lundi 15 mars 2010 - par Brath-z

On achève bien les représentants !

En dehors de l’affaire Zemmour, le véritable scandale de l’émission Salut Les Terriens du 6 mars 2010.

Je n’ai pas la télévision. N’étant ordinairement pas pourvu d’une connexion à Internet, il m’est difficile à réagir en temps et en heure aux scandales et événements qui agitent le monde médiatique.

Je profite du retour dans la Brie de mon enfance à l’occasion de l’accomplissement ce dimanche de mon devoir citoyen (le vote au premier tour des élections régionales, où je compte bien voter pour la liste du Front de Gauche) pour me mettre au courant des divers agitements des derniers jours. Parmi lesquels, l’affaire Zemmour. J’ai donc trouvé moult vidéos en ligne dans lesquelles nous voyons Eric Zemmour dire "la plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes, c’est un fait". Bon, c’est peut-être là un fait, le fait est que les statistiques ethniques n’existent pas en France, aussi est-ce difficile d’infirmer ou de confirmer un tel propos. Par contre, c’est là en effet le ressenti d’une bonne partie de la population (je dirais bien "l’immense majorité", mais enfin, il n’y a pas encore eu de sondage sur ce sujet-là...).
Cette "sortie" est de peu d’importance. Les associations anti-racistes de pacotille ont fait leur boulot (à savoir entretenir le racisme de manière dialectique, par une rhétorique agressive et un systémisme à géométrie variable). Eric Zemmour s’est fait copieusement insulter dans à peu près toutes les émissions où il a été (ou non) invité, comme il sied dans une démocratie.

Mais je note qu’on a peu réagi, sauf pour l’encenser, sur le propos tenu par l’une de ses contradictrices, Rokhaya Diallo (fort plaisante à regarder, au passage). Pourtant il me semble infiniment plus scandaleux que toutes les rodomontades de M. Zemmour et consort sur la répartition "ethnique" de la délinquance (notons tout de même qu’une fois de plus la logique a été mise à mal : "la plupart des trafiquants sont noirs ou arabes" s’est vu transposé en "la plupart des noirs et des arabes sont trafiquants", mais c’est là une constante dans le langage politico-médiatique).
En effet, Mlle Diallo a déclaré "il n’est pas normal qu’aujourd’hui le parlement soit composé à 82% d’hommes" et dans laquelle on a en immense majorité de "blancs" (je met le terme entre guillemets parce qu’un "blanc", cela n’a pas plus d’existence qu’un "noir"... mon père, Andalou, se faisait traiter de "nègre" en Castille). Que révèle un tel propos ? Tout simplement l’un de ces glissements sémantiques organisé (pour ceux qui n’y voient qu’un hasard ou qu’une adaptation naturelle aux réalités actuelles, je renvoie aux glissements sémantiques opérés sciemment et de manière cohérente et organisée dans le passé, tels que les mots "république", "syndicat", "organisation", "démocrate", "populiste", "intégration", etc.). Ici, le passage de "représentants" à "représentatifs".

Depuis quand nos représentants doivent-ils être représentatifs de ce que nous sommes ?

Le représentant est le mandaté de la Nation (une chose qui m’énerve singulièrement est l’habitude qu’ont pris les journalistes de parler de "député de Seine-et-Marne", "de l’Yonne", et autres... Un député, c’est un député de la Nation. Si l’on veut être plus précis, on pourra parler de "député élu dans la troisième circonscription des Pyrénées Atlantiques"). Son rôle, ce pour quoi il est élu - c’est-à-dire mandé par le peuple -, est la défense des intérêts du peuple, la garantie des droits civils ("droits de l’homme en société") et naturels ("droit imprescriptibles et inaliénables de la personne humaine") des citoyens, ainsi que la défense du "bien commun" (res publica en bon latin). Son rôle n’est pas de représenter la société, ni le corps des citoyens, mais d’en représenter les intérêts. Le fait de savoir en quoi consistent ces intérêts étant plutôt du ressort du subjectif et largement sujet à caution (nous sommes humains, donc sujets à de constantes erreurs), il est normal que des divergences de vues existent, ce qui explique l’existence de différents partis.
Mais depuis les années 1970 et la culture du "droit à la différence" (conception absconse ayant remplacé le "droit à l’existence" de MM. Mirabeau et Robespierre - comme quoi même entre deux hommes que tout oppose, on peut trouver des points de convergence -, issue au départ des milieux gauchistes et ayant infesté telle une gale tout le spectre politique, au point que dans bien des pays, l’argumentaire de l’extrême-droite racialiste se base dessus), on a commencé à vouloir changer le rôle dévolu à l’élu de la Nation. On en a voulu faire un porte-étendard représentatif du peuple. Expliquez-moi donc comment 577 députés et 343 sénateurs peuvent être représentatifs de plus de 42 millions d’électeurs inscrits ?

Cette conception nous vient (comme la plupart des conceptions pourries de ces quarante dernières années, d’ailleurs) des États Unis d’Amérique. Elle y a surgi, fort logiquement, du fait de la communautarisation de la société, ainsi que de la perte du sens du politique (même si je ne nie pas les qualités de MM. Kennedy, Johnson, Nixon, Carter, Reagan, Bush, Clinton, Bush et Obama, il n’empêche qu’ils ont tout de même été surtout élus pour ce qu’ils étaient plutôt que pour ce qu’ils proposaient). Et quelque part, elle y était nécessaire, pour maintenir la cohésion du pays et empêcher qu’il y ai un "état des noirs", un "état des blancs", un "état des latinos", un "état des asiatiques", etc.
Mais en France, quelle aberration !

Son importation est surtout, à mon sens, due à une perspective électoraliste. C’est tout particulièrement le vide politique qu’elle permettait qui a séduit nos élites politiques. Ainsi, un prétendant à une élection pouvait arguer pour devenir représentant de sa proximité avec le peuple. Proximité de manières, d’us et de coutumes comme cela se faisait bien auparavant, mais aussi proximité "de nature", "d’essence" (il est d’ailleurs amusant de constater que ce sont notamment Jean-Paul Sartre et ses émules, existentialistes proclamés, qui sont responsables pour une large part de l’introduction de cette réduction essentialiste).
Bref, c’est plutôt à mon avis l’impact psychologique d’une telle vision des choses qui a conduit à son adoption de plus en plus effrénée. Ça et puis peut-être, déjà, un souci de cacher la trahison des mandatés, que l’on a transformé en "dirigeants" et dont on a omis qu’ils étaient surtout là pour servir notre intérêt à nous, citoyens.

De là, la ridicule loi sur la parité hommes-femmes aux élections.
De là, bientôt, peut-être, les futurs quotas de "minorités visibles" (par opposition à la "majorité invisible", surement) dans nos assemblées.

C’est surtout cela qui est scandaleux.
C’est surtout de cela que l’on ne parle pas.
 


9 réactions


  • jakback jakback 15 mars 2010 11:52

    Je ne pensais pas un jour partager une analyse avec un partisan du front de gauche, comme quoi il ne faut jamais désespérer, tout est possible.
    En lisant , http://www.metrofrance.com/MTE_CP/blogs/mafia. c’est curieux, mais je me suis dit que Zemmour disait ce qui doit être tu, afin de ne pas nuire a ce vous dénoncez si justement.


    • Brath-z Brath-z 15 mars 2010 18:53

      Comme je le mentionnais dans l’article dans une parenthèse à propos de MM. de Rospierre et de Mirabeau, « même entre deux hommes que tout oppose, on peut trouver des points de convergence ». Ceci-dit, je suis partisan du Front de Gauche, tendance nationaliste et populiste français (j’ai d’ailleurs commis un article sur Agoravox traitant du populisme), ce qui me place quelque peu en marge du mouvement.

      Quant à M. Zemmour, il est peut-être effectivement une « soupape de sureté » permettant en sus de déplacer les problématiques, mais j’aime assez ses analyses, même si son attachement à la France (son patriotisme, autrement dit) est extrêmement passéiste et nostalgique (ce qui l’empêche d’un faire un véritable nationaliste).


  • sleeping-zombie 15 mars 2010 13:46

    Article intéressant.

    Tu insistes sur le glissement « représentant » vers « représentatif » que tu trouves néfaste. Je suis d’accord.
    Tu donnes un bon exemple avec les présidents américains qui sont élus par qui ils sont plutôt que par ce qu’ils proposent. Vu de mon fauteuil ça me parait vrai, mais je connais pas d’électeur américain.
    Mais ce glissement est-il évitable ? Je m’explique : les députés (puisqu’on parle d’eux, mais ça s’appliquent à tous les élus en France) ne sont soumis à aucune obligation de résultats. Il n’existe aucune procédure de révocation d’un élu. On peut très se faire élire sur la base d’un programme pour immédiatement faire l’exact opposé.
    Par contre, on ne change que rarement de personnalité, ni de situation sociale, ni de sexe, ni de couleur de peau...

    Dans ces conditions, peut-on vraiment se lamenter d’un tel glissement ?

    (et puis, ça vient pas des états-unis, le fruit est le même outre-atlantique et le ver qui le mange est également le même)


    • Brath-z Brath-z 15 mars 2010 19:13

      Ce glissement est-il inévitable ?
      Non. En France, il semble même montrer des limites, puisqu’il ne suffit pas d’être candidat d’un des deux grands partis, d’être issu d’une « minorité visible » et d’avoir une belle gueule pour être élu.

      Peut-on se lamenter d’un tel glissement ?
      On peut se lamenter de tout et n’importe quoi. Ma grand-mère passe son temps à se lamenter de la grisaille en automne, du froid en hiver, du vent au printemps et de la chaleur en été...

      Mais plus sérieusement, s’alarmer de cette « dérive » (pour employer un mot journaleux) me semble tout à fait légitime, surtout dans un pays, la France, où, traditionellement, la fracture politique ne se fait pas entre deux modes de gestion dans un contexte de « bonne gouvernance » mais entre deux systèmes politiques (j’appelle « système politique » un quadruple modèle économique-social-sociétal-institutionnel).
      On peut aussi, et c’est mon cas, s’alarmer de la réduction éssentialiste que révèle ce glissement. Car arguer que, puisqu’on ne peut pas changer sa couleur de peau (demandez donc à feu M. Jackson ;p ), son sexe, etc. et en conclure que c’est sur ces fondamentaux qu’il faut fonder une identité politique (c’est le mot « politique » qui est le point d’achoppement, ici), cela revient à prétendre que, par exemple, les hommes blancs sont « par essence » autoritaires et conservateurs, les « femmes noires » consensuelles et progressistes. Vision essentialiste qui me semble d’autant plus idiote que, si les races existent (on dit « ethnie » aujourd’hui), on est absolument pas capable en observant un individu, même dans les détails les plus profonds, de déterminer sa race (parce que nous sommes tous et depuis fort longtemps des batards et que de toute manière une « race », c’est une conception empirique qui varie selon les critères choisis pour l’évaluer).

      Quant au fait que cela ne vient pas des États Unis d’Amérique, je le pense erroné. Si cette conception n’est peut-être pas née aux États Unis d’Amérique, c’est bien par ce biais qu’elle est parvenue en France (via un tas de mouvements de diverses natures). Et effectivement, cette conception produit là-bas autant de dégats (plus, car elle est plus intégrée) qu’ici. Mais elle permet également de résoudre certains problèmes spécifiques aux États Unis d’Amérique (pays racialiste et communautariste, contrairement à la France qui est universaliste et républicaine, donc les deux modèles rencontrent des problèmes de différentes natures), notamment de ne pas exploser en « pays raciaux » en promouvant la « diversité raciale » jusqu’au plus haut sommet de l’état.
      Donc je pense que, jusqu’à ce que le discours de M. Obama en 2007 qui disait « il n’y a pas une Amérique blanche, il n’y a pas une Amérique noire, il y a les États Unis d’Amérique » recouvre une réalité, cette conception est nécéssaire pour cette nation.


  • finael finael 15 mars 2010 17:46

    Bien vu.

    Sans refaire l’ensemble de l’article :

    - La confusion entre « représentants » et « représentatifs »

    - L’oubli qu’un député est un « député de la nation » et non un « député de sa circonscription »

    etc ...


  • catherine 15 mars 2010 23:35

    « Lettre de Maximilien Robespierre à ses commettants, j’entends par là tous les Français » était le nom de son canard quand il en a eu un. On ne peut pas dire la même chose que vous en moins de mots.

    Quant à nos commis (infidèles) d’aujourd’hui, leurs intentions se voient à ce qu’ils se font élire sur des slogans débiles en guise de programme.

    Ce pourquoi M. José Saramago a pu dire dans une interview récente (je cite de mémoire) : Tant que 83% des électeurs ne voteront pas blanc, rien ne sera possible.

    Pourquoi seulement 83%. Pourquoi pas une unanimité de la nation pour refuser ce qui n’est plus qu’un leurre ?

    Seule question intéressante : comment voter autrement ?


  • pierrot123 16 mars 2010 09:19

    « ...divers agitements...
    s’est fait copieusement insulté...
    pour l’ensenser...
    l’habitude qu’ont prit...
    infesté telle une galle...
    ils ont tout de même été surtout élu... »

    Signé :  le râleur orthographique de service...

    (Bon article au demeurant...)


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