transactions. Et tant pis si les mômes en question finissent à la ramasse et sombrent dans la délinquance. Il est vrai que les notaires, les agents immobiliers et autres politicards professionnels n'habitent jamais dans les quartiers défavorisés.
Il faut être lucide. Les écoles françaises ont la particularité d'avoir des classes à effectifs chargés par rapport aux autres pays européens, l'Allemagne notamment. Il est vrai qu'il est difficile de créer des postes d'instituteurs quand les candidats au recrutement ne se bousculent pas, allez savoir pourquoi... en attendant les effectifs limités des classes ZEP ont permis de soulager les choses, et de permettre à nombres d'élèves de suivre une scolarité normale. Il y aura toujours des tartuffes pour nous ressortir le coup des quarante élèves par classe en 1950, en oubliant que nous sommes aujourd'hui au XXIème siècle, dans une société dont les répères ont changé, et qu'heureusement on n'éduque plus à coups de martinet...
Il ne faut pas oublier que l'on marche sur des braises quand on aborde ce type de question sociale, que c'est la société de demain que l'on prépare avec l'école. Sacrifier la scolarité des enfants des quartiers difficiles ne fera qu'accroître les problèmes sociaux, la délinquance, le communautarisme et la fuite vers l'extrêmisme religieux, car d'autres prendront en charge cette jeunesse désoeuvrée... il faut avoir cela en tête avant de penser pognon et fausse rentabilité à court terme. L'avenir des enfants a-t-il un prix ? En principe, non, dans une société démocratique et civilisée.