Onana : « J’accuse » ?
Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice …. Ma lettre ouverte est sortie comme un cri. Tout a été calculé par moi je m'étais fait donner le texte de la loi, je savais ce que je risquais. »
Zola[1] - Affaire Dreyfus
Lorsque Zola fit publier son « J’accuse » dans « L'Aurore du 13/01/1898 », il a été poursuivi et condamné par la justice. Ernest Vaughan, fondateur et directeur de l’Aurore n’a pas été inquiété, tandis que le gérant de ce même journal, Alexandre Perrenx, lui, a été co-accusé et co-condamné avec Zola, à « un an de prison et à trois mille francs d’amende » le 18/07/1898. Zola se réfugia à Londres, jusqu’à son « acquittement » le 3 juin 1899.
Pour rappel, en 1894, Dreyfus avait été condamné au bagne à perpétuité et ce n’est que le 19 septembre 1899, qu’il a vu son procès révisé et qu’il « accepta » la grâce du Président Emile Loubet[2]. Dreyfus ne fut définitivement réhabilité qu’en 1906[3]. Il meurt le 12 juillet 1935. Zola, lui, mourut en 1902 asphyxié par des émanations de CO2 refoulé par le poêle de sa chambre à coucher[4]
Charles Onana, politologue, journaliste d'enquête, essayiste franco-camerounais, est l’auteur de plusieurs livres[5] sur la tragédie du Rwanda et des Grands Lacs en général, pour l’un des derniers desquels il est trainé en justice, avec les éditions du Toucan, du 7 au 11 octobre 2024, devant la 17ième Chambre du Tribunal correctionnel de Paris, par des parties civiles[6] l’accusant, depuis 2020, de négation du génocide des Tutsis du Rwanda[7]. Précédemment, une action en justice avait déjà été intentée contre lui, pour un de ses autres écrits, par le gouvernement Rwandais, mais cette action avait été abandonnée au début des années 2000 : cause perdue ?. Actuellement, Onana affirme se battre pour les droits de tous les rwandais, mais aussi des autres victimes de la barbarie du régime totalitaire rwandais. Dans la présente affaire la décision du tribunal serait connue le 9 décembre à 13h30. Elle sera de la plus haute importance après la relaxe de Natacha Polony, le non-lieu pour le père Wenceslas Munyeshyaka, celui de Callixte Mbarushimana et celui, à contrario, dans l’attentat du Falcon 50 et de la « fabrication » du rapport Duclert[8]….
Mais pourquoi associer Zola et Onana, me direz-vous ?
En paraphrasant Guy Béart : « Zola avait dit la vérité : il devait être exécuté », on pourrait ajouter : « Onana veut dire la (sa) vérité (ou du moins un début de cette vérité) faudra-t-il donc aussi, qu’à heure et à temps, il soit exécuté, ne fut-ce que symboliquement ? ». Sera-ce le rôle du procès actuel ?. Car selon Charles Onana, repris par RFI : « Je sais que Kagame avait demandé la tête de la procureure Carla Del Ponte au TPIR et il l'a eue. Il avait demandé à obtenir aussi la destruction de l'enquête du juge Bruguière, et il l'a eue. Aujourd'hui, il demande la tête de Charles Onana, mais il ne l'aura pas ! »
Mais de quelle vérité sera-t-il donc question dans le verdict de ce procès ? La vérité judiciaire devra-t-elle tordre le bras, à l’approche actuelle de la réalité factuelle ? Pour le commun des mortels, ne faudrait-il pas, au préalable de la décision de justice, rappeler quelques faits « historiques » récents[9].
La pratique des disparitions-exécutions-empoisonnements d’opposants, de repentis, de chercheurs, de concurrents, de journalistes ou de dissidents est coutumière pour le clan « Kagame and Co » depuis, sans doute, bien avant l’accession à la tyrannie du dernier Ababega en date, Paul Kagame.
Les Fred Rwigéma, Seth Shendasonga, Théoneste Lizinde, Emmanuel Gapisy, Kizito Mihigo, Félicien Gatabazi, Lando Ndasingwa, Patrick Karegeya, Jules Mutebuzy, Peter Bayingana, Chris Bunyenyezi, Melchior Ndadaye, Rosalie Gicanda, Joseph Kabila, Kayumba Nyamwasa, Bosco Ntaganda, Rose Kabuyé, Pieter-Jan Staelens, Thomas Ngeze, John Williams Ntwali[10], Jean-Léonard Rugambage, Charles Ingabire, Dieudonné Niyonseng, Théoneste Nsengimana, Callixte Gakwaya, Pierre Gaudreau, Juvénal Uwilingiyimana, le Laurent Nubaha, Rodolphe Twagiramungu, Emile Gafirita, et al. ne se comptent même plus. Le « cimetière privé » de Kagame commence à faire, en nombre de tombes, de l’ombre[11] à celui des Clinton[12].
Pour le reste on ne peut que se poser des questions sur les harcèlements, les « tentatives » d’enlèvement, les menaces ou intimidations dont auraient été victimes non seulement des Judy Rever, Michela Wrong, Peter Verlinden, Paul Rusesabadgina, Tribert Rujugiro Ayabatware, Callixte Mbarushimana, Denis Mukwege, Carine Kanimba, Victoire Ingabire mais également de simples citoyens lambda (Pégasus oblige !)
Mais, me direz-vous, Onana n’a pas « encore » été assassiné ! [13]… Quoi que ….n’empêche ![14] … on ne peut éviter de se remémorer les morts ou disparitions mystérieuses de certain(e)s et les questions qu’elles soulèvent. 3 exemples (non exhaustifs) me suffisent :
- qu’en est-il de l’« enquête sans résultats » sur les causes du crash, le 12/02/2009, du vol 307 Colgan Air de Newark vers Buffalo, où Alison Des Forges a trouvé la mort ? Des Forges est l’autrice du livre : "Leave none to tell the story : genocide in Rwanda [15] ». « Enquête » qu’Onana et bien d’autres experts ont analysés et pour laquelle les biais en faveur du FPR semblent flagrants mais qui n’en était pas moins une des « bibles » du TPIR, à l’époque. Néanmoins, Alison Des Forges avait trouvé son chemin de Damas et avait même témoigné, en défense, au « procès en gacaca, catégorie 1, pour complicité au Génocide », du Père belge Theunis à Kigali[16]. Elle revenait de Londres, ce jour funeste de février 2009. Elle y aurait été défendre un rapport qu’elle aurait produit à la demande du gouvernement britannique, sur l’opportunité de l’intégration du Rwanda au Commonwealth. Elle aurait déconseillé cette possibilité. Mal lui en a pris ?
- qu’en est l’enquête sur le « suicide » du Major Stefan Stec[17] (Casque bleu polonais de la Minuar) ? « I had a conversation with a British colonel. And I asked him, "sir, I heard it was a war between you and the French," and he said, "yes, and we have won."(juillet 94). Le syndrome du stress post-traumatique a-t-il bon dos ?
- qu’en est-il de l’enquête (s’il y en eu une ?) sur le suicide[18] en 2002 de Sian Cansfield, « the gosth writeress » (la négresse, en français)[19] de Roméo Dallaire pour son « J’ai serré la main du diable » ? A la fin de la rédaction de ce livre (objet de la thérapie que Dallaire suivait pour se soigner de syndromes de stress post-traumatique) : « elle avait commencé à perdre de son objectivité » dixit Dallaire himself (Page 19 de la préface) (?) Était-ce à l’insu du plein gré de Dallaire qu’elle avait, imprudemment, rapporté la terrible phrase qu’elle lui met dans la bouche « …qui avait tiré ses ficelles (de Kagame) tout au cours de la campagne ?….. La campagne et le génocide n’avaient-ils pas été orchestrés pour un retour du Rwanda au statut quo d’avant 1959, époque à laquelle les Tutsis dirigeaient tout ? Les extrémistes hutus avaient-ils été plus dupes que je ne l’avais été moi-même ? Dix ans plus tard, je ne peux toujours pas éluder cette troublante question surtout à la lueur des événements qui, depuis ont eu lieu dans la région ! »(p 588 en français – 476 en anglais). Trente ans plus tard, Dallaire ne semble toujours pas avoir pu éluder la question. Ne pourrait-il pas être poursuivi pour ce questionnement ? Quelle est la différence entre planification et orchestration ???? Evidemment, en tant qu’ex-sénateur à vie, il est immunisé …[20] …. …. ?
Dans un registre moins tragique mais malgré tout, hautement significatif, que penser des « incidents à caractère diplomatique » révélateurs des attitudes délétères du gouvernement rwandais en déclarant persona non grata au Rwanda les ex-Ambassadeurs de Belgique (Johan Swinnen) et des US (David Rawson, Flaten), la procureur Carla Del Ponte[21] du TPIR, la « senior advisor for the African continent at Human Rights Watch » Alison Des Forges (†), l’ambassadeur US au Burundi Robert Krueger. Finalement, depuis plus d’un an, le Gouvernement belge[22] n’a toujours pas accrédité d’ambassadeur du Rwanda en Belgique après le refus du candida Karega (impliqué, alors qu’il était ambassadeur en Afrique du Sud, dans l’affaire Karageya – Cfr. Michela Wrong et son « Do not Disturb » ). Il n’y a toujours pas d’Ambassadeur belge au Rwanda, depuis cet incident !!!!
Dans mon avant dernier papier[23] j’avais émis le regret qu’Onana n’ait pas été sollicité dans les investigations du collectif « Forbidden stories – Rwanda Classified ». Il aurait eu son mot à dire dans certaines affaires, dans certains détails semblent mineurs mais dans lesquels le diable se cache et révèle le véritable visage du coupable du tout premier des crimes (celui qui a entraîné le génocide) : le crime contre la paix commis le 01/10/1990 par Kagame. Car ne peut-on souligner ces autres faits troublants dans la genèse pré-génocide sans être traiter de complotiste-négationniste ?
J’en cite quelques-uns dont j’aurais aimé qu’Onana développe le « sens » :
- L’annonce, le jeudi 07/04/1994 au journal de 8h (heure de Kigali) de RFI, d’une embuscade sur la route de l’aéroport de Kanombe, visant des casques bleus belges qui aurait fait 4 victimes ….. Il semblerait que ce document RFI n’existerait pas (plus) à l’INA …. Qui était en charge des émissions d’information de RFI à cette époque : la journaliste francorwandaise, Madeleine Mukamabano[24], l’animatrice depuis une quinzaine d’années du « débat africain », cette émission dominicale sur RFI ? sic https://www.musabyimana.net/tag/madeleinemukamabano/
- La mort, au Camp Kigali, des +/10 casques bleus belges, entre 11 heure et midi, le 07/04/1994. Certains ne déclarent-il pas avoir compté 11 corps ? ….
- Que faisait le lieutenant Lotin de la Minuar sans ordre de marche avec des membres du FPR dans le parc de l’Akagéra, sur la route aérienne de Dar El SalamKanombe-Kigali, le 06/04/2024, quelques heures avant l’attentat ?….
- Qu’en estil de la mise sur pied de l’opération Distant Runner[25], programmée semblet-il bien avant la décision de retirer les forces US de Somalie suite à l’incident « Black Hawk Down », par le Général Shalikashvili.(†)
- Le « chiffon de papier » expression qu’aurait employé Habyarimana mais qui en fait était sortie de son contexte et qui était « si les accords d’Arusha ne correspondent à rien dans les cœurs, alors ce ne sont qu’un chiffon de papier ». Dans une culture de l’oralité où le papier et l’écriture revêtent un aspect ésotérique, « La guerre du faux [26] » trouve un « terreau » particulièrement fertile….
Au vu de ce que je me suis remémoré ci-dessus peut-on se demander si les interrogations qu’Onana formule, les doutes qu’il exprime constituent un délit ? Pour un citoyen lambda cela semble véritablement impossible. Dans quelle mesure le fait de se poser des questions (qui buttent systématiquement sur le mur de caoutchouc de l’histoire officielle et sa chape de plomb) et de mettre en évidence les incohérences qui ressortent des éventuelles réponses, peut-il être cause d’un préjudice grave et difficilement réparable infligé à ceux qui défendent la mémoire et le respect dus aux victimes ? Au contraire, si se poser des questions peut aider à mieux cerner les réponses possibles pour rendre les honneurs dus aux millions de morts du Rwanda et de la RDC : alors Onana pourrait paraphraser Zola : « Mon devoir est d’écrire, je ne veux pas être complice ».
En tant que monsieur « tout le monde », je me sens d’autant plus conforté dans ce que j’exprime, dans le dernier paragraphe ci-dessus, que je relis la préface du livre de Patrick Mbeko : « Rwanda – Malheur aux vaincus. 30 ans de crimes, de manipulations et d’injustice couverts par l’Occident » (éditions Duboiris). Cette préface est signée de Johan Swinnen, ancien ambassadeur de Belgique au Rwanda et en RDC. Il y pose un nombre très important de questions (sans réponses) qui ont été reprises dans son témoignage en défense lors d’une des premières séances du procès actuel d’Onana. Un diplomate doit-il s’en tenir aux questions tout en laissant en suspens les réponses ? Il y a des silences éloquents !!!!
A suivre ?
[1] Et c'est à l'issue du procès d'Émile Zola qu'a lieu la première réunion jetant les bases de la future Ligue des droits de l'Homme le 25 février 1898
[2] « La vérité, qui est une, a l'éternité pour elle » (Zola, lettre à Loubet, 1900)
[3] https://gallica.bnf.fr/blog/04032013/la-verite-qui-est-une-leternite-pour-elle-zola-lettre-loubet-1900?mode=desktop
[4] Dont la cheminée aurait, cependant, été ramonée peu avant la nuit fatidique ( !)
[5] Les secrets du génocide rwandais : enquête sur les mystères d'un président (2002) - Silence sur un attentat, le scandale du génocide rwandais (2005) - Ces tueurs tutsi - Au cœur de la tragédie congolaise. (2009) - Europe, crimes et censure au Congo (2012) - La France dans la terreur rwandaise (2019) - Enquêtes sur un attentat : Rwanda, 6/4/1994 – 25 ans d'investigations pour un non-lieu.( 2021) - Holocauste au Congo : L'omerta de la communauté internationale (2023)
[6] La FIDH, la LDH et Survie. Mais étrangement pas IBUKA, semble-t-il ( ?).
[7] Rwanda, la vérité sur l'opération turquoise - Quand les archives parlent. (2019)
[8] Coïncidence navrante : Vincent Duclert serait un spécialiste de l’Affaire Dreyfus mais d’autre part aurait ignoré ou du moins n’aurait jamais référencé ou évoqué le Mapping Rapport - Navanethem Pillay Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme.
[10] https://rsf.org/fr/rwanda-rsf-alerte-sur-le-bilan-dramatique-en-mati%C3%A8re-de-libert%C3%A9-de-la-presse-de-paul-kagame-qui
[11] Allitérations : « Depuis tant de grands soirs que tant de têtes tombent » Brassens-Mourir pour des idées. « ….. incestuous sheets… ; » Shakespear -Hamlet. « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? » Racine – Andromaque.
[12] Carlos Rivero Collado - https://www.legrandsoir.info/le-cimetiere-prive-de-bill-et-hillary-clinton.html
[14] Qu’en est-il de https://l-hora.org/fr/justice-une-plainte-deposee-a-paris-contre-le-president-paul-kagame-pour-menace-de-mort-contre-lecrivain-charles-onana-tebo-dia-mase-topdirect-05-10-2024-2/
[16] Le Père Theunis a été extradé (après condamnation en Gacac) vers la Belgique, sous « condition » que la justice belge le passe en jugement à Bruxelles….Ce qui n’a jamais eu lieu….. !
[17] The Rwanda Forum, Saturday 27th March 2004 - CD 4, 21'25" Stefan Stec
[19] https://www.rmoutlook.com/mountain-guide/waiting-an-important-read-on-ptsd-1569858
http://www.freerepublic.com/focus/f-news/1014527/posts
Although the book's publisher, Random House Canada, said Ms. Cansfield's suicide last summer was not linked to her research on the book
[21] « Si l’attentat sur le Facon 50 présidentiel, était attribué au FPR, l’histoire du génocide devrait être revue ! »
[22] https://www.rtbf.be/article/le-rwanda-n-enverra-pas-d-autre-ambassadeur-a-bruxelles-que-m-karega-assure-le-president-paul-kagame-11349487
[24] Abdoulaye Bathily représentant spécial du Secrétaire général des Nations Unies en Afrique et chef du bureau des Nations Unies en Afrique Centrale, jusqu’en avril 2024. Epoux de Madeleine Mukamabano.
[25] Opération de débarquement amphibie par le USS Peleliu, appareillant de Mogadiscio pour Mombassa et héliportée de Mombassa jusqu’à Bujumbura (avec ravitaillement en vol par KC130) pour y rejoindre les forces de l’Africom de Stuttgart, arrivées avant l’attentat ?????
[26] Umberto Echo - https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Guerre_du_faux