« Objective collapse ». La « réduction du paquet d’onde » est-elle une réalité objective ?
La réduction du paquet d'onde (anglais Wave function collapse) est un concept fondamental de la mécanique quantique selon lequel, après une mesure, un système physique, par exemple une particule, voit son état entièrement réduit à celui qui a été mesuré.
Jean-Paul Baquiast 21/07/2016
Rédaction provisoire
Fentes de Young. Schéma de principe
Auparavant, cet état était défini par l'équation dite de Schrödinger qui ne permet de le représenter que de façon probabiliste. Ainsi la particule ne peut se voir assigner avant mesure une position précise dans l'espace et le temps.
Le concept de réduction du paquet d'onde implique de nombreuses difficultés sur le plan logique et épistémologique. Existe-t-il une réalité objective, autrement dit définie en dehors de toute observation ? La question est soulevée parce que la théorie suggère que ce que nous considérons comme la "réalité" possède une infinité théorique d'états quand elle n'est pas "observée", plus exactement perturbée par une mesure.
Par contre la mesure provoque une réduction de l'équation de Schrödinger, qualifiée de décohérence quantique. Elle permet alors de la situer dans le temps et dans l'espace. La question philosophique de la réalité est soulevée du fait que la théorie suggère que ce que nous considérons comme la "réalité" possède une infinité théorique d'états quand elle n'est pas "observée" (plus exactement perturbée par une mesure, provoquant une décohérence quantique).
Différentes interprétationsDès les débuts de la mécanique quantique, différentes interprétations ont été proposées pour tenir compte de ce paradoxe. L'une a été introduite par Schrödinger, remettant en question le concept d'objectivité de la mesure avec son paradoxe dit du chat de Schrödinger, à la fois mort et vivant.
D'autres physiciens, dont Albert Einstein, ont proposé l'existence de variables cachées. Des expériences avaient été proposées, notamment par John Bell pour montrer comment on pourrait vérifier la possibilité ou l'impossiblité d'existence de telles variables ; À la fin du XXe siècle, Alain Aspect réalisa ces expériences, ce qui aboutit à infirmer l'existence de ces variables cachées (locales).
L'interprétation la plus répandue est celle dite de l'École de Copenhague. Pour ses partisans, les postulats de la physique, en l'espèce ceux de la mécanique quantique, n'ont aucun sens métaphysique : ils ne décrivent pas l'univers. Ils sont purement formels et opératoires. Ils se limitent à proposer des opérations lesquelles, que la réponse soit positive ou ne le soit pas, ne permettront pas d'en déduire une réalité sous-jacente. Il s'agit d'une impossibilité radicale, liée à l'absence de lien physique entre les postulats et la réalité, et non d'une « simple » ignorance qui pourrait être comblée à l'intérieur du cadre de la mécanique quantique actuelle. La mécanique quantique est parfaitement valide dès maintenant, dans la mesure où elle est appliquée aux nombreux cas pratiques dans lesquels elle sert d'outil indispensable, mais il ne faut par chercher à savoir si elle se réfère à un monde objectif sous-jacent ;. « Calcule et tais-toi » comme il a été dit.
Il reste que, dans cette interprétation, le concept d'observateur suppose non seulement un instrument d'observation mais le cerveau d'un observateur, capable de construire avec l'entité observé ce que Mioara Mugur-Schaechter a nommé une « conceptualisation relativisée. On ne voit pas ce qui joue le rôle du cerveau et de cet observateur en l'absence d'êtres vivants.D'autres interprétations ont été proposées pour tenir compte de l'apparent indéterminisme de la mécanique quantique. L'une est la théorie d'Everett, appelée aussi théorie des états relatifs, ou encore théorie des mondes multiples. Pour celle-ci, dans le cas du paradoxe du chat de Schrödinger , chaque évènement est une bifurcation. Le chat est à la fois mort et vivant, avant même l'ouverture de la boite, mais le chat mort et le chat vivant existent dans des bifurcations différentes de l'univers, qui sont tout aussi réelles l'une que l'autre. Il n'a jamais été possible, comme on le devine, de vérifier expérimentalement cette interprétation, mais dans l'hypothèse cosmologique dite des multivers, elle est toujours prise en considération.
Le collapse objectif
La théorie de « l'objective collapse » ou collapse objectif propose d'expliquer différemment les paradoxes de l'indéterminisme. Dite aussi quantum mechanical spontaneous localization models (QMSL) elle est réaliste, indéterministe et rejette l'hypothèse des variables cachées. Elle diffère cependant de l'interprétation de Copenhague, en ce sens qu'elle considère que la fonction d'onde est réelle, qu'elle possède une dimension « ontologique ». Elle correspondrait à une fonction mathématique bien définie. Mais celle-ci ne s'effondrerait qu'au hasard (("spontaneous localization"), ou pour des raisons purement physiques, sans que l'obervateur ait le moindre rôle à y jouer. Les exemples les plus connus de cette de cette interprétation sont la théorie dite de Ghirardi–Rimini–Weber (GRW) et l'interprétation dite de Penrose (voir références ci-dessous).
L'expérience des Fentes de Young, ou écran à double fente, n'a jamais été remise en cause. Elle illustre la dualité onde-particule : les interférences observées sur l'écran (c'est-à-dire sur un système d'observation conçu par un observateur, Young à l'origine), montrent que la lumière présente un comportement ondulatoire, mais la façon dont les photons sont détectés (impact sur un écran) montre aussi leur comportement particulaire. Avec non plus des photons, mais des particules en ensembles de particules de matière, électrons, neutrons, atomes, molécules, on observe également des interférences. Ce qui démontre les concernanr la dualité onde-particule. La matière présente un comportement ondulatoire, mais dans le même temps leur observation (impact sur un écran) prouve leur comportement particulaire.
Peut-on échapper à cette alternative ? La nouvelle modalité de la théorie quantique standard, proposée dans les années soixante, dite du « collapse objectif » semblait le confirmer. Elle permettrait selon les théoriciens non seulement d'évacuer le problème insoluble de l'observateur, mais de mieux préciser des questions encore mystérieuses en cosmologie, comme celles des trous noirs et l'énergie noire, supposée responsable de l'expansion actuelle de l'univers.
La théorie fait l'hypothèse que la fonction d'onde, entité mathématique proposée par Erwin Schrödinger, comme indiqué ci-dessus, pour décrire la particule en termes probabiliste, c'est-à-dire inapplicable pour définir une particule isolée, soit au contraire une réalité existant dans la nature, et pas seulement dans les modèles mathématiques. L'état de la particule ne dépendrait donc pas de l'observation. Autrement dit, le chat de Schrödinger serait simultanément mort ou vivant, qu'il soit observé ou non. L'équation de Schrödinger serait donc applicable à une particule isolée (ou à ce qui dans le monde qantique correspond à ce que l'on nomme une particule isolée)
Récemment, sur ces sujets le physicien théoricien Daniel Sudarsky de l'Université de Mexico (voir référence) a depuis quelques années proposé des approches très intéressantes. Il a voulu selon ses propres termes décrire l'univers tel qu'il était il y a 13 milliards d'années, à une époque où n'existait nulle conscience pour observer les particules dont il était fait.
Les premiers théoriciens du collapse objectif ont été dans les années 1970 Philip Pearle du Hamilton College New York, rejoint plus récemment par Giancarlo Ghirardi et Tulio Weber de l'Université de Trieste, ainsi que Alberto Rimini de l'Université de Padoue. Ils ont voulu montré que la fonction d'onde peut évoluer naturellement, sans observateurs, d'un état probabiliste à un état bien défini. Pour cela, ils ont ajouté à la fonction d'onde, fonction mathématique, des fonctions non-mathématiques, en l'espèce un terme non linéaire permettant à un état donné de se répandre rapidement aux dépens de tous les autres, et un terme stochastique, permettant à ce phénomène de se produire au hasard.
Selon ces théoriciens, dans l'univers primordial, il a suffi d'un temps relativement court (si l'on peut alors parler de temps) pour que les fonctions d'onde décrivant la matière primitive s'effondrent, donnant naissance à la matière telle que nous la connaissons, avec ses étoiles et ses galaxies. Point n'était besoin d'un « observateur » . Ceci dit, la théorie du collapse objectif décrit un phénomène que certes beaucoup de physiciens considèrent comme crédible, mais elle n'explique pas la raison du phénomène, dans le cadre des lois dites fondamentales.. Roger Penrose et d'autres avaient proposé des hypothèses à cette fin, mais elles ne furent pas reconnues par tous, du fait notamment qu'elles n'étaient pas vérifiables expérimentalement.
Pour Sudarsky et ses collaborateurs, ces objections ne peuvent être faites à la théorie du collapse objectif. Ils ont montré que la vitesse de propagation du collapse objectif telle que précisée par eux correspond à ce que l'on sait des conditions de formation des trous noirs (The Black Hole Information Paradox and the Collapse of the Wave Function, référencé ci-dessous). Plus généralement, la théorie montre que lorsque la fonction d'onde disparaît « au hasard » et dans les conditions décrites par elle, quelque chose de nouveau la remplace, une position bien définie, une information, une certaine quantité d'énergie.
L'énergie naissant du collapse individuel est trop petite pour être perçue par nous, mais à l'échelle de l'univers, ce n'est plus le cas. Ainsi pourrait s'expliquer l'énergie noire. Avec Thibaut Josset et Alejandro Perez de l'Université de Marseille, Sudarsky a montré en 2015 que l'énergie créée à travers les phénomènes de collapse objectif aurait été suffisante pour expliquer l'apparition de la matière. Il faudrait cependant accepter une forme légèrement modifiée de la théorie de la relativité. Serait-ce possible sans bouleverser celle-ci et remettre en cause ses innombrables applications ? Sudarsky le pense.
Cependant se pose alors un problème important. L'énergie noire ainsi créée provoquerait la concentration de la matière, et non sa dispersion ( Voir son article Dark energy as the weight of violating energy conservation, référencé ci-dessous). .En 2016, Sudarsky a annoncé qu'il pensait avoir résolu cette difficulté. Pour lui la théorie de l'objective collapse n'est pas encore assez raffinée. Dans un article récent, ( A (not so ?) novel explanation for the very special initial state of the universe, référencé ci-dessous ) il pense pouvoir montrer que le collapse objectif peut expliquer pourquoi l'univers a commencé dans un état d'entropie, ou désordre maximum, qui n'a cessé de s'accroitre depuis. Cet accroissement d'entropie serait connecté pour nous à la façon dont nous percevons l'écoulement du temps.
Comme il est normal, ces spéculations sont contestées par d'autres théoriciens. Mais un nombre croissant d'entre eux se déclarent prèts à les étudier plus en profondeur, pour cependant qu'elles puissent être soumise à l'expérimentation. Il faudrait pouvoir montrer comment des objets plus grands qu'une particule élémentaire collapsent spontanément. Pour Sudarsky, il existe un seuil naturel au delà duquel les objets quantiques voient leur fonction d'onde s'effondrer et perdent leur caractère d'ondes et de particules. L'observation de cette limite est difficile car ce seuil paraît aujourd'hui au delà de nos capacités d'observation. Mais les chercheurs pensent que dans une dizaine d'années, des expériences significatives le démontrant pourront être présentées. Certains y travaillent déjà.
Si cela pouvait être réalisé, il en résulterait que la fonction d'onde deviendrait la pierre angulaire de la physique moderne, au lieu de ne s'appliquer aux entités quantiques. Mais de quelle nature serait la description du réel susceptible de la prendre en compte, tant avant la naissance de l'univers qu'aujourd'hui ? Il semble en particulier qu'il faudrait considérer que la relativité générale d'Einstein préexiste au même titre que le monde quantique avant toute apparition de particules matérielles. C'est dans le cadre de cette théorie, légèrement complétée comme indiqué précédemment, que se produirait la décohérence de certaines entités quantiques. Autrement dit, même si Einstein n'avait jamais vraiment accepté les hypothèses de la mécanique quantique, il en avait sans le vouloir proposé un des fondements.Plus généralement, il restera à préciser les conséquences de ce nouveau « réalisme » concernant le collapse, tant aux niveaux les plus élémentaires de la matière, que des innombrables objets que nous connaissons, le chat de Shrödiger d'abord, mais nous mêmes et nos cerveaux ensuite.
Références
* Wikipedia Equation de Schödinger https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89quation_de_Schr%C3%B6dinger
* Wikipedia La fonction d'onde https://fr.wikipedia.org/wiki/Fonction_d%27onde
* Wikipedia Réduction du paquet d'onde (on dit aussi effondrement de la fonction d'onde) https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9duction_du_paquet_d%27onde
* Wave function collapse https://en.wikipedia.org/wiki/Wave_function_collapse
* Wikipedia Objective collapse theory https ://en.wikipedia.org/wiki/Objective_collapse_theory
* Wikipedia GRW theory https://en.wikipedia.org/wiki/Ghirardi%E2%80%93Rimini%E2%80%93Weber_theory* Wikipedia Penrose interpretation https://en.wikipedia.org/wiki/Penrose_interpretation* Daniel Sudarsky
https://www.researchgate.net/profile/Daniel_Sudarsky
* The Black Hole Information Paradox and the Collapse of the Wave Function
http://arxiv.org/abs/1406.2011
* Dark energy as the weight of violating energy conservation
http://arxiv.org/abs/1604.04183
* A (not so ?) novel explanation for the very special initial state of the universe http://arxiv.org/abs/1602.07006*New Scientist 13 juillet 2016
https://www.newscientist.com/article/mg23130820-200-collapse-has-quantum-theorys-greatest-mystery-been-solved/