Palettes, trait d’union
Une palette, censée ne servir à plus rien une fois déplacée par un engin de chantier,- plus communément dénommé transpalettes par les usagers-, est une construction de bois susceptible de porter une charge de une tonne au mètre carré, ciment, granulés de bois, panneaux de plâtre, courgettes, carrelages, cartons de fromage de Hollande ou toute autre denrée lourde ou volumineuse. C’est un objet à usage unique au même titre qu’un stylo, un briquet ou un rasoir sauf que ces plastiques durs sont traités de déchets ultimes tandis que les palettes sont récupérées par des grouilleux non patentés et qu’elles prennent alors mille usages.
Par chez moi elle sert de palissade , de marche-pieds pour passer par dessus des barbelés, de support de bottes de foin pour qu’il ne touche pas le sol, reste aéré et ne moisisse pas ; ailleurs elle peut être un sommier, un bois de fauteuil ou canapé, une table basse ou haute, une étagère... l’imagination alliée au besoin, soumise à la dextérité, fait de cet objet un basique sans poésie ou bien une création imperfectible, et peut aller jusqu’à la déco up to date du bobo parisien en mal d’en-canaillerie.
Le stade supérieur est montré ici :
https://www.google.com/search?client=firefox-b&q=maison+en+palettes
Elle est le lot commun des décroissants et des pauvres sans mal d’idées, des habitants transitoires des ronds-points ou des ZAD. On peut en faire le symbole de l’objet utile, mutli utile, dédaigné par la société de consommation qui préfère le gaspillage et les déchets, à la récupe et l’ingéniosité.
Elle est la petite fée de tous ceux qui possèdent dans leur dignité les lettres de la décroissance involontaire (des) gens, nouveaux irréductibles terriens émancipés. Ceux-là qui ont leurs quartiers aux carrefours ronds des routes et s’abritent sous la construction hâtive de palettes calées les unes contre les autres, recouvertes d’une bâche ; abri que n’auraient pas dédaigné les pastres de naguère quand ils n’avaient pas atteint leur borie. Ou bien y installent leur chaîne stéréo, réserves et autres objets rassemblés hors vue des passants. Dehors le feu brûle et parfois une palette brisée y anime la flamme.
On a bien évidemment, du campement aux abris de fortune, des Zad aux Ronds-Points comme châteaux forts des valeureux, tours de guet des combattants, une semblable résistance aux vents mauvais des dominants. Sous les ponts, chez les gueux, si elle n’a pas pris l’allure d’un combat, la résistance n’en est pas moins vitale. Et la palette un matériau de première importance.
La récupération des objets au rebut des consommateurs, la transformation de leur destination, c’est comme des ondes qui relieraient des rebelles, des originaux ingénieux, une séparation d’avec le monde ordinaire tant la consommation fait passer le temps. Mais cela ne correspond à aucune autre distinction, ni âge ni sexe ni classe sociale, une connivence des profondeurs qui trahit aux yeux de l’ improbable observateur un lien très spécifique à la vie, à la vie ensemble et au rapport aux choses : une attitude qui n’a pas subi l’essorage contemporain, qui est restée dans la vieilloterie des grands-pères, la radinerie des grands-mères mais pas vues comme une punition ou comme un martyre mais bien comme la satisfaction de la créativité qui optimise les données.
L’inattention, l’imprécision, l’incompétence, le gaspillage, la pollution font partie des effets les plus délétères de l’obsession de gain ; en face ni gaspillage ni pollution, une attention, une précision, donc une compétence : la décence, le bon sens qui ont accompagné les êtres pendant des siècles.
Oui, il peut recouvrir cela aussi, le mouvement des gilets jaunes : se révolter contre la passivité, l’ignorance, l’incompétence qu’impose ce monde ainsi dirigé. Oui, il peut remettre à l’endroit des valeurs universelles de plénitude, de contentement de soi quand l’œuvre achevée réjouit le corps et l’âme de l’auteur d’une bien autre façon que le bon coup gagné ! Oui, il peut se prévaloir du bon sens et de la décence commune et réinstaurer le vivre ensemble.
Oui, on peut faire beaucoup de choses ensemble, à condition que ceux qui ont envie de faire quelque chose, d’abord s’agglutinent au mouvement, puis agissent ensemble.
On dit qu’une goutte d’eau fait déborder le vase ; une goutte d’essence a mis le feu à la plaine.
Un mouvement protéiforme, dit-on ; vous savez, ce genre de truc qui n’a ni queue ni tête, il suffit de le dire souvent sur tous les tons et le pas encore dénanti pense que ça ne le concerne pas. Comme la plupart des gens de tous bords et de tous échelons sont assez paresseux et/ou couards, le tour est joué.
Alors il convient aujourd’hui de faire le tour de tous les mécontents, de tous ceux qui pâtissent de la politique actuelle, de tous ceux qui luttent pour une cause ou une autre et qui, du fait de l’enfumage, n’ont pas encore compris, ou ne veulent pas comprendre, que leur combat s’inscrit exactement dans la proteiformis d’un peuple qui n’est plus seulement le serf agricole et le prolétaire. La volonté d’uniformisation des puissants depuis si longtemps mise en branle, leur fait croire que celle-ci est réussie, mais c’est parce qu’ils négligent la solidarité, et la fraternité qui, si elle est plus enfouie chez les uns que chez les autres, ne pourra que renaître au fil du temps parce qu’il suffit de dépoussiérer l’âme austère des classes moyennes renégates pour lui faire retrouver la chaleur des siens.
Déjà des graffit’men écrivent sur les murs de Paris : Travail Famine Pâtes/riz ; ou bien : vous avez la police, nous avons la peau dure. Des musiciens refusent de jouer dans des cabarets dont le tenancier est un peu trop méprisant à l’égard du peuple. Des chansons abreuvent nos microsillons…
Que fait la jeunesse, le samedi ? Pub, Mac, Screen… ?
Les mamies, baby-sitting, shopping, jogging ?
Les papies, pêche, chasse, tradition ?
Et moi ?
Il n’y a que ceux qui peuvent, avec un signe distinctif, rallier le mouvement, en groupes.
Ceux qui luttent contre l’obligation de la vaccination.
Ceux qui luttent contre le nucléaire.
… et tous ceux qui pensent que le boycott de l’inutile, importé à grand frais de pollution et d’exploitation d’un frère, est la solution ; ceux qui préfèrent frugalité et décroissance ; les adeptes des médecines dites parallèles, du végétarisme, et bien sûr tous ceux qui sont dans la démerde, le rafistolage, l’ingéniosité, le récupérage !
La palissade de palettes me paraît bien éphémère à défaut d’être fragile, entre ceux qui les jettent et ceux qui les récupèrent ; il serait bon d’en faire un feu de joie et trinquer à la convergence, rêver de fraternité, et opter pour un avenir meilleur qui ne serait pas seulement au service de quelques-uns.
Ce 5 février, j’ai vu qu’il y avait un appel des partis politiques et des syndicats pour mêler leurs forces à celle des gilets jaunes. Le gouvernement sévit, envoie ses milices ; si plutôt qu’être mille ils sont un million dans les rues de Paris, la répression s’étouffe.
Que ceux qui, pour rien au monde, voudraient mêler leurs abattis à ceux de cette populace qui ne veut même pas changer de système, juste avoir plus pour mieux vivre, ces péquenots qui n’ont pas lu Kant ni même Proudhon, ces imbéciles dont ils craignent qu’ils se laisseront mener en bateau… que ceux-là apprennent une loi naturelle : la situation fait le larron et une vie plus large, plus douce rend meilleur.
Une lutte ouvre les consciences et libère le courage ; un soutien donne des ailes ; des échanges grandissent, les expériences accroissent la connaissance,etc.
Donc au moins que ceux là s’intelligentent, puisque nous ne pouvons pas compter sur les ennemis, de classe, ceux qui sortent de la cuisse de Jupiter.