vendredi 18 mars 2011 - par Paul Villach

« OFF » comme Office, Offense et Offensive !

Il faut remercier deux journalistes de l’hebdomadaire Marianne ! Le seul titre, accrocheur en diable, du livre qu’ils viennent de publier, « OFF – Ce que Nicolas Sarkozy n’aurait jamais dû nous dire », donne des bâtons pour battre en brèche la mythologie journalistique de l’information à laquelle avec leur profession ils veulent faire croire : l’information que les médias diffusent ou non. est modelée en fait par les relations qu'ils entretiennent avec le pouvoir.

« Off » et « On », un sabir technique anglo-saxon
 
Le mot « Off », en sabir anglo-saxon, est une métonymie qui désigne l’information livrée par une personne interviewée, une fois que micro, magnétophone ou caméra ont été inactivés en poussant leur interrupteur en position d’extinction, par opposition à la position « On » qui les active. Par l’invention du « Off », le folklore journalistique distingue donc deux types d’informations :
 
1- l’information « On », donnée volontairement pour être diffusée, en accord avec la personne interviewée,
 
2- et l’information « Off », donnée elle aussi volontairement, mais gardée confidentielle dans un cercle restreint dont font partie les journalistes.
 
Le « Off » respecté : le journaliste, attaché de presse volontaire
 
1- Le « Off », une information donnée
 
- Des deux types d’informations ainsi différenciées, seule l’information « On » correspond en apparence à l’une des trois variétés qu’observe une théorie expérimentale (1) : c’est l’information donnée, livrée volontairement par un émetteur. On sait que sa particularité est de n’être pas fiable, parce qu’elle passe au filtre de l’autocensure de l’intéressé qui ne livre volontairement qu’une information susceptible de ne pas lui nuire. 
 
- À quelle variété appartient, en revanche, l’information « Off » ?
 
* Sans doute ressemble-t-elle par un certain côté à l’information extorquée puisqu’elle est dissimulée au public et réservée à un cercle de confidents. L’information extorquée est d’abord, en effet, une information cachée par l’émetteur et qui ne peut être obtenue qu’à son insu et/ou contre son gré.
On comprend que les jugements portés par M. Sarkozy sur ses rivaux aient été gardés secrets. Ils étaient de nature à nuire aux relations qu’il entretenait avec eux. M. Fillon serait une « chiffe molle  », M. Raffarin, « une serpillère  » ; quant à MM Juppé et de Villepin, « des fous  ». L’accusation que porte M. Sarkozy contre ses prédécesseurs pouvait n’être pas moins dommageable : « Tu sais ici, dans ce bureau, aurait-il dit à l’un des deux journalistes en montrant les lieux où ils se trouvaient, ils ont tous volé !  » Qu’il ait pu, en revanche, confier par téléphone tout le mal qu’il pensait de M. de Villepin, alors Premier Ministre, pendant la crise sociale du CPE en 2006, ce n’est plus aujourd’hui une révélation embarrassante : on connaît l’inimitié entre les deux hommes. On découvre seulement que M. Sarkozy ignore si nécessaire la solidarité gouvernementale.
 
* Mais le seul fait que M. Sarkozy livre volontairement ces informations aux deux journalistes en fait tout de même et surtout des informations données.
 
2- Des journalistes devenant attachés de presse
 
Se pose dès lors le problème du statut des deux journalistes qui ont recueilli ces informations. En se gardant bien de les diffuser, ils s’inscrivent dans le cercle des confidents qui ont la confiance de M. Sarkozy et qui ne livrent qu’une information donnée soigneusement passée au filtre de leur autocensure pour ne nuire ni aux intérêts de leur ami qu’ils tutoient, ni aux leurs. Quand des journalistes respectent donc le secret des informations données en « Off » par un homme politique, ils deviennent implicitement ses collaborateurs, appelés encore « attachés de presse », rejoignant ainsi ses autres domestiques à l’office.
 
Le « Off » non respecté : de l’attaché de presse inconscient à l’agent double infiltré
 
Quel statut, en revanche, accorder aux deux journalistes attachés de presse quand, ne respectant plus la règle du « Off », ils publient dans un livre les révélations que M. Sarkozy leur a confiées pendant des années ? Deux cas de figure sont en général envisageables.
 
1- L’instrument inconscient de « la fuite organisée » ou mieux simulée 
 
Le premier est celui où le journaliste est en fait l’instrument inconscient de la fuite organisée ou mieux simulée. C’est une ruse très pratiquée. En raison de la médiocre fiabilité de l’information donnée filtrée par l’autocensure de l’émetteur, il est tentant de la déguiser en information extorquée beaucoup plus fiable parce qu’elle lui échappe. La fuite organisée simulée est une variante précisément du leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée. Le « Off » présente ses éléments caractéristiques :
 
- une information donnée – les jugements de M. Sarkozy sur ses rivaux par exemple - est livrée volontairement au cercle restreint des journalistes avec l’espoir qu’ils la diffusent ;
 
- et paraissant publiée à l’insu et/ou contre le gré de son émetteur, elle acquiert la fiabilité de l’information extorquée.
 
La fuite organisée simulée présente, en outre, un avantage : s’ils suscitent dans l’opinion réserves ou critiques, l’émetteur se réserve le droit de démentir les propos qu’on lui prête, en les attribuant à la fantaisie des journalistes. 
 
Avec un expert en information comme M. Sarkozy, on ne peut écarter qu’il ait espéré voir diffuser tôt ou tard les prétendues confidences faites aux deux journalistes. Ceux-ci, dans ce cas, ne seraient aujourd’hui que les instruments inconscients des fuites organisées simulées qu’il aurait conçues. 
 
2- L’agent double infiltré
 
Le second cas de figure est celui de l’agent-double infiltré. Faisant erreur par quiproquo sur l’identité de son interlocuteur, la personne espionnée livre des informations confidentielles qu’elle garderait secrètes si elle se savait observer. Tous les agents de renseignement du monde agissent ainsi tous les jours.
 
C’est souvent la seule méthode pour obtenir des informations dissimulées par les plans de communication tissés de leurres – masqués depuis peu sous l’appellation ridicule « éléments de langage  » - qu’élaborent des services spécialisés. Des journalistes se sont illustrés dans cette traque de l’information extorquée  : Günter Wallraff s’est travesti en Turc pour mener une enquête sur la vie des Turcs en Allemagne qu’il a publiée dans un livre intitulé « Tête de Turc  » en 1986. Florence Aubenas a usé du même stratagème en se déguisant en chômeuse pour observer la vie des travailleuses précaires : son livre « Le Quai de Ouistreham  », paru en 2010, relate ses découvertes.
 
3- Le règlement de compte d’une amitié déçue
 
Sur un des plateaux de télévision où il court pour une promotion intensive de son livre, Nicolas Domenach a revendiqué cette fonction : « On fait un métier d’une certaine façon d’agent double  », a-t-il prétendu. Ne serait-ce pas une manière habile de travestir plutôt un revirement, voire une trahison. Les deux journalistes revendiquent une proximité amicale avec M. Sarkozy de plus de 20 ans qui s’est brutalement interrompue en 2008. Un désaccord sur la place du « fric » dans la vie, disent-ils, en serait la cause.
 
Un soudain différend conditionnerait-il la transmission de renseignements par un agent double aux parties qui l’ont engagé ? L’étalage des petits secrets que contient le livre de ces deux journalistes, a tout l’air plutôt d’être le règlement de comptes d’une amitié déçue. Et le « Off » révélé devient une offense revendiquée. 
 
Ainsi ces deux journalistes peuvent-ils avoir été tour à tour 1- attachés de presse de M. Sarkozy, 2- instruments inconscients d’une fuite organisée simulée ou 3- agents inflitrés, à moins qu’ils ne soient tout simplement 4- des individus vindicatifs, attachés à nuire à un ancien ami. L’information donnée confidentielle, appelée avec orgueil « Off » par une profession journalistique flattée de vivre dans la proximité des hommes de pouvoir, donne une idée de la complexité de la relation d’information dont on ne ressort pas indemne : garder secrète les confidences d’homme de pouvoir ou les rendre publiques modifie le statut de l’émetteur, surtout quand il les rend publiques subitement après les avoir longtemps garder secrètes. Avec ce « off » trahi, les deux journalistes de Marianne sont passés de l’office à l’offensive par l’offense. Paul Villach
 
(1) Ces trois variétés d’information, définies selon leur mode d’accès, sont les suivantes :
1- l’information donnée, livrée volontairement parce qu’elle sert les intérêts de l’émetteur ou du moins ne leur nuit pas ; en conséquence, pour être filtrée par son autocensure, elle n’est pas fiable sans pour autant être infondée ;
2- l’information indifférente, livrée aussi volontairement, mais parce qu’elle ne nuit aux intérêts de personne, peut en servir quelques uns cependant, et joue un rôle de censure discrète en occupant une place indue qui exclut d’autres informations : il s’agit du temps, du sport, des caprices des stars, des modes d’emploi, tout ce qui ne présente aucun intérêt stratégique ;
3- l’information extorquée, obtenue, au contraire, à l’insu et/ou contre le gré de l’émetteur par divers moyens, pacifiques (l’enquête critique méthodique ou la ruse de l’infiltration) ou violents (écoutes téléphoniques, chantage, etc.) ; pour échapper à l’autocensure de l’émetteur, elle est plus fiable que l’information donnée, sa fiabilité dépendant de la qualité des moyens mis en œuvre pour y accéder.


7 réactions


  • dogon dogon 18 mars 2011 12:53

    Que croire, qui croire et à quoi croire ?
    Il est vrai que NdJ sait bien manier les mass-medias dont ses « meilleurs amis » sont propriétaires en grande partie (Bouygues & Bolloré), mais il fait (ou sait faire) aussi des impairs (« Casse-toi, pauv’ con).
    La servilité des un (J.P.Pernaut, Laurence Ferrari, ...) doit-elle nous pousser à »les« mettre tous dans le même panier ? Et l’explication d’une amitié cassée donne-t’elle plus de poids à ces révélations dont, par ailleurs, tout un chacun d’entre nous se doutait ?
    Même ce petit jeu du »off & on" qui ressemble beaucoup à celui du chat et de la souris, ne peut apparaître comme innocent.


    • Paul Villach Paul Villach 18 mars 2011 14:24

      @ Dogon

      Surtout, il faut en finir avec cette mythologie de l’information composée de notions et dogmes farfelus que les médias ont inventé pour assurer leur promotion et qu’ils ne cessent pas de répandre croyant asseoir leur crédit.

      Passées au crible de l’analyse, toutes ces notions n’ont aucun fondement expérimental.
      Le « Off » est un exemple de ces notions. Paul Villach


    • dogon dogon 18 mars 2011 16:45

      Et que dire alors de leur « déontologie » ?

       smiley


    • Paul Villach Paul Villach 18 mars 2011 16:55

      @ Dogon

      « La sacro-sainte déontologie » est présentée par les journalistes comme un argument d’autorité devant lequel on est prié de s’incliner...
      Ils me font l’effet d’un clergé qui n’a pas encore compris que ses fidèles sont devenus incroyants à cause de ses inconduites ! Paul Villach


    • dogon dogon 18 mars 2011 17:16

      Eh oui.
      Au moins, l’avantage du curé, c’est qu’il peut compter ses ouailles, le dimanche à la messe.
      Nos journaleux s’imaginent que nous croyons encore dans les chiffres donnés par des médiapart et autres instituts de « sondage ».


  • docdory docdory 18 mars 2011 23:02

    Cher Paul Villach

    Sur le bandeau de couverture, en dessous du mot « off » il y a marqué « ce que Nicolas Sarkozy n’aurait jamais du nous dire » 
    Un autre sous-titre paraîtrait plus judicieux : « ce que Nicolas Domenach et Maurice Szafran n’auraient jamais du nous taire ».
    En effet, aucun journaliste digne de ce nom ne devrait se prêter à ce jeu, ou plutôt cette mascarade, du « on-off » . Ce qui est dit par le Président est dit, et par conséquent devrait être divulgué par des gens dont le métier est, en théorie, d’informer le public.
    Si je comprends bien,les deux journalistes n’ont rien révélé pendant un certain nombre d’années, de déclarations plus ou moins fracassantes qu’auraient faites Sarkozy. Pourquoi ont ils attendu autant ?
    Ça fait un peu gamineries de cour de récréation, cette histoire : « j’te dis un secret à propos de Machin, mais tu me jures que tu ne le répéteras pas ! » Et puis un jour, le dépositaire du « secret » finit par le dire à tout le monde, parce que cela devient brusquement son intérêt de le faire !
    En l’occurrence, il ne faut pas négliger l’intérêt financier : un bouquin comme ça ne manquera pas de se vendre à au moins 50 000 exemplaires !


    • Francis, agnotologue JL 19 mars 2011 09:31

      En effet, quelle hypocrisie que ce sous-tite, et quelle trouvaille que celui de docdory : « ce que Nicolas Domenach et Maurice Szafran n’auraient jamais du nous cacher ».

      Nous cacher qui ? Non pas ce qu’ils savaient, mais cette collusion qu’ils entretenaient avec le pouvoir, en tant que vassaux, je dirais même, corrompus : car ce n’est rien d’autre que de la corruption, une sorte de pétainisme que de d’accepter de se mutiler ainsi en tant que professionnels.

      Qui se ressemble s’assemble dit-on.



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